mercredi 1er octobre 2008 - par
La preuve par l’image
Ou plutôt toute la quintessence de son subjectivisme. Et c’est là tout l’intérêt d’une exposition se déroulant en ce moment même à deux pas de Strasbourg, dans la localité de Schiltigheim pour être plus précis, sous le titre bilingue d’Images mensongères/Bilder die lügen.
De A à Z, chaque lettre de l’alphabet latin est employée tel un parcours initiatique pour mettre à bas nombre de supercheries qui jalonnèrent la falsification des images fixes puis animées depuis un siècle.
De prime abord, l’on pourrait reprocher à l’exposition une vision germano-centrée trop prégnante, seulement ce serait faire un bien mauvais procès à une telle démonstration puisqu’elle offre surtout l’opportunité de découvrir que du totalitarisme à la démocratie actuelle, l’Allemagne n’a jamais été à l’abri de la manipulation informationnelle. Et pour corroborer cet intérêt, le statut particulier de ce pays durant la guerre froide invite les visiteurs à un fascinant voyage des deux côtés du mur.
On pourrait aussi s’étonner que la fameuse photographie de Lénine prise en 1920 devant le théâtre Bolchoï de Moscou et retouchée ultérieurement par Staline pour y faire disparaître Trotski puis Kamenev [1] côtoie le bourrelet dissimulé par Paris-Match du président français lors de sa virée à Wolfeboro lors de l’été 2007 et être tenté de conclure en évoquant une approche par trop légère du sujet. Il n’en est rien. Car si effectivement les conséquences historiques ne sauraient être rapprochées, l’intention de falsifier une vérité, aussi anecdotique soit-elle, est identique et pose le souci premier de la véracité de la preuve iconographique.
Toute la méthodologie du dévoiement de l’image est décortiquée : retouche ; montage de séquences dans un ordre précis ; découpage de plans ; création de faux ; interprétation orientée, etc.
Entre les reportages bidons de Michael Born [2], les cadrages circonstanciés de scènes photographiées durant la guerre du Golfe (impressionnant à ce titre où à partir d’une image unique on peut faire accroire à de la brutalité ou de l’humanité rien que par un effet de découpe ciblée) et un petit passage par un numéro d’illusion d’optique, le visiteur lambda pourra difficilement dès son retour regarder son journal télévisé préféré sans rehausser sa perception critique.
Entre les reportages bidons de Michael Born [2], les cadrages circonstanciés de scènes photographiées durant la guerre du Golfe (impressionnant à ce titre où à partir d’une image unique on peut faire accroire à de la brutalité ou de l’humanité rien que par un effet de découpe ciblée) et un petit passage par un numéro d’illusion d’optique, le visiteur lambda pourra difficilement dès son retour regarder son journal télévisé préféré sans rehausser sa perception critique.
Remarquable par sa qualité, l’exposition fait aussi la part belle à l’interactivité. Ainsi très didactique est cette borne écran où après avoir sélectionné une des quatre scènes existantes, le visiteur est amené à la « décorer » en y plaçant divers personnages en activité dans des situations pré-enregistrée : le résultat est on ne peut plus bluffant et l’on saisit très rapidement quel est le dessein d’une telle démonstration d’incrustation numérique…
Et pour certains, ce sera l’occasion de revisiter de grands moments de l’Histoire immortalisés par les photographes du moment : on savait déjà que la fameuse photographie du drapeau soviétique flottant sur les ruines du Bundestag était une composition post-victoire, dans la même veine la non moins fameuse photographie qu’est celle de soldats Américains érigeant leur drapeau national sur l’île d’Iwo Jima conquise de haute lutte n’est pas la première qui aurait dû normalement prévaloir. Trop conventionnelle, elle fit place au cliché d’un second photographe (Joe Rosenthal) que nous connaissons de nos jours et autrement plus chargé en émotion. Ce faisant elle passe injustement sous silence l’action de ceux qui les premiers et au péril de leur vie gravirent le volcan Suribachi.
Ce qu’il y a de troublant dans ce cheminement à travers la galerie c’est une forme d’intemporalité de la manipulation de l’image et de son usage comme arme de propagande. Et aussi d’en arriver au constat que les démocraties ne sont aucunement à l’abri de telles dérives, les populations étant souvent bien trop confiantes en leur propre vérité officielle. D’ailleurs, il est subrepticement suggéré à un moment de cette déambulation que l’autocensure revêt aussi un aspect subtil de la désinformation.
Impossible de résumer en un article tout ce qui constitue la richesse de cette démonstration qui poursuivra sa route itinérante jusqu’au Lichtenstein, j’ajouterai seulement pour clore mon témoignage que de telles expositions sont utiles pour relativiser le flot d’informations visuelles s’imposant à nous quotidiennement, et avec encore plus d’acuité à l’ère du tout numérique. Dès lors, je ne puis que vous recommander chaudement d’y opérer une visite si d’aventure vous deviez vous trouver non loin de Strasbourg.
Exposition à l’hôtel de ville de Schiltigheim, 110 route de Bischwiller, jusqu’au 19 octobre 2008. Pour plus d’informations : 03 88 83 84 80.
Ligne 4 en venant de Strasbourg, sortie place de Haguenau/Institutions Européens par l’A4/A35.
[1] Si le sujet vous intéresse, je puis vous recommander cette analyse parue sur le site d’Arte.
[2] Il sera convaincu par le Tribunal de Coblence de falsification sur plusieurs reportages vendus, et se verra infliger une peine de quatre années de prison.