mardi 10 juin - par Vincent Delaury

« La Venue de l’avenir », le film du moment, nostalgique mais pas passéiste, qui fait du bien !

C'est le succès français de ces derniers temps : déjà plus de 400 000 spectateurs ont vu La Venue de l'avenir (sorti le 22 mai dernier, long-métrage présenté « hors compétition » au dernier Festival de Cannes), le dernier - et quinzième - film du réalisateur Cédric Klapisch (63 ans), connu pour ses films populaires, choraux et fédérateurs (Le Péril jeuneChacun cherche son chatUn air de familleL'Auberge espagnoleParisEn corps...), s'apparentant à des comédies sociétales mettant en scène des liens intergénérationnels et brassant souvent, façon fontaine de jouvence grisante, élan pour la jeunesse, quête d'identité, relations humaines, passage à l'âge adulte, et construction de soi à travers le voyage, la mixité culturelle, les arbres généalogiques et les liens familiaux. Ici, ne dérogeant pas à la règle, mais avec une nouveauté qui le fait retrouver, mine de rien, le geste de l'un de ses premiers courts-métrages Ce qui me meut (1989), qui revisitait le Paris d’avant-1900 en présence du chronophotographe Étienne-Jules Marey - à savoir : aborder avec gourmandise le film en costumes (le Paris fin de siècle) -, Klapisch revient sur l'idée de filiation, d'héritage et de transmission, en signant un film millefeuille généreux sur une famille élargie d'aujourd'hui qui hérite d'une vieille bicoque en Normandie, tapissée de moult photos en noir et blanc d'antan et d'objets chargés d'une vie passée, cachant bien des secrets.

De quoi ça parle précisément ?

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2025-1895 : quatre cousins (Zinedine Soualem, Julia Piaton, Vincent Macaigne, Abraham Wapler) sur les traces de leurs aïeules, Adèle et Odette, du temps des impressionnistes

En 2024, une trentaine de personnes issues d'une même famille apprennent qu'elles vont recevoir en héritage une maison abandonnée depuis des années. Quatre d'entre elles - Seb, Abdel, Céline et Guy — sont chargées d'en faire l’état des lieux. Ces lointains cousins - respectivement un jeune créateur de contenus digitaux, branché réseaux sociaux ; un prof de lycée fatigué et quelque peu vieux jeu ; une cadre du tertiaire, trentenaire surmenée en errance sentimentale ; et un apiculteur un peu perché - découvrent bientôt des trésors cachés dans cette vieille bâtisse. Ils vont alors se retrouver sur les traces d’une mystérieuse Adèle, qui a quitté sa Normandie natale à 20 ans. Cette Adèle se retrouve à Paris en 1895, au moment où cette ville bouillonnante, ne manquant pas, comme par hasard !, de talents à tous les coins de rue, est en pleine révolution industrielle et culturelle.

Pour la petite histoire, ce film joliment feuilletonnesque, à la Eugène Sue (façon Les Mystères de Paris, en tant que roman-feuilleton au long cours offrant une place maîtresse à Paname), La Venue de l’avenir — titre, au passage, pas si terrible que ça, on a envie de lui trouver illico des déclinaisons possibles (L’Avenue de l’avenirLa Vénus de l’avenirLa Venue de la vieLa Vue de l’avenir et autres Velours de l’avenir), voire une contrepèterie grivoise qui s’y cacherait, se jouant de l’inversion de certains sons (L’anus de l’avenir ?) — est né de l’envie de Cédric Klapisch, son réalisateur, de faire tout bonnement un film d’époque ; il situe son histoire à la fin du XIXe siècle : « Je suis fasciné par cette période, sans doute parce qu’il y a beaucoup de choses qui ont été inventées à ce moment-là, il y avait clairement une effervescence… et puis j’aime les costumes, les décors et l’esthétique de la fin du siècle. »

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Le cinéma, une lanterne magique de souvenirs : « La Venue de l’avenir » (2025) de Cédric Klapisch

Une maison à remonter le temps

Avec La Venue de l’avenir, Cédric Klapisch signe une fresque ambitieuse, tendre et malicieuse, un « feel good movie » qui fait sourire, rire, rêver, parfois même… pleurer, à la croisée de la chronique familiale (on pense à L’Heure d’été, 2008, d’Olivier Assayas) et du voyage temporel, qui, comme cette appellation à l'américaine - en tant que genre - précise, fait vraiment du bien, agissant, en mode madeleine de Proust, comme un passage secret entre les époques (1895 et 2025), entre, en quelque sorte, l’écran d’un smartphone en bout de course (un iPhone bientôt aphone, celui de l'apiculteur lunaire, joué espièglement par le planant Vincent Macaigne) et les lueurs vacillantes d’un réverbère à gaz.

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Esprit Victor Hugo, es-tu là ? Chacun cherche son ancêtre : « La Venue de l’avenir » (France, 2025) de Cédric Klapisch

Le pitch ? Un jeu de piste mélancolique à plusieurs personnages (contemporains) s'enroule, façon carte au trésor dans une vieille maison à l'abandon (au portail grinçant non ouvert depuis 1944), autour d'un vieux tableau impressionniste qui, en ayant tout l'air d'être signé - au vu de sa facture virtuose (couleurs claires chatoyantes sentant bon le pleinairisme d'autrefois et coup de pinceau enlevé) - Berthe Morisot ou Claude Monet, pourrait bien s'avérer être un trésor national en puissance. Cet objet, parmi d'autres (dont de vieilles photos jaunies encadrées, avec deux portraits de femmes signés Nadar), agit comme une clepsydre temporelle : nous voilà projetés - alors qu’à l’inverse, avec son Peut-être, on allait tout droit dans le futur, en présence de Belmondo et de son « petit-fils » Romain Duris venu du futur dans un Paris post-apocalyptique - dans le Paris de 1900, à l’orée d’un XXe siècle qui s’ignore encore mythique, et ô combien dangereux (cf. ses deux guerres mondiales et son cortège de morts, appuyé, et amplifié, par l'efficacité froide de la technique moderne, mise au service de l'extermination planifiée par des hommes, de populations précises, dont les Juifs, les Tziganes, les homosexuels et autres opposants politiques, tels que communistes, socialistes et résistants).

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Suzanne Lindon est Adèle Vermillard, comme dans un tableau, aux couleurs vermillon, de Degas, dans « La Venue de l’avenir »

On s’intéresse non seulement à cette Adèle Meunier (jouée, de manière un peu figée, avec son regard tout du long impressionné, par Suzanne Lindon, fille de Sandrine Kiberlain et de Vincent Lindon), 21 ans, née Vermillard (ça sonne comme la couleur vermillon), qui, en quête d’identité (on la croirait tout droit sortie d’un tableau champêtre de Van Gogh ou du Titanic néoclassique de James Cameron), décide de partir retrouver sa mère (indigne ? En tout cas, prostituée dans une maison close, campée par la sémillante Sara Giraudeau, fille de Bernard Giraudeau et d’Anny Duperey) à Paris, où elle fera la rencontre de deux garçons, Anatole (Paul Kircher, fils d’Irène Jacob) et Lucien (Vassili Schneider, fils de Jean-Paul Schneider, acteur), un peintre et un photographe, qui rêvent tout haut de se faire un nom, mais également, en même temps (les flashbacks rétros laissant habilement place au temps présent, aux images plus lisses et plus tranchantes), aux descendants de cette aïeule « de prestige » (elle aurait connu une bonne partie du gotha artistique et du bottin mondain de l’époque !).

On est avec eux, dans cette maison abandonnée de fortune, vieille demeure de Normandie qu'un vilain promoteur aimerait racheter afin de mener à bien un vaste projet de zone administrative. Pas bien ! À travers cette traversée multipliant les allers-retours jouissifs entre 2025 et 1895, le « magicien » Klapisch nous balade – littéralement –, à la manière d'une séduisante rêverie mâtinant le transitoire et le permanent, le beau et le trivial, entre les tables bancales d’un bistrot de Montmartre, les coulisses flamboyantes du théâtre de Sarah Bernhardt (officiant même, très librement, dans un grand restaurant parisien — on reconnaît les dorures et moulures du Train Bleu), les clichés figés et corsetés de Félix Nadar, les ateliers embués et floraux (Giverny et ses jardins japonisants !) de Claude Monet, et jusqu’aux premières projections fiévreuses du cinématographe estampillé Lumière, où, l'on s'en souvient (même si ce n'est pas directement montré dans le film — trop cliché ?), les spectateurs reculent, effrayés, devant l’arrivée d’un train.

La magie du film-gigogne qu’est La Venue de l’avenir réside précisément là : dans ce va-et-vient fluide entre passé et présent, dans cette dialectique rêveuse entre un monde qui s’invente et un autre qui se décompose, dans le vaudeville doux-amer du temps qui file. C'est un Paris d'autrefois pas mal fantasmé (on n'est pas loin par moments de la série télé Emily in Paris, avec ses bérets bohèmes de rigueur), à tendance touristique (on vient, et ça fait rêver !, chercher du lait frais en quittant le Paris des boulevards haussmanniens, à la Caillebotte, pour gambader dans le maquis proche du chemin buissonnier). Nul doute que cet héritage artistique à la française peut plaire à l’internationale - asucieusement, Les Cahiers du cinéma, dans le n° 821 (juin 2025) ont titré leur critique du film « France culture », cela veut tout dire. D'ailleurs, avant sa présentation hors compétition à Cannes le 22 mai dernier, La Venue de l’avenir avait déjà vu ses droits de diffusion acquis par pas moins de vingt pays étrangers (info du Canard enchaîné).

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Dessin d’humour paru dans « Le Palmipède » n°5454, mercredi 21 mai 2025, page 6

Pour autant, ne boudons pas notre plaisir : la reconstitution du vieux Paris et des ateliers sensuels d'artistes peintres et photographes fait plaisir à voir. Nous sommes face à un film fédérateur et rassembleur, des plus divertissants, pas trop long, et posant un regard à la fois fasciné et - ouf - distancié (parfois) sur le milieu artistique de la fin du XIXe siècle. On ne se lasse pas de se laisser comme bercer par cette période fascinante, de grande effervescence artistique et industrielle, marquée par l'érection fière de la tour Eiffel, le développement spectaculaire du chemin de fer et de l'électricité, l'apparition de la photographie portraitiste avec Nadar, Monet et la naissance des impressionnistes, les éclats de Sarah Bernhardt et l'avènement du cinématographe des frères Lumière — un bémol tout de même : à l'inverse du Martin Scorsese de Hugo Cabret (2011), qui rendait ouvertement hommage au pionnier du cinéma, magicien de l'image et précurseur des effets spéciaux Georges Méliès, Klapisch ne fait pas suffisamment montre d'inventivité visuelle comme il se doit pour célébrer tout cela. Toutefois, sa machine à voyager dans le temps - c’est aussi ça, le cinéma - s'enroulant dans un jeu temporel plaisant et amusant (quand Victor Hugo drague sa descendante Céline/Julia Piaton, comme si l'on était dans l'émission Hôtel du temps d'Ardisson !), entre le passé, le présent et le futur, est suffisamment attractive pour retenir l'attention, voire susciter l'enthousiasme.

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Cédric Klapisch, ©photo StudioCanal

Un, deux ou trois mots du cinéaste à ce sujet justement (in La Croix n° 43327, jeudi 22 mai 2025, « Les costumes fabriquent un imaginaire nouveau », mots rapportés par la journaliste Céline Rouden) : « [Pourquoi avoir choisi 1895 ?] C'est l'année de la naissance du cinéma, je ne pouvais pas ne pas y faire allusion dans le film. Mais le vrai point de départ, c'est la naissance de l'impressionnisme, le premier salon en 1874 qui se tient dans l'atelier de Nadar, et la façon dont la photographie a modifié la peinture. Mon personnage, Adèle, naît cette année-là. Quand elle part à Paris, elle a 21 ans, et cela tombe en 1895… [Qu'est-ce qui vous fascine chez les impressionnistes ?] Les peintres sortent de l'atelier. C'est le début de la peinture sur le motif. Boudin a emmené Monet peindre dehors, puis Monet a entraîné à son tour Renoir. Et l'invention du tube va le permettre. Ils veulent décrire la modernité de leur époque, saisir l'instant. Une idée très proche de ce qu'a été la Nouvelle Vague pour le cinéma. C'est drôle à quel point les discours sont les mêmes, et les causes — les nouvelles technologies — produisent les mêmes effets.[Utiliser une IA pour reconstituer Paris en 1900 était une vraie prise de risque...] Je voulais éviter l'effet numérique. Avec les effets spéciaux et l'IA, il y a aujourd'hui des techniques pour recomposer des images du passé, et ça commence à devenir crédible sur le plan photographique. Peut-être que ce film n'aurait pas été faisable il y a cinq ou six ans.[Il y a une ambition picturale dans vos images. Quelles ont été vos sources d'inspiration ?] Le premier travail avec mon coscénariste [Santiago Amigorena] a été de regarder des livres de photographies, d'aller dans les musées - Carnavalet, Orsay, Marmottan, Le Havre - et d'y chercher l'inspiration pour bâtir le scénario. Nous avons ensuite utilisé l'imagerie impressionniste, leur façon d'utiliser les perspectives, le travail sur la couleur, pour avoir un grain d'image qui corresponde davantage à cette époque. »

L’avenir en clair-obscur - à la Monet

Klapisch, comme souvent, observe les époques à hauteur d’homme, de Pomme (la chanteuse contemporaine qui a le vent en poupe y fait une apparition chantée bienvenue) et de femme, en plaçant les sentiments au cœur de la modernité. Et, surprise, ce qui aurait pu virer au chromo fatal - ce qu'il n’évite pas toujours, cependant ! - et à la leçon d’histoire devient ici une méditation enjouée et débonnaire sur ce qui nous relie : les gestes qu’on transmet, les silences qui en disent long, les objets qu’on conserve, les récits qu’on s’échange de génération en génération, au coin du feu ou lors d'une séance de spiritisme sous substance hallucinogène - l’ayahuasca, une plante hallucinogène traditionnelle d’Amérique du Sud - autour d'une table possiblement mouvante, même s’ils se froissent parfois comme des lettres anciennes. L’héritage familial n’est jamais simple : il est à la fois fardeau et trésor, et Klapisch l’explore avec finesse, entre émotion contenue, passé composite troublant et humour discret.

Mais le réalisateur ne cache pas sa mélancolie face à notre époque. Il critique avec malice une modernité saturée d’écrans, de selfies instantanés, d’images jetables. À côté des poses figées et poétiques de Nadar, et de l'intemporalité des autochromes d'Albert Kahn pour fixer Paris dans son jus, les stories Instagram paraissent bientôt d’une vacuité inquiétante. Est révélatrice à plus d’un titre l’entame amusante du film, lorsque (la scène se passe à l’Orangerie de Paris, abritant les deux salles ovales immersives consacrées aux Nymphéas mythiques de Claude Monet), on voit que les tableaux immenses et circulaires all-over, annonçant, de par leur modernité de libre traitement, l’abstraction américaine à venir, ne sont plus que toiles de fond pour réaliser des selfies à la noix et des photos de mode. Une influenceuse m’as-tu-vu, consciente de ses charmes, pose dans la grande salle de l’Orangerie, entourée par une myriade de techniciens en jean-baskets. Mais sa robe flashy ressort mal sur les couleurs évanescentes subtiles de Monet, alors on se propose non pas de retoucher numériquement le vêtement à la mode mais, carrément, de retoucher… les Nymphéas ! Drôle d’époque, surfant sur l'ego surdimensionné démultiplié par les images de soi partagées partout, que la nôtre.

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Odette (Sara Giraudeau) et Adèle (Suzanne Lindon), mère et fille retrouvées, dans « La Venue de l’avenir » (2025, C. Klapisch)

Autre beau moment du film : nous sommes au Havre, havre de paix tranquille pour dame Peinture, loin du tumulte, dans une chambre d’hôtel, face au port. Le jeune Monet (32 ans) y termine son anthologique Impression, soleil levant (en 1872). Une jeune femme s’éveille à ses côtés, puis s’approche du chevalet et du tableau en cours d’exécution pour lui indiquer que le soleil de la réalité, contrairement à celui qui est réalisé sur la toile, n’est pas rouge. Le peintre, sûr de ses effets et de son art, lui rétorque alors : « Oui, mais il l’a été. » Voilà, Rouge le soleil (pour paraphraser Duras), l’art, c’est ça : capter un moment du temps présent, un été indien, la trace de ce qui a été, et le faire partager aux autres, tant à ses contemporains qu’aux générations futures : en quelque sorte, le flou de l’instant devient vision du futur, et ce travail sur l’instant présent, qui annonce la série de La Cathédrale de Rouen capturant la lumière changeante à différents moments de la journée ou de l’année, anticipe, pourrait-on dire, la temporalité mouvante du cinéma.

Et ce film La Venue de l’avenir, c’est aussi, dans une moindre mesure (car, classique dans sa forme, il n’a pas la modernité formelle d’un Monet ou d’un Jean-Luc Godard, fou amoureux lui aussi de la peinture), fixer, façon temps suspendus, des numéros d’acteurs attachants qui resteront, et rappeler l’importance de l’art, comme témoignage et supplément d’âme, pour dire son époque. En outre, Klapisch (devançant les critiques qui l’accuseraient - pas forcément à tort, d’ailleurs - de tomber dans un certain conservatisme en multipliant les clichés aux airs de chromos faciles) se montre malin dans l'une des scènes-clés de La Venue de l’avenir : un jeune homme, le vidéaste Seb, tombe amoureux sur les quais en filmant la chanteuse Pomme, sa future promise (attention spoiler, les Nymphéas de Monet, comme toile fédératrice, viendront confirmer leur histoire d'amour naissante à la toute fin), qui lui demande, un peu hésitante : « C'est pas un peu cliché, là ? » Et celui-ci de lui rétorquer alors tout de go, comme s'il se faisait faire-valoir du cinéaste Klapisch : « Paris, c'est Paris. C'est vieux, c'est cliché ! » Ici, tel un chat, le réalisateur retombe sur ses pattes, car il indique que si son film peut faire penser au Woody Allen de Minuit à Paris, amouraché de la capitale française et de son parfum bohème libertaire, alors ce n'est pas complètement innocent, c'est même voulu. Bien vu.

Le film La venue de l’avenir, toujours malicieusement, et avec un brin de mélancolie (ou nostalgie rêveuse, aux teintes pastel), fait alors, en creux, un vibrant éloge du temps long, des fantômes du passé à réactiver pour savoir qui on est, de l’image pensée, de l’art en tant que force tranquille, avec toutefois ses fragilités et ses frémissements, qui prend son temps pour se faire (la peinture faite main, à mille lieues de la tyrannie de l'immédiateté) et de l’expression artistique comme trace – durable, transmissible, socialement située. C’est beau comme message, et tant mieux si ça peut nourrir la jeunesse actuelle, tel un viatique qui cultiverait le pas de côté pour se réaliser pleinement, se tenant à distance d’un esprit panurgique d’aujourd’hui, croulant sous le diktat de l’actualité frénétique, où il faudrait que tout aille vite.

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Portrait de l’actrice Philippine Leroy-Beaulieu dans Paris (jouant, avec esprit, la comédienne française culte Sarah Bernhardt dans le dernier Klapisch), ©polaroid VD, au Salon du livre, le 23 mars 2002

Visuellement, La Venue de l’avenir, c’est plutôt une réussite : les scènes du Paris (avant) 1900, illuminées par les débuts de l’électricité, telle une fée revigorante, regorgent de couleurs chaudes, de teintes sépia, de brumes, de lueurs. On y croise des figures majeures, parfois à la limite du caméo anachronique, mais toujours réjouissantes : Victor Hugo en vieux lion politique, Monet en maître pudique, Sarah Bernhardt flamboyante (réjouissante Philippine Leroy-Beaulieu, actrice trop rare (Trois hommes et un couffin, Jefferson à Paris, Vatel, Deux frères, L’Amour en héritage…) qu’on aimerait voir plus longuement à l’écran tellement son panache ironique électrise — aux côtés de Fred Testot en Nadar, dans la séquence où elle apparaît brièvement). Mention spéciale également à Cécile de France qui joue avec malice, et on imagine avec délectation, une conservatrice de musée, au nom particulièrement fleuri (Calixte de La Ferrière !), à la voix limite guindée de bourgeoise précieuse, s’écoutant parler — parangon notoire de l’aristocratie culturelle des dirigeants de musées.

Le film n’hésite pas à en faire trop, mais on lui pardonne : c’est un feu d’artifice amoureux, envers notamment la Ville Lumière, un cadeau filmique fait à l’Impressionnisme, courant aventureux phare en peinture qui résistera magnifiquement au fil du temps, malgré le conservatisme pontifiant et revanchard des Pompiers, la concurrence rude de la photographie, et l’invention, en 1895, d’un autre art (moderne) enregistrant, lui aussi, le mouvement, les mille et une variations de la lumière et la présence de fantômes sous les Nymphéas de Monet (voir à ce sujet l’essai inspiré récent de Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie [2024, chez Flammarion], s’attardant sur les nénuphars de Monet comme requiem en eaux troubles qui cacherait, sous leurs abords fleuris diaphanes, des centaines de milliers de soldats tués au front de la Grande Guerre) : le cinématographe. La reconstitution est plus qu’un décor, elle devient un langage, presque un personnage à part entière, qui dit l’âme d’une ville et de sa créativité débordante. Certes, La Venue de l’avenir ne révolutionne pas la narration – le fil temporel, un brin classique, voire académique, s’enroule parfois sur lui-même, au risque, par moments, de laisser passer de bons gros sentiments et des images sulpiciennes un tantinet too much. Mais sa sincérité, son lyrisme doux et sa foi dans la capacité des arts à fixer l’éphémère l’emportent. Tout compte fait, le conteur humaniste Klapisch ne filme pas le passé comme un musée, mais comme une invitation à ralentir, à regarder, à comprendre d’où l’on vient pour savoir, peut-être, où l’on va. Souviens-toi : « Il faut aimer le passé pour inventer l’avenir.  » Ce n’est pas dans le film, mais on aurait juré que Victor Hugo (1802-1885) l’avait soufflé à Klapisch lui-même.

Ainsi, et c’est l’une des leçons attendues du film (au budget tout de même conséquent, 15,6 millions d’euros), regarder devant soi ne veut pas dire qu’il faut s’empêcher de regarder aussi derrière, de temps en temps. Et voir les promesses du futur des temps anciens (la photographie et le cinéma, en tant qu’« enregistrements du réel », venant chambouler le temps long de la peinture, art vieux de plus de 40 000 ans, si l’on remonte - à raison - à l’art pariétal sur les parois des grottes préhistoriques) permet certainement de mieux comprendre les menaces fantômes du temps présent, avec une création artistique – mais pas seulement – chamboulée par le tout-numérique et l’intelligence artificielle. « Ce pont entre deux époques, dit Cédric Klapisch (propos recueillis par Jean-Luc Wachthausen dans son papier du Point #2755, 15 mai 2025, p. 94, « Cédric Klapisch n’insulte pas l’avenir  »), permet aux personnages de s’interroger sur leurs racines culturelles, de se rapprocher, de mieux comprendre leur place dans la société. Je crois qu’on ne peut pas avancer ni penser le futur ou l’avant-garde sans fouiller dans notre passé. [Ici, l’héritage intellectuel de nos ancêtres et la transmission, ses thèmes récurrents] sont l’occasion de mieux saisir l’avènement qui vient avec l’intelligence artificielle. On sait que c’est révolutionnaire, mais on ignore encore si ça va être atroce ou libérateur. Comme il était impossible de savoir au début du XXe siècle ce qu’allait devenir le cinéma.  » Dont acte.

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Klapisch s’est inspiré de l’impressionnisme pour donner une touche picturale à son film : ici, Adèle (Suzanne Lindon) et le peintre Monet en 1895 (Olivier Gourmet), à Giverny (dans le département de l’Eure), dans « La Venue de l’avenir »

Et si l’on parlait précédemment de Titanic, il semblerait qu’un autre film du même auteur, en l’occurrence James Cameron, un certain Terminator, soit aussi de la partie, avec cette incarnation de la peur ultime : celle d’une machine qui, en surpassant l’homme, finit par le juger inutile, si ce n’est obsolète. Ou quand la création dépasse le créateur… pour mieux l’effacer. Puis, dans le prolongement de cette idée-force (se tourner vers le passé pour mieux comprendre et anticiper les soubresauts actuels), Cédric Klapisch précisait, toujours dans La Croix précédemment cité (p. 17, #43327), à la question éclairante suivante (posée par Céline Rouden) : « Pourquoi avoir mis en miroir 2025 et 1895 ? » : « Le titre du film, La Venue de l’avenir, peut paraître paradoxal parce que ça ne parle que de gens qui explorent le passé, de l’importance du travail de mémoire. Le film parle de l’avenir en creux. En 1895, les personnages se posent des questions sur leur avenir. Or, nous, nous savons ce qui va leur arriver, la guerre de 14 puis la Seconde Guerre mondiale. Il y a quand même quelque chose de joyeux dans cette arrivée de l’électricité, dans la perspective du progrès. Au fond, les deux époques se ressemblent. Nous aussi, nous nous posons des questions. Mais ce n’est que maintenant que le film est achevé que je m’en rends compte. »

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Comme un air de famille, Vassili Schneider (26 ans), Suzanne Lindon (25 ans) et Paul Kircher (23 ans) , tous trois ont grandi dans des familles d’artistes, au sein du temps des souvenirs de « La Venue de l’avenir » (2025), signé Klapisch

Quid de la relève du grand écran français ?

La Venue de l’avenir, avec toutes les pistes rétrospectives et prospectives qu’il ouvre ? Du 4 sur 5 pour moi (ce n’est pas pour moi le meilleur des Klapisch, que je placerais plutôt au niveau de son drolatique Un air de famille [1996], avec les Jaba, de son polar grisant lorgnant vers le filmage cool à la Soderbergh, Ni pour ni contre (bien au contraire) [2003], ou de son chef-d’œuvre choral En corps [2022] qui mêlait souverainement danse classique et contemporaine tout en célébrant avec grâce la résilience d’une danseuse brisée physiquement, qui transformait sa blessure en une renaissance artistique). Mes réserves au sujet de La Venue de l’avenir portent essentiellement sur, tout de même, par moments, un Paris d’ancien temps de carte postale, comme si l’Adèle naïve du film tendait un peu trop facilement la main à Amélie Poulain, à montrer le Paris contemporain avec une certaine candeur arrondissant bien les angles (combien d’enseignants sur le départ, à l’instar du prof de français du lycée tout proche de la retraite, connaissent haies d’honneur et salves d’applaudissements à tout rompre de la part de tous les élèves du bahut, comme c’est montré dans le film ? Je demande à voir). Et surtout - même si, à dire vrai, ils jouent juste pour la plupart - pourquoi, et alors même que Klapisch, via notamment son Péril jeune (1994), est connu pour lancer des carrières d’inconnus et d’autodidactes (Romain Duris, Vincent Elbaz, Élodie Bouchez…), autant de fils et de filles de ? Didier Péron parle même de « nepo babies » dans un Libé accompagnant la sortie de ce film, #13644, sam. 24 mai 2025, in papier « La Venue de l’avenir, passé composté », p. 24. Pas faux.

Sérieux, ici, les enfants d’acteurs et d’actrices célèbres, de Suzanne Lindon à Abraham Wapler en passant par Julia Piaton, Paul Kircher, Sara Giraudeau, Raïka Hazanavicius et autres Vassili Schneider de la fratrie Schneider, on ne les compte plus. On continue comme ça, et le cinéma français va bientôt confiner, comme en vase clos, au diaporama de famille ! En même temps, si l’idée, en les réunissant ici, était - je précise cela avec une certaine ironie - de redoubler l’un des axes forts du film, à savoir la filiation à l’œuvre, notamment dans le domaine artistique (les chiens ne font pas des chats), c’est plutôt réussi. Pour autant, loin des enfants de la balle, aux portes souvent bien plus ouvertes qu’à d’autres, c’est bien aussi de découvrir de parfaits inconnus, comme c’est le cas parfois chez Klapisch (Le Péril jeune), souvent chez les frères Dardenne (la découverte de la « non professionnelle » Émilie Dequenne avec Rosetta) ou encore récemment avec Abou Sangaré, qui était, avant d’être acteur, mécanicien automobile, César 2025 du Meilleur espoir masculin pour son rôle dans L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine. Eh oui, saluer le vent nouveau dans l’art, bref du sang neuf, c’est aussi donner sa chance à de parfaits inconnus, loin d’un patronyme célèbre ayant valeur de sésame, histoire de leur donner une chance de se faire un nom.

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Ce qui s’appelle une filmographie en train de se faire (le coin Klapisch du magasin Gibert Joseph du bd St-Michel, Paris 6) : « La Venue de l’’avenir » (2025) est - déjà - le quinzième long métrage du réalisateur français Cécric Klapisch, âgé de 63 printemps

Hormis ces bémols, certes de taille, La Venue de l’avenir, brassant le passé glorieux d’une France impressionniste et celle, à tendance patchwork, du temps présent (cf. la scène amusante de la mosaïque de webcams conduisant les cousins de la famille à s’engueuler au sujet du legs, comme dans un village peuplé d’irréductibles Gaulois résistant à l’envahisseur — ici un promoteur immobilier sans foi ni loi), agit comme un film-doudou ou médicament qui fait du bien (genre « la famille réunie, c’est cool, c'est Ce qui nous lie  » - entre nous, mais chut, ça peut être aussi vite l’enfer - ou du genre « mieux se rapprocher pour mieux se retrouver »), la preuve en est que son succès en salles, actuellement, vient aussi du fait qu’un certain nombre de spectateurs retourne le voir pour se faire de nouveau plaisir avec et en savourer, une fois encore (comme avec un vieux tube dont on adore tant le refrain), les nombreux détails, distillés à droite à gauche, qui auraient pu échapper à une première lecture.

La Venue de l’avenir (2025 – 2h06). France. Belgique. Couleur. De Cédric Klapisch. Scénario : Santiago Amigorena et C. Klapisch. Images : Alexis Kavyrchine. Avec Suzanne Lindon, Julia Piaton, Abraham Wapler, Cécile de France, Zinedine Soualem, Vincent Macaigne, Sara Giraudeau, Vassili Schneider, Paul Kircher, François Berléand, Vincent Perez. ©Photos VD, pour la plupart. En salles depuis le 22 mai 2025.



3 réactions


  • Fergus Fergus 10 juin 11:39

    Bonjour, Vincent

    J’ai vu et apprécié ce nouvel opus de Klapisch. Ce n’est ni son meilleur film, ni le moins bon. Comme vous, je lui donne une note de 4 sur 5, mais en soulignant que j’ai préféré le superbe En corps auquel il a succédé.

    Dommage que La venue de l’avenir ait été présenté hors compétition à Cannes car il eût mérité de recevoir le prix du scénario. Celui-ci est en effet très bien construit car il mêle habilement le présent et un passé où l’on se délecte de voir Nadar et Manet, complices involontaires de l’imagination des scénaristes.

    En outre, comme vous le soulignez, les reconstitutions sont très réussies. Les murs de la vieille maison, recouverts de photos anciennes poussiéreuses, parlent sans doute à beaucoup d’entre nous.

    Deux bémols cependant :

    Je trouve, comme vous, le titre plutôt médiocre dans la mesure où il ne parle pas d’emblée au public et prête, en effet, à des jeux de mots.

    Je regrette le choix de Suzanne Lindon, non pour son jeu, impeccable, mais pour son visage ingrat qui nuit à la nostalgie romantique qu’a voulu insuffler Klapisch.

    Qu’il y ait un peu trop de Nepo-babies dans ce film, c’est une évidence. Mais ils tiennent parfaitement leur rôle, et c’est bien là le principal, tout comme les autres acteurs et actrices.

    Un mot sur la scène, émouvante, du départ en retraite du prof joué par Soualem, salué par des centaines de collégiens. D’aucuns ont pu la trouver improbable, voire irréaliste. Elle a pourtant été inspirée par un fait réel.

    Un film à voir, si possible sans manger de pop-corn, ce qui est très pénible pour les voisins. smiley


    • Seth 10 juin 15:16

      @Fergus

      Je regrette le choix de Suzanne Lindon, non pour son jeu, impeccable, mais pour son visage ingrat

      C’est la fille de son père ? Mais si elle s’appelle Suzanne, elle a quel âge ?  smiley

      Nan je rigole mais pour le visage « ingrat » t’as pas tort. En plus elle n’a guère de formes la pauvrette. Mais « l’exception culturelle française » ne va pas avec les pouffiasses gonflées et reprises de partout.  smiley


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 10 juin 17:02

      @Fergus Merci, cher Fergus, pour vos propos cinéphiles pertinents. On est globalement d’accord (notamment pour un Prix du scénario à Cannes 2025, s’il avait concouru en compétition officielle ; sa trame est nettement moins linéaire, et attendue, que pour le film des frères Dardenne, « Jeunes Mères », qui a pourtant obtenu cette prestigieuse récompense — film social oblige ?). Toujours un plaisir de vous lire... smiley


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