Jarhead et la guerre du golfe
Après tout, mon blog va peut-être se transformer en carnets de critiques de cinéma. Voici, en tout cas, le deuxième billet de la semaine de ce type, après Good night and good luck, et après un premier essai début novembre.
Donc, j’ai été voir Jarhead. Jarhead, c’est ce film sur la guerre du Golfe, dont vous avez sans doute entendu parler, réalisé par Sam Mendes, oscarisé pour American Beauty et qui s’essaie à un exercice assez différent (ceux qui se souviennent d’American Beauty reconnaîtront ici Chris Cooper qui jouait le voisin nazillon et qui est colonel dans Jarhead).
Premier constat : la sensation de vieillir. Jarhead
traite de l’Histoire. La guerre du Golfe, c’était il y a quinze ans. J’ai, bien sûr, vu des centaines de films qui traitent d’événements qu’on peut qualifier d’historiques, mais jusqu’à une période récente, il s’agissait d’une histoire dont je n’avais pas été le témoin. Pour les gens de ma génération (nés dans les années 1970), la guerre du Vietnam, ce n’est pas l’actualité, c’est de l’histoire et/ou du cinéma. J’avais déjà eu la sensation de vieillir en voyant Goodbye Lénine ! dont le contexte (la chute du mur de Berlin) renvoyait à un événement dont j’avais conscience au moment où il s’est produit.
Même impression, donc, étrange, avec Jarhead. Impression renforcée par les images qui ressuscitent des impressions enfouies de cette époque (qualité des images, uniformes américains et irakiens, le désert...) Tout cela est étrangement familier. Petite madeleine.
Le film ? Un des commentaires du narrateur, dans la conclusion, est : « Toutes les guerres sont les mêmes. Toutes les guerres sont différentes ». Je crois qu’il en va de même avec les films de guerre. Tous les films de guerre sont les mêmes. Tous les films de guerre sont différents.
Tous les films de guerre sont les mêmes ?
Je
ferai cette démonstration par une somme de détails. On retrouve, en
effet, dans Jarhead un certain nombre de mécanismes courants dans les
films de guerre. L’introduction, une salle d’entraînement remplie de
marines rasés au garde-à-vous et en train de subir les hurlements d’un sergent instructeur bouledogue, est la même (un hommage ?) que celle
de Full Metal Jacket. En moins impressionnant, forcément.
Certaines récitations des marines sont d’ailleurs identiques dans les deux films (« Ca, c’est mon fusil. Il y en a beaucoup d’autres comme lui, mais celui-là, c’est le mien. Sans mon fusil, je ne suis rien. Sans moi, mon fusil n’est rien »...)
Situations identiques aussi, lorsqu’un marine pose avec un cadavre (cf. Full Metal Jacket également). Personnages identiques à d’autres films : on n’échappe pas ici au sergent noir avec un cigare (cf. Aliens le Retour ou Officier et Gentleman). Façon de filmer identique au Soldat Ryan quand Swof, le personnage principal, se retrouve paralysé au milieu des bombardements (images ralenties, son étouffé).
Cette parenté très proche dans des situations ou dans la mise en scène paraît néanmoins très assumée (voir la séquence où les marines regardent Apocalypse Now).
Tous les films de guerre sont différents ?
Jarhead
présente en tout cas une spécificité très importante : il est focalisé sur l’attente et la frustration, et non sur le combat. C’est sans doute une gageure cinématographique que de vouloir rendre l’impression de lenteur (six mois d’attente en Arabie Saoudite) en deux heures de film. Mendes y répond par le contraste saisissant entre la préparation musclée des marines (le début du film sur le camp d’entraînement) et les épisodes plus ou moins signifiants de l’attente sur place.
Ce n’est pas l’ennui qui est représenté (pas de temps mort dans le film) mais un rythme de vie en groupe, avec ses moments de joie et ses nombreuses frustrations. « L’attente, c’est le pire », nous prévient l’affiche. On en vient en effet presque à espérer avec les marines qu’il y ait un peu de castagne. Cela n’arrivera pratiquement pas. Swof et ses acolytes repartent sans avoir tiré un seul coup de feu.
Une
seule scène montre un début de discussion, entre les soldats, sur le sens
de cette guerre. « C’est nous qui avons armé les Irakiens », se risque
l’un d’entre eux. La réponse, impitoyable, fuse : « Fuck politics ». On
n’en reparlera plus jusqu’à la fin. Au fait, Jarhead, le surnom des Marines, signifie « tête de vase ». MAJ 16/1. A cause des oreilles décollées. Car un vase, c’est creux.
Finalement, Jarhead est une intéressante réflexion sur l’utilité potentielle de chaque individu dans une société, sur la vie de groupe, les chemins qui se croisent et qui se séparent, les aspirations profondes de chacun, l’enrôlement des laissés-pour-compte. Pour mieux renvoyer dos à dos la guerre « active » et la guerre « passive » (l’attente) qui ont le même impact dévastateur sur la psychologie des soldats.
C’est peut-être plus l’itinéraire d’un individu qui est raconté ici, la guerre du golfe en étant le contexte. Mais il ne sera jamais inutile de décrire la vie si particulière des soldats. Après tout, ce témoignage nous rappelle aussi qu’on est bien au chaud chez soi. Ou dans une salle de ciné.