lundi 1er février 2010 - par Vincent Delaury

« Invictus » : un film haut en couleur

Bonne nouvelle, Invictus (E.U., 2h12mn) de Clint Eastwood se taille un beau succès en salle (1 503 591 entrées en France en deux semaines), ce qui est entièrement mérité au vu de la qualité d’ensemble de celui-ci, du 4 sur 5 pour moi. Reposant sur le livre de John Carlin, Déjouer l’ennemi, ou plus précisément Playing the Enemy : Nelson Mandela and the Game That made a Nation, le film est une histoire vraie, c’est celle de Mandela qui, devenu président d’Afrique du Sud après avoir été incarcéré durant 27 ans, décide, pour unifier son pays encore déchiré par l’Apartheid, de miser sur une victoire de l’équipe nationale des Springboks à la Coupe du Monde de rugby 1995 afin d’unir son peuple et d’entraîner la naissance d’une nation.

Si la définition du chef-d’œuvre est la suivante : « Le critère du chef-d’œuvre, c’est la chair de poule. », alors, assurément, Invictus signé Eastwood en est un. C’est avec passion qu’on suit ce film, parfois les larmes aux yeux, et en permanence exalté par le pari impossible qu’arrive à relever Madiba (surnom affectueux que lui vaut son appartenance au clan Xhosa), bref c’est un film qui prend littéralement aux tripes. Film politique doublé d’un film de sport, Invictus, même si on n’est pas fin connaisseur de rugby ou encore de Chabal (j’avoue que c’est mon cas !), est passionnant de bout en bout. Certes, il n’est pas exempt de défauts. Si l’on devait être tatillon, peut-être qu’Eastwood force un peu la dose en ce qui concerne les roulements de tambours, peut-être qu’il joue un peu trop sur la corde sensible lorsqu’il fait apparaître le « fantôme » de Mandela dans la cellule de Robben Island que visite François Pienarr - je pense que sa présence en creux aurait suffi - et peut-être également que les scènes finales concernant le match Afrique du Sud/Nouvelle-Zélande reposent sur certains effets un peu maladroits : les ralentis de l’image sont-ils nécessaires et surtout le ralenti du son, qui a tendance à transformer le souffle des sportifs en une espèce de râle animal bizarroïde, est-il vraiment indispensable ? C’est alors qu’on se dit que Clint Eastwood demeure un cinéaste classique dans sa forme et qu’il peine un peu à magnifier esthétiquement le jeu de rugby, à l’inverse d’un Scorsese qui, avec Raging Bull en 1980, était parvenu à fusionner avec maestria et moult effets audiovisuels sidérants art cinématographique et pratique sportive (boxe).

A l’exception de ces quelques réserves, Invictus est hautement convaincant et, dans sa fusion entre le sport et la politique, le local et l’universel, il peut faire penser au beau et humaniste Munich (2006, Spielberg) qui partait lui aussi d’un événement sportif (les Jeux Olympiques de Munich 1972, lorsque des terroristes palestiniens ont pris en otages puis exécutés les 11 membres de l’équipe sportive israélienne) pour en revenir, de manière plus globale, sur le conflit larvé israélo-palestinien. Dans Invictus, il s’agit de l’Apartheid, des townships, de l’inégalité entre les Blancs et les Noirs et des fortes tensions raciales qui en découlent. Plutôt que d’aviver les plaies, Mandela recherche la « réconciliation nationale », et il tente de l’obtenir par le prisme fédérateur du sport, la bande-annonce est explicite : « Il était prisonnier. Il est devenu président. (…) Quand son peuple attendait un chef, il leur a donné un champion. » Le rugby est ici davantage un calcul humain qu’un simple calcul politique à la petite semaine. Toutes proportions gardées, on peut alors penser à la désormais fameuse phrase de Séguin concernant la non moins célèbre question de l’identité nationale (pour trouver une clé au débat sur l’identité nationale, il suffit de regarder les Français pendant la Coupe du Monde de football de 1998) et on peut se dire que l’actuel ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale devrait se repasser en boucle Invictus pour voir à quel point, du « capital humain » au grand complet, peuvent jaillir des fulgurances multiculturelles et multicolorées qui participent de l’aventure de civilisation de tout un pays.

En quelques plans, Eastwood parvient à montrer les clivages de couleurs énormes en Afrique du Sud, notamment au début lorsque l’on voit deux terrains de sport opposés où jouent, d’un côté, derrière des grillages, les Noirs et, de l’autre, les Blancs, on entend alors l’entraîneur de rugby blanc dire à son équipe, pendant que la voiture présidentielle défile sous leurs yeux, « N’oubliez pas ce jour, les gars, aujourd’hui on a livré le pays aux chiens. » Autre scène remarquable (à mes yeux la meilleure du film) pour montrer le fossé, semble-t-il, incommensurable entre les Afrikaners et les Sud-africains noirs, c’est celle dans le bureau des gardes du corps du président d’Afrique du Sud : les Noirs et les Blancs se toisent, sur fond de petites phrases et de regards en coin. On retient son souffle. La tension monte, on est au bord de l’explosif, puis bon an mal an ces hommes que tout oppose finissent par collaborer ensemble. On respire mieux. Scène métonymique pour Invictus, la réconciliation blanc/noir est en marche. Et, pour montrer cette volonté compassionnelle et réconciliatrice de Nelson Mandela sur fond de crossover entre Blancs et Noirs, Eastwood, fin cinéaste, parvient à suggérer cela en un plan symbolique très fort : on y voit Mandela (remarquable Morgan Freeman) se regardant dans la glace de sa salle de bains. Il vient de toucher dans un petit tiroir un bracelet laissé par sa compagne Winnie (dont il divorcera quelque temps après du fait de divergences politiques liées à la radicalisation de son ex-femme), puis se regarde dans un miroir, à moitié blanc à moitié noir, la mousse à raser lui mangeant une partie du visage. On prend alors conscience de la puissance spirituelle du bonhomme. Lui qui a passé une trentaine d’années dans une cellule minuscule, où trouve-t-il cette force mentale de pouvoir pardonner à ceux qui l’y ont mis ? Opposé tout à la fois à la domination blanche et à la domination noire, son combat est Un long chemin vers la liberté – « J’ai chéri l’idéal d’une société libre et démocratique dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et avec les mêmes opportunités. C’est un idéal pour lequel j’espère vivre et accomplir. Mais si besoin est, c’est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir. » (in I’am Prepared to Die, African National Congress, avril 1964*).

Cette force psychique incroyable, qui permet d’aller au-delà des aléas et des affres du facteur humain, Eastwood en donne la clé dans son film, et en ce sens Invictus, en plus d’être un bon film, est un formidable outil pédagogique - j’étais d’ailleurs dans une sale UGC parisienne où une professeure avait eu la bonne idée de montrer ce film à l’une de ses classes (métissées), complètement absorbée, soit dit en passant, durant la projection. Mandela se façonne un mental d’acier par la connaissance de l’autre et de soi-même via la culture et l’apprentissage d’un poème qu’il lèguera au capitaine de rugby François Pienarr (excellent Matt Damon) afin qu’il devienne lui aussi… capitaine de son destin ; ainsi, le titre latin du film vient directement d’un poème victorien signé William Ernest Henley – Invictus/Invincible – et dont les derniers vers disent ceci : « Merci aux dieux, quels qu’ils soient Pour mon âme indomptable Aussi étroit soit le chemin, Bien qu’on m’accuse et qu’on me blâme Je suis le maître de mon destin, Et Capitaine de mon âme. » C’est par l’exemple, par les anciens, et par la culture humaniste que l’on parvient à passer de la haine à la sagesse, et du sale goût de la défaite au délice de la victoire. Bref, Invictus, fort et intense, est vraiment un beau film car il passe par l’intellect pour aller directement au cœur. Laissons le mot de la fin - entendu durant le film - au prix Nobel de la paix, lorsque Madiba passe le relais à François en vue d’un travail d’équipe haut en couleur : « Cette chanson [entendue aux Jeux Olympiques de 92 à Barcelone], c’était Nkosi Sikelele iAfrika. Une chanson très inspirante. Nous avons besoin d’inspiration. Car, pour construire notre pays, nous devons tous surpasser nos propres attentes. » Dont acte.

* Source : Wikipédia  

 



6 réactions


  • naudin 1er février 2010 11:00

    J’ai vu « Invictus », je n’ai pas vu un chef d’oeuvre. Réalisation on ne peut plus classique pour un film qui manque de souffle. Accessoirement les scènes de rugby sont nulles : images mais surtout la bande son.
     Et puis pour revenir à la réalité historique de la coupe du monde 95, les français ont eu droit à des décisions arbitrales invraisemblables en demi contre l’Afrique du Sud, sans parler de l’intoxication alimentaire des All Black en finale. Mais bon, personne n’a protesté à l’époque. Il fallait que l’Afrique du Sud gagne cette coupe ! 


  • 3°oeil 1er février 2010 11:40

    du pur lavage de cerveau sauce occulte hollywood suffit de s’arrèter au numéro de cellule de mandela n° 46664 tant que ça, freeman porte un n°6 damon porte n°6 du brainwash quoi


  • Bardamu 1er février 2010 13:48


    Invictus est bien plus un ratage complet n’ayant vu le jour que grâce à deux personnages outrepassant ici leur rôle, à savoir Eastwood glosant sur un sport dont il ignore jusqu’aux bases élémentaires, et Mandela cachant que pareille victoire des sud-africains était bel et bien truquée, car politiquement arrangeante.


    Du point de vue « rugbalistique », l’on sombre ici carrément dans le pur comique où les scènes sont filmées comme de courtes séquences de football américain... sans continuité aucune, et les passes se faisant maladroites.
     
    Et où l’acteur Damon, de quarante centimètres inférieur en taille à l’original, n’est nullement crédible !

    Eastwood nous signe là une incroyable daube qu’il n’a pu réaliser que grâce à une notoriété elle-même un tantinet usurpée.

    Car si Clint a su être un très bon réalisateur -Gran Torino, Implacable-, il a surtout bénéficié d’une « eastwood-mania », manière comme une autre pour nos mâles modernes efféminés de s’habiller de virilité à bon compte !... car Clint, c’était aussi Harry la brute !

    Or, pour exemple, Million dollars baby n’est pas un si bon film.

    Bref, il n’est jamais bon de mythifier un cinéaste car, trop sûr de lui comme de son image, le gaillard peut très vite nous pondre des navets.

    On est loin d’un Mankiewicz, d’un Murnau, avec Clint !... le filon eastwoodien s’épuise, malgré la propagande téléramesque !... le lustre s’estompe en un film ridicule déshonorant l’ovalie.

    Chabal, que Clint avait soudoyé pour le rôle, en fier bonhomme a refusé la proposition : grand bien lui en fasse.

    Notre auteur, avec lequel je partage peu de passions cinématographiques -au regard de ses classements-, par une non-connaissance des faits sportifs et politiques, s’est une fois de plus... planté !

    Amateurs de rugby comme de vérités historiques, fuyez ce film ! 

    Etre cinéphile, certes, mais pas n’importe comment !


  • tchoo 1er février 2010 14:10

    et l’on oublie allègrement à cette occasion la tricherie qui a permis à l’Af du sud d’être champion du monde.

    La raison d’état s’affranchie de la morale et des moralistes qui peuvent ainsi se déchainer sur la main de Thierry Henri !


  • aquad69 1er février 2010 14:19

    Bonjour Vincent,

    « Invictus » est un film agréable à voir qui rend une assez bonne image de ce que l’on pourrait appeler « l’esprit Mandela », et on peut souhaiter à ce titre qu’un maximum de gens aillent le voir.

    Mais réduire toute l’oeuvre de Mr Nelson Mandela à un match de foot, c’est tout de même un peu simpliste !

    Sur ce plan le film « Gandhi » était tout de même meilleur.
     
    Et puis il faudrait comprendre le contexte politique et économique qui régnait en Afrique du Sud à l’époque, chose évidemment complexe et subtile, pour se rendre compte que si le gouvernement Mandela a permis par sa politique d’éviter une possible guerre civile, il n’a jamais eu ni le pouvoir, ni les gens d’expérience nécessaires pour mettre réellement la main sur les rènes de l’économie du pays et sur les ressources financières qui lui auraient été indispensables pour organiser des réformes réellement profondes et un repartage effectif des richesses du pays.

    Au demeurant si celà avait été tenté, peut-être alors que les pouvoirs occidentaux ne l’auraient pas vue du même oeil et ne l’auraient pas laissé faire et qu’aujourd’hui Mr Mandela aurait chez nous l’image d’un Fidel Castro ou d’un Khadafi ...

    Cordialement Thierry


  • vernon 1er février 2010 23:54

    Sur la forme, je partage les quelques réserves exprimées par Vincent dans cette article, comme je regrette que les allégations d’irrégularité soit passées complètement sous silence (tchoo/naudin). Mais faisons pas non plus mine de nous étonner : Eastwood ne se classe pas dans la catégorie « art & essai ». Et c’est sans doute ce qui m’a valu de passer quand même un bon moment. smiley


    Parce que l’intérêt du film est moins dans le rugby que la question du leadership, celui d’une équipe ou d’une nation à la croisée des chemins, entre la réconciliation et la tentation de la vengeance ou de la guerre civile.

    C’est une aussi une opportunité d’entrevoir de manière plus personnelle la figure tellement médiatique de Nelson Mandela.

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