mardi 14 octobre 2014 - par C’est Nabum

La bibliothèque et les intrus

Pas sérieux, s'abstenir en ce sanctuaire du livre ...

Deux mondes qui s'ignorent

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Mes amis du Liger club d'Orléans exposent les clichés de leurs concours de photographies de Loire. C'est dans la salle Maurice Genevoix d'une ville en bord de rivière qu'a lieu cette manifestation sympathique. Le vernissage n'a pas été pour moi un moment propice aux bonimenteries. La foule des grands jours me met toujours mal à l'aise.

Je ne voulais pourtant pas laisser passer l'occasion de rendre à cette association les bienfaits qu'elle m'a accordés, sans lesquels je serais resté silencieux, écrivant dans mon coin en espérant que d'autres, par la grâce du hasard ou bien de la magie, allaient s'approprier mes récits. Il a fallu qu'elle me pousse à prendre la parole, à jouer ce rôle que je me refusais d'admettre par fausse pudeur et vrai orgueil.

La suite a prouvé que mes amis avaient bien raison de penser que c'était à moi de défendre mes histoires et mes contes. Depuis, bien du chemin a été parcouru même si je suis loin d'être au bout de l'aventure que je me suis assignée. Quand on avance, ce n'est jamais le but qui importe : seul le chemin doit avoir son charme et sa nécessité pour que l'on ait envie d'y déposer, tout du long, de petits cailloux.

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Ainsi, j'avais proposé d'agrémenter l'exposition d'un concert impromptu « Si la Loire m'était chantée ! » Avec mon ami Casimir, nous avons en réserve des chansons qui ne demandaient qu'à se donner en partage pour un petit public acquis à la Loire. Manière sans doute de sentir les réactions, de donner envie d'aller plus loin tout en racontant quelques histoires. Naturellement, cela était gracieux, simplement pour un plaisir commun.

Cela se passait donc un mercredi après-midi à 15 heures 30 ; je sais que l'horaire n'est pas idéal. La bibliothèque de l'endroit n'est pas ouverte en soirée, il faut bien se plier aux contraintes ! Une proposition qui fait boule de neige, moins d'une semaine pour monter l'animation, deux jours pour communiquer un peu afin de ne pas jouer et conter devant des chaises vides. Le risque était grand de faire chou-blanc.

Le miracle eut lieu. Un miracle à notre dimension, modeste et simple. Cinquante personnes se serraient dans ce petit espace pour entendre ce tour de chant tout nouveau. Nous n'en espérions pas tant. Des amis, des inconnus aussi, des curieux qui voulaient nous découvrir, des visiteurs occasionnels qui profitèrent de l'aubaine. C'est le bonheur de l'impromptu qui se jouait ici et j'en étais vraiment ému.

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Que dire de ces deux heures de partage ? Ce n'est certes pas à moi d'exprimer le sentiment de ceux qui restèrent là sans bouger. Leurs regards en disaient bien assez pour nous faire ressentir la fierté du bel ouvrage. Casimir présentait ses mélodies, toujours variées, jamais prévisibles. Son parcours de musicien du baloche lui a permis de disposer d'une palette sonore qui ne cesse de me surprendre. Mes textes s'honorent de sa fréquentation.

Je contais et racontais la Loire, l'amitié, les travers de l'existence, les espoirs et les rêves. Maurice Genevoix devait apprécier cette confraternité de plume, le talent en moins. Hélas, la bibliothécaire n'eut pas l'heur d'apprécier pareillement cette intrusion bruyante et décalée en son presque domaine. La dame n'aime rien tant que le silence au royaume du livre !

J'avais pris la précaution d'aller lui dire quelques mots pour l'avertir de ce qui allait se passer dans la pièce jouxtant son univers sacré : le temple du livre sérieux. Mal m'en prit : la dame n'en avait rien à fiche de ce saltimbanque va nu-pieds. Elle soupira, apparemment excédée par cette perspective détestable d'être ainsi importunée en son office.

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J'avais imaginé bien naïvement que la dame, par curiosité, se serait offert un petit passage parmi nous pour se faire une opinion et découvrir celui qui venait de sortir un livre. Que nenni, la curiosité ne doit pas être dans son référentiel professionnel ! Il fallait nous rendre à l'évidence : nous étions des intrus, des ennemis de la culture, des indésirables du livre qui se lit silencieusement. Fermons le ban !

La vengeance est un plat qui se mange froid. Quand l'heure de la fermeture arriva, le tour de chant n'était pas tout à fait terminé. La dame prévint que, dans deux minutes, l'alarme serait enclenchée et qu'il nous fallait déguerpir au plus vite avec instruments et matériel, spectateurs et amis. Nul débordement ne serait toléré au pays de la rigueur et de la culture officielle !

J'en garde encore un goût amer. Voilà comme on remercie ceux qui proposent gracieusement une animation ouverte à tous. Vous devez comprendre aisément que je n'indiquerai pas le lieu de ce forfait. J'ai, quant à moi, une tout autre idée de la culture. Elle est pour moi partage et plaisir, simplicité et ouverture d'esprit, respect et écoute. Je suis certain de ne jamais revenir en ce lieu raconter des histoires, je ne pourrais me départir de ce souvenir détestable. Il me fallait absolument évacuer cette frustration énorme. Je vous ai donc pris à témoin ; je sais que la méthode n'est pas glorieuse mais après tout, la dame ne reconnaît que le pouvoir de l'écrit : la voilà servie !

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Bibliothécairement vôtre

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