Le 9è art de la Femme
Certains ont dit que la femme est l’avenir de l’Homme. D’autres qu’elle est le sel de la Terre, et que c’est ce qui a poussé l’Homme à boire.
Bien qu’elle représente peu ou prou la moitié de l’humanité, la Femme est loin d’avoir eu la possibilité d’occuper une place égale à l’ Homme dans quelque domaine que ce soit. Dès l’origine un système patriarcal s’est mis en place et à de rares exceptions près, les femmes n’ont eu que la portion congrue du pouvoir et de l’influence sur le reste de la société.
O tempora, o mores. Autres temps, autres moeurs.
Le XXè siècle a été le moment ou la lutte féminine et féministe a commencé à récolté les fruits issus de graines semées parfois des siècles avant. Dans la société occidentale, à de rares exception près, les droits féminins s’incorporent dans les Droits humains et si le combat n’est pas fini, la marche vers l’égalité Homme-Femme est bien lancée en direction d’une complète parité.
La Bande Dessinée a suivi peu ou prou l’évolution de la société. Les personnages féminins ont toujours existé, mais de simples figurantes, elles ont vu leur statut évoluer quasiment parallèlement à la vrai vie. Après un passage (obligé ?) par la case « Demoiselle En Détresse », beaucoup ont acquis le statut très envié d’ Héroïne à part entière. Mais il est aussi des moments ou la BD a largement précédé l’évolution sociétale : il est toutefois frappant de voir que si une femme pilote un véhicule, escalade une montagne ou prend le pas sur le règne masculin, même si c’est en général dans une série de fantaisie, bien éloignée de la bonne société.
1900. Sur la planète entière, la Femme est un humain de seconde catégorie. Les dictionnaires les plus sérieux la définissent comme étant « la femelle, la compagne de l’Homme. ». Au sein de la société occidentale, le statut de la Femme est régi par le Code Napoléon, qui s’est diffusé en Europe et pour partie aux USA.
Alors que la Femme révolutionnaire entendait profiter du changement de régime pour obtenir une place à la tribune qui lui revenait de droit selon elle, elle doit se contenter au mieux d’une place sur l’échafaud. La rédaction du Code Civil, qui unifie et définit par écrit le Droit, la relègue au rang d’éternelle mineure : la femme est soumise à son père, puis, après son mariage, à son mari. Si elle se retrouve veuve, elle n’est pas sortie d’affaire pour autant car un conseil masculin composé des membres mâles de la famille de son défunt époux peut limiter ses droits et empêcher par exemple une dispersion du patrimoine hérité. Elle ne peut pas travailler si son mari s’y oppose. Elle ne peut pas ouvrir un compte en banque sans la signature de son époux.
En matière de sexe, elle est discriminée : un homme qui commet l’adultère risque au pire une amende. La femme, trois ans de prison.
Elle n’a pas le droit de voter : les femmes américaines peuvent le faire dans certains Etats depuis 1872, mais au niveau fédéral, elles devront attendre 1920 pour pouvoir élire le président américain.
En France, les députés votent à 5 reprises le droit de vote pour les femmes entre 1910 et 1936. Le Sénat s’y oppose formellement à 5 reprises. Il faudra que De Gaulle tape du poing sur la table pour faire taire les dernières voix et faire en sorte qu’en 1944, les femmes françaises deviennent électrices et éligibles. Même les turques ont pu être députées avant !
Faute de grives, les femmes auront mangé des merles. Faute de pouvoir politique, elles agissent tout de même en coulisse. Si elles ne siègent pas à l’assemblée, elle siègent dans les coeurs des députés, ce qui leur donne une certaine influence informelle. Cet état de fait n’est pas nouveau : faute de pouvoir ceindre la couronne, certaines femmes régnaient aux cotés de leurs royaux époux avec parfois autant sinon plus de talent politique que leur masculin conjoint.

Nävis apprend que si les hommes ont le pouvoir, les femmes ont l’ ascendance sur les esprits masculins. Pour ces geishas de l’espace, tout est question de forme et de présentation.
Ce fait est bien connu de la société, et c’est ce qui a donné naissance à l’ image de la matrone : la femme qui dans le couple porte la culotte au détriment du mari. Grande source d’inspiration des dessinateurs du début du siècle, la matrone tourne en dérision le sexe fort. Mais elle n’en profite pas pour réclamer plus de droits : elle reste sagement à sa place, entre la cuisine et l’Eglise, à élever ses enfants.

Bien avant Faizant, Dubout croque les couples, mettant le femme en avant : forte, dans tous les sens du terme...
Même dans l’Humour, la Femme est sagement invitée à rester à sa place. Autant dire que dans les séries et revues se voulant plus sérieuses, les choses ne s’arrangent guère.
Si les illustrés du début du siècle s’adressaient en priorité aux garçons, il existait un certain nombre de titres dévolus aux filles et aux fillettes. C’est dans La semaine de Suzette que va apparaître, à la faveur d’une page manquante pour éviter un blanc, une des premières héroïnes récurrentes, véritable terreur de la bienséance bretonne : Bécassine. Jeune fille au pair montée à la ville, la série se focalise sur les maladresses dues à la méconnaissance d’un nouveau milieu pour une jeune servante. Pour une raison inconnue, des bretons y verront une attaque en règle contre la nation celtique et Bécassine deviendra pour eux un véritable repoussoir.

Bécassine poussant un landau. Dans d’autres aventures, elle conduit une voiture alors qu’au même moment, de doctes savants soutiennent sérieusement la thèse comme quoi la femme est incapable, par sa nature physique et émotionnelle, de conduire une voiture.
Si l’humour y est privilégié, La semaine n’en oublie pas son rôle éducatif. Les illustrés pour filles sont censés préparer les futures jeunes femmes à leur rôle traditionnellement dévolu : devenir épouse, puis mère au service également de son mari.

"La semaine" paraît dès 1905. Le journal changera de périodicité au cours du temps. Il suit la mode mais les années 60 verront le chant du cygne d’un des plus anciens périodiques pour jeunes filles.
Aux Etats-Unis, la situation des femmes est légèrement différente. Si politiquement la femme est plus libre que sa consoeur européenne, la bonne société n’en oublie pas moins ses valeurs traditionnelles qui voudraient ne donner aux femmes comme horizon que l’enfant, la cuisine et l’église. Les Amélia Earhart ne sont pas vues d’un bon oeil par la frange conservatrice qui a pignon sur rue, et la bande dessinée ne fait pas exception : si dans les séries fantaisistes les femmes y semblent plus libres de faire ce qu’elles veulent, dans le registre plus réaliste, la femme doit se contenter de trois rôles fondamentaux :
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la mère du héros, qui est toujours inquiète pour lui mais n’en laisse rien paraître devant lui...
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la fiancée du héros. Personnage nécessaire pour alterner avec le « second rôle masculin » et donner au héros la possibilité de dialoguer pour faire avancer l’intrigue. L’évocation du mariage possible ne doit rester que très superficielle. La sexualité est formellement interdite. Si le héros a un enfant, il est obligatoirement adopté !
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La Demoiselle En Détresse. Princesse victime du dragon ou d’un cousin ambitieux, jeune fille promise en mariage à un vieillard libidineux et riche, journaliste (ou assimilée) qui met son nez là ou il ne faut pas ou simplement passante sur le point de se faire écraser par un véhicule quelconque, les variantes ne manquent pas.
La femme peut également y tenir un autre rôle, par exemple être une collègue de travail. Dans ce cas, elle ne sera jamais dirigeante d’entreprise, mais secrétaire. Au mieux, assistante de direction. Et elle fera toujours le café du héros.

Betty Brant est la première fiancée de Peter Parker, alias Spiderman. Elle ignorera toujours son secret. Apparue comme simple secrétaire dans les années 60, elle va prendre du galon avec l’évolution de la société et devenir journaliste accomplie dans les années 90. Et sans prendre une ride !
Le comics de super-héros est à la frontière de ces deux catégories. Evoluant dans le monde contemporain, la femme dans le comics-book est toujours astreinte aux rôles traditionnels mais la guerre va changer la donne. Afin de stimuler le patriotisme des femmes, les éditeurs n’hésitent pas à créer des héroïnes de façon à intéresser ces dernières à la guerre qui commence contre le Japon. Le personnage le plus emblematique étant Wonder Woman, au costume arborant la Bannière Etoilée.

Le hasard a voulu que la princesse amazone apparaisse en décembre 1941. Pourtant, le projet de départ était juste de faire contrepoids à la masculinité exacerbée qui régnait dans le monde superhéroïque. Si Diana va se battre dès le début contre des espions nazis, elle ne va pas oublier d’être pratique et de vite changer sa jupe pour un body toujours étoilé mais plus moulant...
Le personnage créé par William Marston va cependant contribuer de façon involontaire à un des pires mouvements réactionnaires que le monde de l’art ait connu : le Comics Code Authority. Il est notamment reproché à Marston des scènes assez chaudes pour l’époque : certains voient dans certaines planches de fortes allusions au bondage ou aux relations sado-masochistes (dont Marston était fan, à ce que l’on dit...) , sans parler du corps à la base très dénudé de Wonder Woman qui ne cache rien de ses charmes.
En France comme aux USA, la sortie de la guerre est une période troublée ou les repères ne sont plus aussi clairs qu’auparavant. Afin de préserver les générations futures des mauvaises influences, les gouvernement mettent (ou poussent à mettre en place) en place des commissions, des lois qui encadrent très strictement ce qui est permis de publier en matière d’ouvrages à destination de la jeunesse. Leur rôle est à ce moment là tout puissant et l’interdiction peut facilement tomber sur un numéro ou une série. Il en résulte un grand appauvrissement qualitatif des BD. Il faudra attendre les années 60 pour que le carcan commence à se desserrer.

L’influence du CCA dans la série Les 4 Fantastiques : Susan Storm est membre de l’équipe, mais elle reste cantonnée à l’arrière plan lors des bagarres, et à la cuisine quand son époux invente une machine pour sauver le monde !
Le Manga n’échappe pas non plus à la norme. S’il y a bien un point commun entre les trois grands courants planétaire de la BD, c’est bien la place de base dévolue à la femme : la maison et les enfants !
La défaite de 1945 a amené de grands changements dans les lois japonaises. La patriarcat familial est officiellement aboli, mais il reste effectif dans les faits. Il faut savoir que dans la mentalité japonaise, l’individu ne compte pas ou presque. La famille seule importe, et la perpétuation est un impératif. La relation parent-enfant y est plus importante que la relation conjugale. Dans ce schéma de clan, la place de la femme est toute désignée...

Série des années 60, Doraemon est représentatif de la société japonaise du moment. La femme peut faire des études et travailler, mais à son premier enfant, elle devra, pour satisfaire les traditions, démissionner et se consacrer entièrement à sa famille.
La aussi, le carcan va lentement se détendre. Mais aujourd’hui encore, il est une majorité de japonais ( 45 % ) qui estiment qu’une femme a plus sa place à la maison qu’au bureau.
Effet de compensation ? Les femmes, les années 70 passées, vont s’y faire plus présentes. Tout comme aux USA, c’est dans les séries de fantaisie que la femme va se voir libérer des conventions sociales. Mais c’est pour devenir le plus souvent guerrière dans les Shonen (mangas plus spécifiquement orientés aventure, pour les jeunes garçons), ou lycéennes enamourées dans les Shojo ( mangas pour filles, la collection Harlequin locale...)...

Les soeurs Kisugi, dans la série "Cat’s eyes" tiennent le jour un café tout ce qu’il y a d’ordinaire. Elles volent la nuit des oeuvres créées par leur père disparu dans l’espoir de retrouver sa trace. Retrouveront-elles aussi leurs soutiens-gorges ? Malgré les doutes, la série est tout public...
Les années 60 sont une décennie charnière pour la femme : les bastions tombent un à un. La femme peut disposer de son argent, de sa carrière, et au final de son corps.
L’esprit de l’époque se retrouve dans la production franco-belge. Les lois de 1945 et 1949 ont grandement castré les auteurs en ce qui concerne les femmes, qui ne sortent pas de leurs rôles traditionnels de faire-valoir ou de péronnelles à secourir continuellement. Pire que tout, le corps féminin se retrouve mutilé, de façon littérale !
Les publications telles que Tintin, Spirou ou Pif, sont avant tout destinées aux enfants. S’il est bien une chose qui est très fortement recommandée aux dessinateurs, c’est de montrer une femme avec toutes ses formes. Le corps d’une femme est pour leurs esprits un appel implicite à la sexualité. Dans l’esprit des éditeurs, les seins et les fesses féminines sont autant de périls pour les esprits fragiles : si une femme est présente, sa poitrine ne sera JAMAIS dénudée. Ses vêtements seront conçus pour éviter toute excitation intempestive. Le port du pantalon est interdit, la jupe longue ou la robe très couvrante sont de rigueur. Les poses ne sont JAMAIS lascives. Si un dessinateur livre une planche avec une poitrine trop prononcée en raison de l’angle de vue choisi, le coloriste a pour ordre de gouacher les formes interdites : le dessinateur Berck s’en plaindra assez souvent !

Lady Bound est une femme telle que les éditeurs des années pré-68 les aiment : parodique, anti-sexy à mort, propre à conforter le mâle dans son sentiment de supériorité. Cette "Ugly Betty" avant l’heure ne connaitra jamais de seconde aventure.
1968 va passer par là et renvoyer les vieilles lunes machistes à l’Histoire. Petit à petit, de façon presque machinale, les dessinateurs et scénaristes vont intégrer des personnages féminins dans une position toute nouvelle pour elles : le premier rôle.
Les auteurs underground, prompts à sortir de leurs mines des personnages très dénudés, sortent leurs premières salves avec Barbarella. Très vite, la vague frappe les grandes maisons classiques qui comprennent assez vite que l’enfant des années 60 est devenu l’adolescent des années 70. Dans tous les autres médias, la femme a pris une place plus conforme à la réalité, et garder la BD hors de cette évolution n’a aucun sens : l’expérience montre que le 95 B montré en gros plan n’a pas détruit les neurones fragiles du garçon de 12 ans (son slip, en revanche...). De plus, pour garantir une source nouvelle de revenus, les éditeurs se mettent à lorgner sur le public féminin. Proposer des séries avec une femme en personnage principal n’est plus un tabou. D’ailleurs, la Commission de Protection de la Jeunesse n’ose plus intervenir à ce sujet, à moins que l’oeuvre ne soit véritablement pornographique. Chez Dupuis, Walthéry et Leloup sortent Natacha du bois (hôtesse de l’air, en plus...), et Yoko Tsuno, électronicienne de talent qui n’a pas attendu les quotas sur les minorités visibles pour partir à l’aventure, trainant à ses basques deux compères masculins qu’elle doit parfois sortir de bien mauvais pas. Toujours le syndrome du Damoiseau En Détresse...

Aria part à l’aventure en 1982 dans un monde post-apocalyptique revenu à l’ ère pré-médiéval. Depuis, elle a couru le monde, s’est battu, à tué en combat singulier à maintes reprises, à évoqué les viols qu’elle a subi dans son adolescence et a donné naissance à son fils sans être mariée. Tout cela alors qu ’elle évolue dans une société que ne renieraient pas les talibans...
En 2010, la femme occupe dans la BD une place qui sied plus à son statut comparativement avec la réalité. Bien entendu, il existe toujours une frange extrême de féministes qui ne sont pas satisfaites. Ces dernières estiment que les femmes en BD le plus souvent ne sont soit que des hommes avec des seins et une robe, sans la mentalité qui va avec, soit des bimbos dénudées dont la présence n’a d’autre but que de satisfaire l’oeil du mâle en rut. En revanche, elles ont du mal à définir ce qu’est alors une femme dans la BD...

Susan Storm-Richards, aujourd’hui. La cuisinière est devenue le co-leader de l’équipe et son membre le plus puissant, ayant été la seule à ce jour à battre Hulk. Elle dirige aussi la société Fantastic Four Incorporated et elle a donné le jour à son deuxième enfant. Wonder Woman est largement distancée !
Aussi souvent victime que salvatrice, la femme a acquis sur le papier une place sans faire d’ ombre à son pendant masculin. C’est d’autant plus remarquable que la profession de dessinateur est encore aujourd’hui quasiment exclusivement masculine !
Claire Bretécher a ouvert une voie que peu de femmes se sont empressées d’explorer et de poursuivre. Pour une raison inconnue, les femmes sont en effet très peu présentes sur les tables à dessin. Pour une Satrapi, combien de Nancy Pena, de Laurel pour grossir les rangs ? Florence Cestac ne peut non plus combler seule les manques aux cotés de Rumiko Takahashi. Est-ce un effet collatéral de la Pensée Unique qui veut que la BD est un art mineur et que les femmes donc devraient consacrer leurs talents à des choses plus sérieuses ?
( à suivre...)