mercredi 18 mars 2015 - par C’est Nabum

La Croisée des vents

Anti-critique de cinéma

Film épistolaire et nécessaire.

Je sors d'une séance de cinéma, bouleversé par un film difficile, étrange, envoûtant, exigeant. Une curieuse production cinématographique qui échappe aux formes habituelles, convenues de la narration filmique. J'invite ceux qui veulent encore échapper aux canons esthétiques que nous impose l'industrie hollywoodienne d'oser l'aventure de ce curieux voyage dans le monde des images et de l'Histoire. Quant aux autres : définitivement ce film n'est pas pour eux !

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Un film estonienien : voilà déjà une incongruité dans ce monde du formatage et de l'uniformité visuelle. Vous qui n'aimez pas les sous-titrages et leur préférez les pop-corns, passez votre chemin. Vous décrocherez si vite que vous n'irez pas au bout du premier quart d'heure car ce film se mérite : il faut accepter son incroyable parti-pris narratif sans se rebuter ni fuir devant sa force incroyable.

Un film qui retrace une histoire effacée, niée, oubliée parce qu'elle a été annulée par une formidable négation collective. Au vingtième siècle, il y eut deux grandes nations génocidaires, deux monstres sans humanité qui ont déporté, humilié, exterminé des populations entières. Seule l'Allemagne nazie a hérité du label officiel quand l'URSS a échappé à l'anathème en effaçant scrupuleusement les traces de son infamie.

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Parmi les crimes de la Russie éternelle : la déportation massive des estoniens le 14 juin 1941-pratiquement dans le même temps que son ancien allié en atrocité- n'a pas eu l'honneur des livres d'histoire. Il faut reconnaître que les bourreaux ont eu la délicatesse de détruire les camps, de supprimer les archives et de laisser se perdre les survivants dans l'immense Sibérie.

Alors, pour rendre compte de cette mémoire, Martti Helde, le réalisateur, avait le choix de reconstituer des lieux en fabriquant en carton-pâte les décors de l'horreur ou bien d'inventer une nouvelle forme de narration. C'est la seconde hypothèse qu'il a choisie pour nous plonger, sans véritablement nous la restituer, dans une aventure terrible et inhumaine. Le spectateur ne peut sortir indemne de sa formidable production, qui s'inscrit désormais dans les œuvres incontournables de l'histoire du cinéma.

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Il a pris pour trame narrative quelques lettres écrites par une survivante : Herna, alors qu'elle était plongée au cœur de cette tragédie. Une voix lancinante, profonde, nous lit ces quelques mots, si pudiques, si puissants, tout en cherchant toujours la forme la plus poétique possible pour esquisser l'inénarrable. C'est beau, c'est envoûtant, c'est troublant tout autant.

Mais, le cinéma, ce sont des images. Martti Helde nous en propose que, jamais, vous n'oublierez. Non qu'elles vous fassent pénétrer dans l'abjection : non, c'est même le contraire. Pas de cris, pas de sang, pas d'atrocité … Le temps a tout figé, les humains, les humains seulement, sont devenus des statues de chair, des sculptures dévastées par ce qu'elles ont vécu.

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La caméra évolue dans ce musée de cire, le vent seul rappelle que la vie est passée par là, qu'elle a soufflé sur ces pauvres gens, oubliés de tous. Le noir et blanc est un choix esthétique d'une rare intensité ; il est impossible de sortir indemne de cette projection, de ce récit lent et troublant. Vous devenez acteur de ce drame, spectateur d'une page de l'histoire qu'on a voulu vous cacher.

Je ne souhaite pas en dire davantage. Je souhaite que vous ayez le même choc que j'ai éprouvé en me rendant à cette projection sans rien savoir de ce film. C'est ainsi qu'il faut agir, il me semble, pour juger par soi-même et ne pas être influencé par nos chers prescripteurs douteux.

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Il est nécessaire de découvrir une histoire qui, si elle ne se répète pas aujourd'hui, permet sans doute de comprendre qu'entre Staline et Poutine, il y a parfois des similitudes qui réveillent les démons d'une volonté impérialiste sans limite ni humanité. C'est aussi pour ça qu'il faut oser la démarche exigeante d'aller voir le film : « La croisée des vents ! » D'autres vents mauvais soufflent de par ce monde, que nos médias frileux sont incapables d'exprimer sans images spectaculaires.

Mystérieusement sien.

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2 réactions


  • L'enfoiré L’enfoiré 18 mars 2015 15:04

    Bonjour Nabum, 

    Pas à dire, vous avez le don d’intéresser et de motiver. J’apprécie. C’est une excellente idée, ce film qui arrive probablement dans les circuits parallèles. Ici, à Bruxelles, je ne connais que peu de cinémas qui ne suivent pas l’actualité cinématographique habituel. Les petits cinémas de quartiers ont totalement disparu. 

    « Il est nécessaire de découvrir une histoire qui, si elle ne se répète pas aujourd’hui, permet sans doute de comprendre qu’entre Staline et Poutine,... D’autres vents mauvais soufflent de par ce monde, que nos médias frileux sont incapables d’exprimer sans images spectaculaires.  »

    Cette conclusion me parait tout à fait exacte. Mais rien ne se reproduit de la même façon.
    Crises et méthodes dictatoriales changent. Nous les créons parfois nous-même, sans le vouloir.
    Qui peut le plus, peut le moins.
    Vous parlez de médias frileux incapables d’exprimer... sans spécifier quel médias.
    Internet, Avox sont aussi des médias.
    Consultez les articles sur ce forum. Comptez les articles qui parlent de la France et des autres pays et vous comprendrez que les vents venus d’ailleurs n’ont pas la cote. On s’en fout complètement. 
     

    • C'est Nabum C’est Nabum 18 mars 2015 15:31

      @L’enfoiré


      Humble petit marin je suis à l’écoute de tous les vents ...

      Est-ce un défaut ?

      Je sais qu’Agoravox est un média pourtant pour moi, c’est autre chose. Je ne peux m’y faire.

      Merci pour le compliment

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