vendredi 23 décembre 2016 - par la Singette

La bio de Frank Zappa par Guy Darol, quel pied !

Frank Zappa (1940 / 1993) ne sera jamais mort. Guy Darol le prouve encore une fois avec brio dans sa bio 100 % naturelle. Zappa, immense provocateur dès les « Mothers of Invention » et la suite, a jeté un regard satirique sur son époque en Amérique pour effacer toutes les barrières musicales. Il a pris l’humour très au sérieux comme une arme et pourfendu les ligues de vertus familiales, les prédicateurs et présidents. Avec ses chansons, films, ziziques sarcastiques, politiques et sexuelles, il a prôné la liberté totale de création et ses œuvres lui survivent. La preuve, Guy Darol nous enchante d’un Frank Zappa multipiste joyeux et subversif à ne surtout pas zapper et à recommander chaleureusement, pour piger aussi le Trump l’œil actuel dont il avait prévu la catastrophe !

Bon, j’avoue et ma photo du visuel d’intro de mon article ne simule rien. C’est bien le big foot du Bartos qui me fouille le fondement, en écoutant Stink foot de Zappa et j’ai les nasaux à l’aise. C’est une image, vous l’aurez je pense compris. Pas la peine d’avertir Brigitte Barbot, pour mauvais traitement à Missdinguette la Singette. J’assume mes mœurs animales et le titre de mon article qui ne manque pas de sens et de jus. J’ai touché à la félicité en lisant l’ouvrage de Guy Darol. Je me trouve un peu moins folle et conne. Je pense avoir compris un chouia la Grande Note de Zappa « comme matériau universel de construction et d’autres choses encore. Nous pratiquons un art spécial dans un environnement hostile aux rêveurs  ». (page 156)

Guy Darol n'est pas inconnu au Mague. En 2008 déjà, il avait éclairé notre intérieur bien confortablement assis dans un sofa sur un album de Frank Zappa, avec le talent littéraire dont il ne se départit jamais.

http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5380

Il nous revient en automne 2016 chez Folio, avec un inédit, abordable pour toutes les bourses et les esprits ouverts. Le format poche tient bien en main. Il y a même quelques visuels de l'étrange Frank. Moi qui pensais composer une simple récréation à lire avec attention ce petit opuscule pourtant très touffu. J'en ai pris plein les rotules. Tant il est complet et représente le fruit de plusieurs dizaines d’années de travail de la part du Guy. D'autant que le personnage de Zappa, en véritable touche à tout de génie musical et pas seulement, s'avère plus complexe qu'il n’y parait à simplement vibrer sur sa musique. Puisque, militant de la liberté totale dans sa musique, ses pensées, créations visuelles et auditives, expressions orales sans frontières de genres, il s’est toujours dérobé de façon volontaire à tout étiquetage.

Cette chronique m'a demandé de réécouter tous mes CD de ses compositions, visionner ses films et ses concerts sur la toile. A tel point, que je me suis fait rabrouer par mes aminches Culcul l'écureuil et Haybes le marcassin qui m'ont tiré la tronche durant plusieurs semaines, du fait de les avoir laissés en carafe et oubliés carrément de jouer à la cime des pins ou lors de nos cabrioles au sol. Même que le Bartos ne m'a plus reconnue !

Faut dire que pour lui, ce cave, trois musiciens de langue anglaise se détachent du lot dans ses affinités électives. Zappa l’américain d’origine sicilienne et sarrazine avec un z qui veut dire Zappa (sur l’air de Zorro), Daevid Allen l’australien autour du « Gong » et Zéro le héros, avec enfin Robert Wyatt l’anglais du Soft Machine et de tous ses dérivés, qui ont révolutionné en avant la zizique des années 70.

A écouter le Guy dans cette interview pour RLDH TV, j’y apprends qu’il fut enseignant en primaire à mi-temps et tout à la fois journaliste à Libé, le Magazine littéraire, Muziq et Jazz magazine. C’est vous dire l’étendue de sa polyvalence éditoriale.

D’ailleurs et c’est très net, vis-à-vis de ses collègues des revues de rock qui n’écrivent que très rapidement avec un éventail restreint de vocabulaire résumé à peine à 100 mots, Guy lui s’exprime dans l’aisance, de façon construite et avec style. Il est l’auteur, pardi, de trois romans publiés mais aussi d’ouvrages consacrés à des littérateurs très singuliers, tels Joseph Delteil et André Hardellet. Sans oublier ceux déjà dédiés à Frank Zappa.

Vous l’avez compris, cette bio de Zappa se lit facilement et de façon agréable comme un roman chronologique qui n’a rien de morbide. Bien au contraire. Guy, pour si bien connaitre Zappa et se glisser dans sa peau, en tient lui aussi une sacrée couche d’humour, de révolte et de joie vivre, toutes communicatives entre ses lignes.

Les médias ne s’y sont pas trompés. Guy Darol proclame haut et fort pour Libé. Je le cite : « Je milite pour que la posture musicale et politique de Frank Zappa soit entendue ». A bon entendeur, salut. Je te reçois cinq sur cinq, Guy, les esgourdes aux abois prêtes à être surprises et prises au dépourvue, tant Zappa touche à toutes les musiques avec brio. A moins d’être sourd, il ne peut laisser indifférent.

Guy Darol exprime forcément dans son ouvrage la vie en actes subversifs de Zappa, mais aussi il a donné de la voix pour France Culture lors de la fameuse émission qui porte son nom à merveille : « Mauvais genres » de François Angelier. Elle fut enregistrée très récemment en public lors du salon radiophonique du livre sous le titre : « Frank Zappa Dada en action ».

https://www.franceculture.fr/emissions/mauvais-genres/frank-zappa-ou-dada-action

Le mouvement Dada, vous connaissez forcément quelques bribes du canasson au galop qui fut créé à Zurich en 1916 au Cabaret Voltaire, par une bande de joyeux drills interlopes autour de Tristan Tzara. Dada voulait faire éclater toutes les conventions passées par un boumboum manifeste qui allait submerger toutes les capitales européennes. James Dean pouvait bien se coucher, Dada avait fait exploser sa fureur de rire par sa philosophie de l’existence créative. Le Bartos confus me souffle que le courant Dada berlinois d’essence libertaire fustigea la guerre, l’expressionnisme et les débuts de l’art abstrait. Même que dans les conférences de jeunesse du Bartos consacrées au groupe expressionniste die Brücke (le Pont), il expliquait que ce mouvement fut considéré comme révolutionnaire et anticonformiste. Puisque selon des critiques zélées et coincées des quinquets, les artistes étaient comparés à des singes hurleurs qui jetaient la peinture sur les toiles. Le Bartos, totalement aveuglé par son amour pour die Brücke, achevait sa parlote troublée par Dada, qui allait succéder et qu’il qualifiait de nihiliste, sans retour ni avenir. Guy Darol à travers Zappa lui a ouvert l’esprit et les neurones. Qu’il en soit remercié. En effet, Zappa était aussi Dada. D’ailleurs, en préambule de son ouvrage, Guy cite Picabia qui hennit lui aussi de son temps sa révolte dans un charivari joyeux et carnavalesque, dont on retrouvera l’esprit dans l’album Broadway the Hard Way (1988) de Zappa. Sa dernière tournée avec 11 musiciens où il a balayé d’un battement d’aile tout le spectre de son œuvre musicale. Les scènes de ses multiples concerts furent inondées de rythmes bigarrés de pop, reggae, jazz, hip-hop, génériques de séries tv, avec un standard du jazz : « Stolen Moment » et même la présence de Sting pour un chant de « Police ».

Autre clin d’œil Dada non feint de Frank encore jeunot et sans moustache, du haut de ses 23 balais il se présenta à l’émission de télé le « Steve Allen show » pour interpréter une œuvre et caresser avec archer et baguette, la bicyclette de sa sœur. Marcel Duchamp qui œuvra à présenter une « Roue de bicyclette » en 1913 aurait apprécié cet hommage à son art !

Guy Darol aux sources des origines de la famille Zappa nous rend compte des couleurs, des saveurs et des mouvements sociaux de la Sicile où entre 1900 et 1913 plus de un million d’habitants quittèrent l’île pour les Etats Unis. Francis le pater de Frank a raconté comment il lui fut difficile d’être admis en tant que migrant italien. Il obtint son diplôme d’ingénieur, déménageant souvent de boulot en boulot. La maman Rosa était assez bigote. Masque à gaz oblige, Francis travailla même pour un important laboratoire de produits chimiques, classé top secret défense ! Le jeune Frank était considéré comme « espiègle » par son institutrice, qui lui enseignait le goût des travaux manuels. Elle lui donna l’occasion de fabriquer des marionnettes pour amuser son entourage. Ce goût des personnages animés et des décors, on le retrouvera dans ses films. Chiadé potos, sûr qu’on se serait bien entendus tous les deux ! Souvent malade à cause d’asthme et otites à répétition, « Une fois sur pied, son passe-temps favori était de chercher la formule de la poudre à fusil. Le but qu’il s’était fixé était de provoquer de petites explosions. Il voulait suivre l’exemple de son père et devenir chimiste » (page 31). Plus tard, il mettra le feu aux poudres par ses œuvres musicales et visuelles…

Il eut la chance d’avoir un prof de musique, Robert Kavleman, digne de l’ouverture d’esprit d’un Guy Darol qui « estimait que l’écoute musicale, quotidienne, répétée, était une technique d’apprentissage bien plus féconde que l’exégèse, si souvent fastidieuse, ce dernier ne théorisait pas à longueur de cours sur l’atonalité ou la parité intervallique mais préférait diffuser des œuvres d’Arnold Schönberg, d’Alban Berg et d’Anton Webern ». (page 49). En plus de cet enseignement digne de nom, Frank, fasciné par Ionisation de Varèse, s’ouvrit le cœur à son professeur qui l’instruisit avec bienveillance en lui recommandant de se renseigner par lui-même.

Ce qui forgea à jamais l’esprit de Zappa à l’autodidactie : « Si vous voulez vous faire baiser, allez à l’université ; si vous voulez apprendre, allez dans une bibliothèque ». (page 50) En plus des arts de l’oreille et des sons, Frank dessinait avec pertinence.

Le 9 mai 1965, jour de la fête des mères, naquit le groupe The Mothers of Invention, émanation au départ de rhythm’n’blues et Soul Giant et ce que j’appellerai des chansonnettes débiles d’amour détournées avec soin. Il aurait tout aussi bien pu s’appeler Motherfucker, (l’équivalent en français de fils de pute) trop hard pour l’imprésario et producteur ! « Mothers of Invention, ce qui évoquait une matrice pouvant accoucher d’un monstre ou d’une musique mutante » (page 127) et qui correspondra toujours à l’œuvre de Zappa totalement inclassable, comme un vaste chantier de collages musicaux très provocateurs. Un peu brouillon au départ du moins je trouve, moult musiciens s’y produisirent avec deux spécimens de voix que j’adore et qui me défrisent toujours autant les poils du pubis, quand je les entends même encore maintenant. Je veux parler de Mark Volman et Howard Kaylan. En 1970, Zappa reconfigura les Mothers en raccourcissant légèrement le nom du groupe. Ce serait trop long d’évoquer toutes les pointures musicales qui s’y sont essayées. Je m’attarderai juste sur deux noms fameux. George Duke clavier à la voix chaude et Jean-Luc Ponty, jeune français débarqué aux states après un premier prix de violon au conservatoire. Lors de leur audition, « Zappa visiblement écœuré s’écria : « Je ne peux pas jouer avec ces gars. Ils sont trop forts pour moi » (page 178). Ce qui signifiait son enthousiasme de les engager. S’en suivit le King Kong, célèbre morceau que je vénère in l’album Uncle Meat (1969). A côté du quel Gare au gorille de Georges Brassens fait pâle figure angélique. Le King Kong avec Ponty au violon revisité charme encore et toujours mes oreilles sensibles.

 Zappa vivait à 100 à l’heure, tout comme l’autre géni de Boris Vian. Ils s’usèrent vite et eurent (snif) la vie brève. Capable de travailler 16 heures d’affilée, clopin clopant du tabac et se dopant au kawa dans son studio d’enregistrement. Fusant sur ses bandes à coller, collectionner ses concerts en images et en sons et les montant dans un vaste collage digne du « Rubrique-à-brac » du regretté Gotlib. Où chaque infime détail nous contait, il était une foi d’athée, une histoire intemporelle. En effet, Zappa concevait son travail de créateur selon une courbe à phase giratoire qui abolissait les notions de temps que nous connaissons. Ainsi, « il proposait une cosmogonie dans laquelle la durée était vue de manière cyclique et il s’attacha à déjouer la flèche du temps pour montrer que sa musique était construite comme un monde en soi ». (page 157). Autrement dit, les évènements présents et à venir se déroulaient en même temps et sur le même plan. Les pochettes des disques, véritables œuvres graphiques et visuelles de Carl Shenkel qui fut l’artiste attitré de Zappa entre1968 et 2010 sur 25 disques, garantissaient le complément d’objet direct entre les musiques et les paroles de l’album. A tel point qu’à la fin, Zappa était parvenu à reconstituer ses concerts à la seconde près où il était capable de coller des intervalles des sons, des bruits avec l’interprétation de tel musicien ayant joué dix voir vingt ans plutôt la même composition en les mixant avec les interprètes actuels, reconstituant à l’infini son orchestre idéal. « Ce que j’essaie de décrire, c’est l’attention qu’il convient d’accorder à chaque parole, chaque mélodie, chaque arrangement, chaque improvisation, à tous les éléments figurant dans un album, y compris à la pochette qui est une extension de la matière musicale, au choix de ce qui est enregistré, publié et / ou exécuté lors d’un concert, à la continuité ou aux contrastes, album après album, ect... etc…. Tous ces détails font partie de la GRANDE STRUCTURE ou du corps principal de l’œuvre… » (page 156)

D’autant qu’en tant que maestro, il était très difficile voire impossible sur les termes de l’engagement de ses musiciens, qui reposait d’abord sur la virtuosité de l’instrumentiste, sa capacité souvent à chanter. Certains auraient pu opposer, chanter ce n’est pas jouer, comme Robert Wyatt qui avait dit haut et fort, qu’il était inconcevable d’être à la fois batteur et chanteur dans une formation. Certes, à son corps défendant, il pouvait le faire. Ce qui lui coûta tout de même d’être viré du Soft Machine à partir de l’album Third, bien après qu’il ait joué Thank you Dada ! Ce que le génial Terry Bozzio démentira avec brio lors de son cheminement avec Zappa. Idem plus proche de nous, le chanteur danseur égyptien, qui s’était électrocuté dans son bain avec son gode en 2220 volts. Ca s’en va et ça revient… tu m’étonnes !

Une autre règle d’or sur laquelle Zappa ne transigeait jamais et qu’il imposa durant toute son existence, c’était l’abstinence totale sur scène ou en répétition de la prise de substances hallucinogènes. « Chaque fois que vous prenez de la dope en pensant trouver l’évasion, vous vous laissez enfermer dans la main du gouvernement. Chaque fois que vous en utilisez, vous devenez un pion ». (page 107)

J’aurai aimé aussi parler à propos du bestiaire de Zappa et la figure tutélaire du caniche et ses fameux détournements. Son goût immodéré pour les dessins animés, les BD et les films d’horreur mais aussi de son talent de compositeur et chef d’orchestre de musique savante. Ses frustrations relevaient au même titre qu’un Léo Ferré jamais reconnu en tant que compositeur chef d’orchestre de musique dite classique, en ce qui le concernait. Idem lors de sa déception et son travail avec Boulez. Avec à la fin de sa vie, son Yellow Shark (1993) interprété de main de maître en Europe qui lui fit couler des larmes de satisfaction et d’émotion…

Le boléro de Ravel revisité de façon rythme reggae :

Zappa avait entrepris d’égrener sa liberté artistique sur tous les azimuts. A contrario, il s’avérait en fait du point de vue politique un tantinet réac : « je me range (on ne rit pas) parmi les conservateurs pragmatiques  » et « Le communisme ne marche pas car il ne correspond en rien à la nature humaine ». Avec à son apothéose : « La politique est le département loisir de l’industrie ». (page 167)

Même s’il murit à la fin de sa vie sur cette conception, puisqu’il avait entrepris une enquête de faisabilité pour se présenter aux élections présidentielles, dans un esprit de grande farce à la Coluche. Lenny Bruce fut un modèle dans sa jeunesse. Ce qui expliquerait peut être cela, son talent du verbe et de dérision !

Zappa toujours à contrecourant des idées reçues aurait pu ramasser un max de fric s’il avait chanté des odes au Pisse and love et cultivé ses pâquerettes. Il ne pensait pas comme notre Johnny national belge, que cheveux longs égal idées courtes. Il n’empêche, il n’accorda aucune foi au mouvement hippie. Visionnaire, il avait bien compris que les hi pipi hourra se transformeraient bien vite en yuppies. Il en fut de même en France avec nos soixante-huit attardés Mao Mao et gauchos, qui léchèrent bien vite la brosse à reluire du pouvoir et des médias au retour des barricades.

Dans ses deux films, 200 Motels (1971) et Baby Snake 1979), on ressent la verve de l’artiste aidé en cela par les kilos de pâte à modeler et ses thématiques habituelles de dérision à tout va, y compris de lui-même. Avec en suc, le miel du groupe sur scène autour du chef d’orchestre moustachu.

Je vous livre les deux bandes annonces pour vous en convaincre. Elles parlent d’elles-mêmes !

Venons-en aux engagements de Zappa pour comprendre la densité de l’honnête homme qui ne désarma jamais lors de ses croisades laïques contre les ligues de vertu et les puritains pur jus élevés du venin américain, avec son cortège de prédicateurs qui s’en fichaient plein les fouilles sur le dos des culs bénis.

Pour l’album « Sheik Yerbouti » (1979) il s’adonna aux foudres des courroux, avec la chanson I have been you parodie non feinte de I’m In You du propret Peter Frampton si coincé. Il en profita pour écorner dans les paroles le groupe de jazz fusion Return to Forever. Bob Dylan en prit pour son grade et la Jewish Princesse se sentit dégradée au premier degré. « Je veux une petite Princesse Juive géniale Une affûteuse, une tamponneuse, avec un tombereau pré-humidifié Une petite Princesse Juive effrontée Aux tétons titanesques et au clito décapé à la sableuse Elle peut même être pauvre Tant qu'elle fait ça à quatre pattes ». Pour la peine, il fut taxé d’antisémitisme. Idem pour Bobby Brown : « Bon Dieu, je suis le rêve américain Mais maintenant je pue la vaseline Et je suis un misérable fils de pute Suis-je un mec ou une dame… Je ne sais plus ». Il fut taxé cette fois d’homophobie. Il répliqua à ses diffamateurs, telle l’Anti diffamation ligue (digne de la clique du mariage pour tous et vogue la galère du côté du Fion et de la facho sphère de chez nous), qu’elle « fabriquait une image lyophilisée de tout le peuple juif » impliquant une représentation artificielle et contrôlée ». Il rajoutait : « j’ai le droit de dire tout ce que je veux sur n’importe quel sujet. Si vous n’avez aucun sens de l’humour, faites comme si les seins n’existaient pas ». (page 229). A propos des seins de la belle princesse, il rétorqua (le père Fellini aurait apprécié), qu’en Italie, au pays de ses ancêtres il avait croisé des poitrines identiques à celle de la chanson. Il n’empêche il en fut très affecté de ce retour à l’ordre moral qui s’attaquait directement à sa liberté de création.

Il perdit trois fois hélas la lutte acharnée contre le marquage au fer rouge, style X pour le cinoche, qui serait appliqué aux créations musicales.

De fait, dans toute son œuvre dès les débuts, Zappa était coutumier des paroles épicées et imagées, gage de sa liberté d’expression. Il s’en prenait aux symboles puritains de l’Amérique profonde de la clique à W. Bush, Reggan et consort.

« L’album Joe’s Garage brassait dans un vocabulaire cru des thèmes qui accusaient l’empire du Bien sous toutes ses formes, qu’il soit gouverné par la religion, la science de la publicité, les manipulateurs sectaires, les correcteurs de langue impure ou les marchands de musique émolliente. Au-delà de ce réquisitoire, le programme qui était proposé appelait à une vie heureuse où le sexe joyeux définissait la norme contre les préceptes inculqués par d’imbéciles bigots ou de ridicules gourous ». (page 233)

Il s’engagea contre la guerre du Golfe en citant Lawrence d’Arabie.

En 1987, la campagne électorale pour les élections pestilentielles vit l’affrontement entre Dukakis et Bush. Zappa la commenta à sa manière. De même qu’il brocarda l’hypocrite télévangéliste Jimmy Swaggart, magnat de l’Eglise électronique qui priait pour la fidélité à son portefeuille bien rempli du fruit de ses ouailles à plumer. Il avait recours pour se vider les couilles aux bons soins d’une prostituée. Trop heureux, Zappa le mit en scène en chansons.

Juste un petit mot sur la dernière tournée où les musiciens tellement aguerris parvenaient à se lâcher, après un traitement rude à répéter durant une semaine dix heures par jour. Zappa mettait la barre si haut qu’il donnait à jouer des partoches que lui-même n’était pas capable d’interpréter à la guitare. C’est ainsi qu’il créa ce qu’il appelait les « cascadeurs du manche ». Je pense entre autre à l’époustouflant Steve Vai.

En passant, j’en profite pour saluer le lien de ce site qui m’a permis de piger les paroles des principales chansons de Frank Zappa : http://www.fredunzel.com/

Forcément je n’ai pas pu aborder tous les points de la personnalité si riche de Zappa l’homme-orchestre, le cinéaste, producteur, metteur en scène, parolier, le musicien et j’en passe des meilleurs…

Avec plus de 100 albums à l’affiche au grand jour et moult DVD et il continue d’en sortir de nouveaux chaque année… A tel point que Jazz Magazine lui consacre régulièrement un dossier où forcément Guy Darol apparait.

Vous trouverez en plus dans le fameux livre, les risques du métier pour Zappa sur scène, avec au feu les pompiers à Montreux en Suisse…

L’utilisation du saint-clavier par Zappa capable de remplacer tout un orchestre…

La famille Zappa, femme et enfants…

Zappa ministre de Vaclav Havel…

Le langage non-verbal de Zappa sur scène pour indiquer un changement de tempo…

Zappa play guitar…

Ouf ouf la touffe, cette chronique m’a littéralement épuisée, j’ai droit à une bonne banane pour me la fourrer profond et la déguster avec mes aminches de la forêt du Médoc.

Je vous donne quelques propos des musicos à propos du maestro.

Steve Vai : « Il pouvait même parler avec ses sourcils »

Steve Vai : « Il avait une aura unique. Quand vous étiez à ses côtés, pas question de manquer un mot, un geste de lui. Bon sang, il a même eu l’audace de mourir avant nous ! »

Don Preston : « L’une des difficultés d’être dans The Mothers, c’est que vous aviez appris à jouer un morceau d’une certaine manière, elle changeait la semaine suivante, et parfois radicalement au point qu’on ne pouvait pas le reconnaitre ».

Terry Bozzio : « Le seul et unique bon côté du fait qu’il ne soit plus là, c’est que ma peur a disparu quand il est mort. La peur qu’il m’appelle pour me demander de jouer quelque chose que je serai incapable de jouer ».

(Citations empruntées à Jazz Magazine numéro 644 de décembre 2012)

En tout cas un grand merci à Guy de m’avoir fait découvrir certaines facettes du personnage Zappa que j’ignorai. A votre tour de réviser votre Zappa illustré, vous ne serez jamais déçu.

Merci pour son travail gigantesque, à son style abordable et travaillé digne d’un écrivain qu’il est et qui se respecte. Merci aussi de nous dire haut et fort que Frank Zappa n’est pas mort et qu’il plane au-dessus de nous comme un parfum de liesse libertaire joyeuse et créatrice dans la dérision, pour faire reculer tous les totalitarismes d’Est en Ouest et les coincés du cul. Suivez mon regard aiguisé du côté de Trump où l’expression de la beauferie généralisée mariée à la haute finance du fascisme ordinaire continue son œuvre de décervelage, que Zappa a toujours combattu durant toute ses œuvres.

Guy Darol : Frank Zappa (inédit), in collection Folio Biographies, numéro 137, éditions Gallimard, 352 page, 9,20 euros, octobre 2016



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