lundi 19 septembre 2016 - par C’est Nabum

L’avers et le revers

Dans les pas de l’homme sage.

JPEG Il était une fois, une époque où les humains tiraient de la nature les leçons essentielles qui leur permettaient d’avancer la tête haute ou bien de choisir en connaissance de cause le versant obscur. L’enseignement était alors une simple transmission, un moment de partage et de réflexion qu’un vieillard offrait en créance à un enfant. Point d’argent dans l’héritage mais une belle et simple philosophie de la vie qui se recevait par le cœur.

L’enfant écoutait l’ancien. Ce temps était alors celui du respect et du mélange des générations. La parole avait encore une valeur : elle était la bibliothèque et le véhicule de la sagesse. Les sirènes de la modernité n’avaient pas encore détourné les plus jeunes de ce bien incomparable que constituent les expériences accumulées par toutes les générations précédentes. C’était une époque d’un passé révolu …

En ce temps-là, l’ancien prenait le plus jeune par la main et allait sur les chemins de la terre. Marcher n’était pas encore un sport ou une hérésie : c’était le temps de la discussion et de la connivence. L’un et l’autre avançaient tout en devisant gravement. Les mots pouvaient alors suivre le rythme des pas pour faire leur chemin, profondément, dans la conscience de l’enfant.

L’ancien dit au gamin : « Regarde la rivière. Son eau est la source de toute vie. Elle nous apporte l'élément indispensable à toutes les espèces et aux plantes. Elle est bienfait et beauté, nous permet d’aller loin sur le fleuve. Pourtant, quelquefois, elle apporte mort et désolation, destruction et danger. Il en va ainsi de toute chose sur cette Terre et c’est à toi de toujours démêler le bien du mal dans ce qui t’entoure ! »

Le gamin ne soufflait pas, il ne haussait pas les épaules. Il écoutait gravement le discours de son aïeul. Il savait qu’il avait beaucoup à apprendre de lui. Il était en mesure d’écouter mais plus encore de retenir ce qu’il lui disait. La mémoire était en ce temps-là, l’outil de la connaissance et le véhicule de la sagesse.

Le vieux continua : « Le feu est, quant à lui, le double et le contraire de l’eau. Naturellement, l’homme, spontanément, redoute cette bête sauvage qui dévore tout sur son passage. Il a pourtant su trouver le moyen de le dompter pour se réchauffer et préparer les aliments. C’est ainsi que jamais rien n’est entièrement mauvais ni totalement bon. »

Le petit souriait. Il savait tout ça et aimait la manière dont l’ancien lui parlait. Il puisait dans ses paroles l’énergie qui ferait de lui bientôt un adulte : un être responsable de ses actes et de ses choix. La vie s’ouvrait à lui et il lui appartenait d’en assumer la difficulté et la grandeur, la complexité et la beauté.

Le vieil homme passa alors devant des colchiques. « Regarde ces fleurs. Elles nous avertissent de la fin de l’été. Elles sont belles, elles nous attirent et pourtant elles recèlent en elles un poison mortel. Il ne faut jamais se fier aux apparences, certains êtres sont enjôleurs : ils te font de belles risettes et sont capables des plus terribles trahisons. D’autres sont au contraire sévères, froids et distants. Ce sera sur eux que tu pourras t’appuyer quand tu seras à la peine. »

L’enfant avait déjà remarqué cet étrange paradoxe. On l’avait mis en garde bien des fois et il s’était brûlé les doigts à suivre des beaux parleurs qui n’étaient pas toujours aussi fiables qu’on pouvait le supposer. La route qui s’ouvrait à lui était semée d’embûches ; il serait bien délicat de trouver les bons appuis. Le chemin serait toujours glissant et incertain en toute circonstance. Il l’avait compris au travers d’expériences malheureuses et de grandes désillusions.

Le vénérable vieillard poursuivit son discours. Il tenait fermement la main de l’enfant, voulant sans doute lui transmettre bien plus que des mots. Le plus jeune sentait une chaleur inhabituelle dans sa paume de main ; il se pensait traversé d’un flux mystérieux et bienfaisant. Il acceptait avec confiance ce curieux phénomène qu’il ne comprenait pas vraiment.

« Les animaux n’échappent pas à la règle de la dualité. Ne les classe pas les uns dans les utiles et d’autres dans le camp des nuisibles. Seuls, ceux qui cherchent uniquement à préserver leur intérêt , se permettent ainsi de condamner des êtres qui ne font que tenir leur place dans la nature. Chacun y a sa mission, son rôle et sa raison de vivre. Vouloir interférer en cela c’est jouer les apprentis sorciers. »

Le petit, cette fois, sembla ne pas saisir la force du propos. Il se retourna vers ce beau visage de cire et le questionna : « Grand-père, tu ne vas pas me faire croire que le loup qui s’attaque à mes moutons quand je les garde dans le pré, qui pourrait s’en prendre à moi si la faim le tenaillait, est un animal qui a sa place dans notre pays. Je trouve que les louvetiers font bien de le chasser et de lui tendre des pièges. »

Le vieux eut un sourire qui plissa son visage. « Tu répètes un peu trop facilement ce qu’on veut te faire croire. Que sont quelques moutons perdus quand le loup régule l’équilibre de nos forêts et dévore les gros cervidés quand ceux-ci sont malades et capables d’infecter leurs congénères ? Quand ils ne seront plus là, les cerfs, les chevreuils, les daims proliféreront et bien plus grands seront les dégâts pour les hommes. »

L’enfant comprit alors que toute chose avait un avers et un revers. La vie se jouerait parfois de lui lançant au hasard la pièce pour déterminer de quel côté elle tomberait. Il lui appartenait de ne pas avoir à laisser faire le destin. C’est lui qui devait être maître de ses choix. C’est ce que son grand père désignait souvent sous un étrange vocable qu’il n’avait pas toujours compris : « Le libre arbitre ».

 Le soir à la veillée, il avait souvent entendu la plus vieille du village dire ces propos qui aujourd’hui lui revenaient en tête avec plus de netteté. « Chacun de nous a en lui deux loups qui se livrent bataille. Le premier représente la gentillesse, la bonté et l’amour. Le second porte en lui la peur, l’avidité et la haine. Dans la rude bataille qu’ils se livrent, celui qui l’emporte est toujours celui que nous nourrissons le plus ! »

Il venait de comprendre. La longue promenade prenait fin. Il embrassa tendrement son grand-père, courut voir la vieille femme pour la remercier, elle aussi. La vie s’ouvrait devant lui et il savait désormais quelle responsabilité était la sienne …

Les années passèrent ; l’enfant devint un jour ce vieillard qui voulait éclairer la route de son petit-fils. Il fit comme l’avait fait son aïeul. Il le prit par la main et voulut le conduire en bord de Loire. L’enfant grommela. Il n'aimait guère marcher. Il consentit à suivre son grand-père pour ne pas encourir les foudres de ses parents. Au détour de la maison, il se mit un casque sur les oreilles. Le vieux n’y voyait plus grand chose, il ne s’aperçut de rien.

Ce que le vieil homme avait à dire se perdit sur les berges de la rivière. L’enfant n’entendit rien de ce qui avait été enseigné ici même, soixante-dix ans plus tôt. Le monde avait bien changé depuis et les porteurs de parole sont désormais condamnés à parler dans le vent. D’autres ont pris le relais. Sont-ils bons, sont-ils mauvais ? c’est à vous de vous faire votre opinion. Jetez la pièce en l’air, vous aurez la réponse, à la condition qu’on lui permette de retomber. Elle pourrait tout aussi bien finir dans une poche et vous laisser sans réponse …

Moralistement vôtre.

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14 réactions


  • juluch juluch 19 septembre 2016 11:33

    Une belle parabole.


    Et tellement vrais pitin !!!

    quand un Ancien s’en va c’est une bibliothèque qui disparaît, se n’est pas de moi mais d’un ami dans mon petit village.

    merci Nabum.

    • C'est Nabum C’est Nabum 19 septembre 2016 12:51

      @juluch

      Une bibliothèque qui comme dans ma bonne ville n’a pas mes livres

      Ceci mes désespère et prouve bien que la culture n’a pas vraiment sa place dans cette société


  • UnLorrain (---.---.109.11) 19 septembre 2016 13:43

    Je connais un texte plus beau encore Nabum ! ;) : Histoire d une riviere par Elisee Reclus,si beau qu il en est emouvant..Reclus dans ce court recit fait comprendre que ces cours d eau alimentant les sols sont nos veines et autres arteres alimentant eux,notre organisme.

    A propos de bouquin, wikip dit que les oeuvres de Reclus,traduites,sont precieusement conserve a la biblio du villa euuh non,de Washington.


  • Hector Hector 19 septembre 2016 14:04

    Bonjour Nabum,
    Merci pour ce texte mais je crains qu’il ne s’adresse pas aux bonnes personnes...
    Les Jeunes se fichent éperdument des récits ou de la « sagesse » des Anciens.
    Une des miennes amies, jeune, assistante sociale, me disait, il n’y a pas longtemps que nous étions considérés comme « Séniors » à partir de 45 ans.
    Sénior, en Espagnol signifie « Supérieur »....
    Hélas cette pseudo supériorité ne s’applique qu’à nos âges et pas à nos connaissances ou notre envie de les transmettre.
    Aujourd’hui ce sont les petits enfants les « prescripteurs », nous ne sommes plus grand chose dans cette société.
    Quel intérêt a la colchique pour un enfant qui ne connait que le béton ou même la fleur coupée pour les mieux lotis ?
    Merci de votre texte, il a le grand mérite de nous faire partager une belle nostalgie.


  • alain-aaae (---.---.254.184) 19 septembre 2016 14:33

    excellent article j en suis tout ému car j ai eu de grands parents qui m ont aussi a respécté les gens et beaucoup d autres choses.


    • C'est Nabum C’est Nabum 19 septembre 2016 15:03

      @alain-aaae

      Merci

      Je n’ai pas connu mes grands-pères
      C’est sans doute ce qui me manque et me pousse à explorer une mémoire qui n’est pas la mienne


  • Ebootis (---.---.178.66) 19 septembre 2016 18:24

    @ Nabum


    Je n’ ai pu m’ empêcher de trouver un aspect socratique à vos propos qui ne sont, hélas, que trop vrais.

    Pire, il n’y a plus que des péripatéticiennes : des gamins elles font des « adultes » et des adultes « agissent » comme des gamins. On sait qu’il faut du fric et bien fonctionner pour faire tourner la machine. Quant à la culture, on s’en fout ; on se contente de « vivre ».

    Un déçu de plus vous souhaite bonne journée.

    • C'est Nabum C’est Nabum 19 septembre 2016 18:32

      @Ebootis

      Socrate !
      Quel comparaison lourde à porter pour mes petites épaules

      Merci

      Moi aussi, je suis déçu par cette société de l’inculture généralisée


  • le mosellan (---.---.21.121) 19 septembre 2016 19:00

    oh la les gars tout n’est pas blanc ni noir mes petits enfants m’ont ecoutes .je leur et appris a pecher a reconnaitre la flore la faune et les arbres des bords de moselle. et surtout a respecter les gens et ma foi maintenant ils sont adultes ils continues a venir me voir et me demande encore quelques fois des conseils


  • epicure 19 septembre 2016 20:28

    tiens une vidéo qui te plaira et appuiera ton propos sur les loups :

    « comment les loups changent les rivières »

    https://www.youtube.com/watch?v=MKtctwlkKTw

    D’un autre côté, le savoir des anciens transmit par l’oral comportait aussi son lot d’ignorances.
    Actuellement les vieux ont un savoir qui est obsolète sur beaucoup de choses. Ce qu’ils ont appris étant jeunes ne l’est plus aujourd’hui.

    L’écrit a permis l’explosion des connaissances et des idées, surtout l’imprimerie.
    Si les grandes révolutions scientifiques, philosophiques et politiques ont eu lieu après le 15ème siècle, ce n’est pas un hasard du tout, mais bien grâce à la diffusion de l’imprimerie.
    Maintenant le cumul des connaissances est tellement grand qu’un nettoyage des connaissances dépassées est obligatoire.

    Mais sur certains thèmes, il y a des savoirs anciens qui peuvent être valables encore à notre époque. Mais ce sont des thèmes qui sont liés à des sociétés qui ont disparues pour nous.

    Combien d’enfant ont vu des colchiques dans les prés quand plus de 80% des gens vivent en milieu urbain ?

    Hier j’avais une conversation avec une connaissance, dans un lieu avec un jardin boisé, et qui me disait que cela lui faisait drôle de voir tant de verdure, vu qu’entre son habitation, son lieu de travail , les lieux qu’il fréquente habituellement , il y a peu ou pas de plantes.
    Et ce n’est pas un cas isolé.


    • C'est Nabum C’est Nabum 19 septembre 2016 22:49

      @epicure

      Bien sûr que la modernité met les anciens en porte à faux
      Est-ce une raison pour les mettre sur le bord de la touche ou bien plus encore, de ne considérer que seules les nouvelles connaissances sont valables

      Le débat est plus vaste qu’il n’y parait


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