vendredi 8 mars 2013 - par Caroline Azémard

L’année Wagner et Verdi

Au cœur du programme du bicentenaire se place la Tétralogie de Wagner.
Ce cycle constitué d’un prologue et trois opéras, totalisant environ 17 heures de musique est très ardu à monter. Il se joue actuellement au Royal Opera House de Londres. En 2013, il sera présenté, entre autres à La Scala de Milan, au Metropolitan Opera de New York, au Staatsoper de Vienne, à l’Opéra du Rhin, au Bayerische Staatsoper de Munich ainsi que dans plusieurs autres salles allemandes et bien sûr, dans le « temple du wagnérisme », au Festival de Bayreuth. Plus de 100 manifestations sont prévues dans cette ville, où l’on jouera également des œuvres de jeunesse du compositeur. L’Opéra de Paris n’est pas en reste et reprend également le cycle complet, pour la première fois depuis… 1957.
La Scala de Milan, dont la saison 2013 sera presque intégralement consacrée à Wagner et Verdi, ouvrira avec une production de Lohengrin, tandis que l’Opéra de Vienne ne présentera pas moins de cinq opéras de Wagner, en plus de la Tétralogie.

Pour Verdi, dont les œuvres sont toujours largement présentes dans les répertoires de salles d’opéra, ce sera également à Milan ou à Vienne qu’il faudra se rendre. Les deux maisons proposent chacune sept opéras de Verdi. La Scala va monter entre autres Nabucco, Falstaff, Macbeth, Don Carlo, Aïda, ainsi qu’une œuvre « de jeunesse », Oberto tandis que les autrichiens proposent Otello, Simone Boccanegra, La Traviata ou encore Rigoletto.

Cette année, c’est le moment ou jamais d’approfondir votre connaissance de l’opéra. Wagner ou Verdi, vous avez le choix, et vous ne pouvez pas vous tromper.

Verdi et Wagner : deux voies complémentaires
Ce sont deux hommes, deux vies, deux approches très différentes de la musique et de l’opéra, deux génies qui auront marqué l’histoire mais que peu de choses rapprochent : ils sont complémentaires. Ces deux figures de proue représentent deux pôles de l’art lyrique européen : la culture italienne et la culture germanique.

Si Wagner a totalement redécouvert et revisité l’imaginaire nordique et révolutionné le concept d’opéra, Verdi a laissé à la postérité vingt-huit œuvres lyriques dont beaucoup sont devenues des classiques et contiennent des airs qui sont rentrés dans la culture populaire : « La Donna è mobile » de Rigoletto, le chœur des esclaves de Nabucco…

Nés dans la même année, les deux hommes ont tous deux vécu intensément les bouleversements politiques de ce XIXème siècle mouvementé. Si Verdi fut une figure de proue du Risorgimento et de l’unification italienne, Wagner a lui été impliqué dans les mouvements révolutionnaires nationalistes de 1848. Cela est peut-être un de leurs seuls points communs.

Si Verdi se tenait régulièrement au courant des évolutions musicales de son temps et a d’une certaine manière été influencé par Wagner (même s’il refusait catégoriquement que l’on l’accuse de « wagnérisme »), Wagner quant à lui s’est vite désintéressé de tout ce qui se passait au delà des Alpes pour se concentrer sur la réalisation de l’œuvre de sa vie. Les deux compositeurs ont en effet des caractères bien différents. Verdi, businessman avisé avait les pieds sur terre et essayait toujours de s’adapter à son public. Wagner, intellectuel idéaliste influencé par la philosophie germanique et Schopenhauer, s’était quant à lui donné pour mission de créer « l’œuvre d’art de l’avenir » et suivait son but, en multipliant les écrits pour théoriser son projet.

Les thèmes choisis par les deux compositeurs sont très différents. Wagner, qui écrit lui-même ses livrets, se plonge dans la mythologie des peuples d’Europe du Nord. Ses opéras ont une portée symbolique et philosophique propice à la réflexion et à la méditation. Ses personnages sont des concepts, des idéalisations et son œuvre, véritable cosmogonie, est hors du temps et de l’espace.

Les histoires de Verdi sont situées historiquement. Bercé par la Renaissance et la culture catholique, l’Italien a préféré mettre l’individu au cœur de ses opéras : il s’est intéressé à ses passions, ses tourments, ses crimes. S’appuyant sur ses librettistes, Verdi cultive son sens dramatique et nous plonge dans les méandres de la condition humaine.
Pendant que Wagner raconte la création du monde, Verdi nous fait pleurer sur le sacrifice d’une courtisane du XIXème siècle.

Musicalement, tous deux ont progressivement fait disparaître les formes « classiques » de l’opéra où dominait la notion de récitatifs et d’airs au profit d’un discours plus continu.
Verdi se place dans la continuité de l’opéra italien tout en intensifiant la place de l’orchestre et en développant de nouvelles idées musicales. Il s’appuie avant tout sur le pouvoir émotionnel de la voix humaine.
Wagner voulait révolutionner l’opéra en réalisant un idéal « d’œuvre d’art totale » où, notamment orchestre et voix ont une place égale. Il a poussé les principes de composition classique à leur extrême et a porté le pouvoir d’expressivité de l’orchestre à des sommets inégalés.

Les partisans de l’un ou l’autre des deux génies sont toujours aussi nombreux et les dissensions persistent même si elles ne sont plus aussi marquées qu’au XIXème siècles,
Si les wagnériens raillent toujours la musique « facile » de Verdi, volontiers qualifiée de « populaire », les inconditionnels de Verdi et de l’opéra italien fustigent l’intellectualisme, les longueurs des livrets et trouvent la musique de Wagner déstabilisante.

Mais pourquoi choisir ? Verdi et Wagner ont eu deux visions de la musique et de l’opéra. Leurs œuvres sont complémentaires. Les drames de Verdi nous font oublier nos soucis et nous bouleversent, les œuvres de Wagner nous interpellent, nous bercent, nous emportent.
Si l’on est toujours ébranlé par la mort de La Traviata, il n’est pas non plus nécessaire d’être un universitaire de haut vol pour apprécier Wagner : les adieux de Wotan à sa fille peuvent être tout aussi déchirants. La musique de Wagner, envoûtante, a une emprise physique sur le spectateur, quand chez Verdi, on sera plutôt porté par la puissance du drame sublimé par le pouvoir de la voix.

L’un et l’autre sont uniques et les deux sont à découvrir absolument car, quoi qu’il en soit, leurs œuvres comptent parmi les plus belles créations de l’esprit humain.



6 réactions


  • Fergus Fergus 8 mars 2013 12:11

    Bonjour, Caroline.

    Très bel article sur deux géants de l’opéra, chacun à sa manière comme vous l’avez fort justement souligné.

    "Ce cycle constitué d’un prologue et trois opéras, totalisant environ 17 heures de musique est très ardu à monter." écrivez-vous à propos de la Tétralogie. Très ardu à écouter également pour qui n’est pas formé à la musique wagnérienne, j’irais même jusqu’à dire « inconditionnel ». Une oeuvre qui, dans sa globalité, peut également susciter par moments un réel ennui, eu égard aux dimensions parfois excessive des opéras qui composent cette Tétralogie. Il se trouve quand même des volontaires pour écouter, quasiment sans ingterruption, l’intégrale de cette oeuvre. Une gageure et un non-sens, eu égard à la concentration nécessaire.

    Vous écrivez d’autre part "Verdi, businessman avisé avait les pieds sur terre et essayait toujours de s’adapter à son public." Et comment ! Impossible en Italie à cette époque de connaître le succès sans être au goût des Italiens. Des Italiens qui, déçus, n’hésitaient pas à siffler et huer les œuvres ne répondant pas aux critère de goût du temps. Cela touchait même la musique d’église, à tel point que Padre Davide se taillait un incroyable succès en écrivant des pièces religieuses pour orgue dans le style caractéristique de la musique d’opéra (cf. Padre Davide, rock star du 19e siècle), au point d’attirer des foules à ses offices. 

    Musique « popualire » chez Verdi ? Certes. Mais ce n’est pas Verdi qui s’est abaissé à écrire de la musique de second plan, c’est au contraire lui et des compositeurs comme Donizetti, Rossini, Puccini qui ont hissé le goût du peuple italien à un niveau inconnu dans les pays voisins hors des classes bourgeoises. En cela Verdi a été un génie de la musique.

    Cordialement.


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 8 mars 2013 18:27

    Au printemps ,lorsque meme l’air verdi ,nous pouvons voir la chevauchée des vaches qui rient ....


    • Fergus Fergus 8 mars 2013 20:06

      Bonsoir, Aita Pea Pea.

      Vous ne croyez pas si bien dire : il se trouve que "La Vache qui Rit" doit précisément son nom aux héroïnes des sagas germaniques célébrées dans la Tétralogie.

      Initialement dessinée par son créateur, Benjamin Rabier, sur les véhicules de ravitaillement des troupes de la Grande guerre, cette vache dotée d’un sourire éclatant avait été surnommé « Wachkyrie » par les soldats pour se moquer de l’ennemi. Si cela vous intéresse, j’ai raconté cela dans un article de 2011 intitulé "De la Wachkyrie à La Vache qui Rit« .

      Cordialement.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 8 mars 2013 21:14

    Et la vache Grosjean rien ?


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 8 mars 2013 21:17

    De Wagner j’ aime la sonorité de Tannhauser .


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