lundi 26 avril 2010 - par Jérôme Lester

Jeff Wall et l’intensité

Plus que quelques jours pour découvrir à la galerie Marian Goodman les derniers travaux du photographe canadien Jeff Wall.

Dans le monde entier, il doit sa réputation à ses photographies de scènes reconstituées présentées sur de très grands panneaux. Jeff Wall s’attache à montrer les gens de peu et les petites choses de la vie, celles que l’on remarque à peine et souvent au prix d’un très grand effort. Ainsi qu’il le précise dans un entretien récemment cité par le quotidien Le Monde, c’est l’invisibilité sociale qui l’intéresse. Jeff Wall a donc décidé de se consacrer à une tâche ardue mais passionnante : rendre visible l’invisible.

Un regard inattentif sera immanquablement trompé et prendra ce travail pour de la photographie journalistique ou documentaire. Wall y fait d’ailleurs lui-même référence en parlant de near documentary, du presque documentaire. En réalité, il ne procède à aucune captation directe du réel. Tout est minutieusement reconstitué et les personnages sont souvent joués par des acteurs. Il n’y a aucune légende sous les photos. L’événement n’a aucune importance. Seuls comptent les personnages et les décors.

Le très grand format des tirages nous invite à porter notre attention sur les nombreux détails disposés dans le champ. Ils sont autant d’indices à élucider pour mieux se laisser pénétrer par l’émotion.

Les photographie de Jeff Wall révèlent toujours une construction savante. L’artiste, homme cultivé et par ailleurs professeur d’université, renvoie souvent dans son travail à des chefs d’oeuvre de la peinture classique. Sa célèbre Chambre détruite de 1978 reprend ainsi la composition de la Mort de Sardanapale de Delacroix.

Cependant il ne faudrait pas voir là l’intérêt principal de cette oeuvre fascinante. Le jeu de référence est somme toute secondaire. Il s’agit davantage pour l’artiste - cela est surtout vrai pour son travail le plus récent - de prendre la photographie au mot. Ou plus exactement de prendre l’image de la photographie au mot. Pour la plupart des gens elle n’est que simple reproduction fidèle du réel. Wall montre qu’il y a plus de richesse dans le pas de côté, que l’on saisit mieux le réel non pas d’une manière frontale, mais en le contournant. La reconstitution et l’agrandissement donnent un résultat qui est une sorte de concentré et dont la force dramatique saisit le regard du spectateur. Le monde se révèle alors à lui d’une force qui n’a jamais été aussi intense.

Jérôme Lester

La galerie Marian Goodman
http://www.mariangoodman.com/
 



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