samedi 4 décembre 2021 - par Vincent Delaury

« Le Jeune Acteur », super BD signée Riad Sattouf !

Avec Le Jeune Acteur – Aventures de Vincent Lacoste au cinéma, bande dessinée parue début novembre aux Livres du futur, c’est l’occasion de revenir sur une grande BD, très drôle et formidablement agencée, narrant les aventures rocambolesques du jeune acteur Vincent Lacoste à ses débuts, à l’âge de 14 ans, via le casting et le tournage du film Les Beaux Gosses (2009), réalisé par Riad Sattouf, et de retrouver également la trajectoire étonnante de ce bédéiste, et cinéaste (deux films à son actif pour le moment), singulier dans le paysage artistique français, à l’humour contagieux et à la griffe reconnaissable entre mille.

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Album BD « Le Jeune Acteur 1 » (Riad Sattouf, 2021).

On ne présente plus Riad Sattouf, c’est une star. Ce jeune auteur de bande dessinée francophone, qui séduit très largement au-delà des frontières du neuvième art, joue désormais dans la cour des grands : sa dernière BD, Le Jeune Acteur – Aventures de Vincent Lacoste au cinéma, au titre très Tintin, est distribuée en ce moment dans les commerces, librairies et autres, aussi largement que les derniers Astérix, Boule & Bill et autres Tuniques bleues. Et ses dernières séries, L’Arabe du futur, roman graphique autobiographique qui relate son enfance franco-syrienne traduit en vingt-cinq langues, et Les Cahiers d’Esther, suivant le quotidien d’une jeune fille depuis ses 9 ans, d’après des histoires vraies, se vendent par milliers d’exemplaires, voire par millions. Et, malgré son jeune âge (Riad est né en 1978 à Paris), ce dessinateur-cinéaste a déjà connu une rétrospective en 2018, L’écriture dessinée, au Centre Pompidou-Paris, avec un gros succès de fréquentation à la clé, dans le cadre de la Bibliothèque publique d’information, succédant ainsi à de grandes signatures du dessin imprimé tels Art Spiegelman (2011), Claire Bretécher (2015) et Franquin (2016).

À dire vrai, pas impossible qu’il soit le nouveau… Midas de la bande dessinée hexagonale, tant tout ce qu’il touche semble lui réussir et rapporter gros - avec Le Jeune Acteur, ce jeune auteur de BD vient même de monter sa propre petite maison d’édition, Les Livres du futur, alors que ses deux séries phares (L’Arabe du futur et Esther) continueront à être publiées chez Allary. Seule ombre au tableau : l’échec commercial cuisant, accompagné par des critiques mitigées à l’époque (Positif, Cahiers du cinéma), de son second long métrage de cinéma, toujours avec son acteur fétiche Vincent Lacoste, Jacky au royaume des filles (2014), dont le pitch avait pour autant le mérite d’être original : imaginer et montrer sous la forme d’une dystopie, non sans humour et second degré, une société dictatoriale et gynocratique où les femmes, dominatrices, sont au pouvoir et les hommes, portant le voile et socialement infériorisés, n’ont plus qu’un statut de simples reproducteurs. Sans être complétement réussi, ce film-ovni féministe, croisant en termes de sources d’inspiration tant le monde musulman que le régime communiste ainsi que les sociétés patriarcales occidentales, avait au moins le mérite de sortir, en offrant quelques bons moments farfelus sur fond de sadomasochisme, des sentiers battus.

C’est là qu’on en vient au fait : avec sa toute dernière BD, Le Jeune Acteur 1 (il s’agit d’une nouvelle série, qui devrait comporter deux ou trois tomes), Riad Sattouf regarde, comme à son habitude, dans le rétroviseur, pour cette fois-ci revenir, en célébrant toujours la mémoire, le récit de jeunesse et le passage du temps (c’est son obsession), sur son plus gros succès en salles de cinéma (un millions d’entrées en France !), à savoir l’hilarant Les Beaux Gosses, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2009 et César du Meilleur premier film en février 2010. Avec ce livre, il ouvre un nouveau cycle biographique consacré, cette fois-ci, à l’acteur Vincent Lacoste qui, depuis ses débuts dans ce film notoire, a fait, en devenant grâce notamment à sa moue boudeuse et à son flegme adolescent attachant sur fond de je-m’en-foutisme, son petit bonhomme de chemin dans le cinéma hexagonal : il est actuellement toujours à l’affiche d’Illusions perdues de Xavier Giannoli d’après Balzac et on l’a vu précédemment, dans une filmographie déjà riche d’une trentaine de films, dans des fictions remarquées comme Hippocrate (2014) de Thomas Lilti, Victoria (2016) de Justine Triet et Chambre 212 (2019) de Christophe Honoré.

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Affiche promotionnelle pour le film « Les Beaux Gosses » (Riad Sattouf, 2009, avec Vincent Lacoste et Anthony Sonigo).

Dans Les Beaux Gosses, Vincent, c’est lui donc le soi-disant beau gosse, aux côtés de son acolyte Camel (Anthony Sonigo), son meilleur ami, il y campe le personnage d’Hervé, un ado lambda, timide et complexé, mal fagoté, en 3e au collège Eric Tabarly à Rennes qui n’a pas la cote, malgré tous ses efforts, auprès des filles, même s’il s’aperçoit qu’il plaît tout de même à l’une des plus jolies élèves de sa classe, Aurore. En racontant les déboires d’adolescents maladroits, au look de losers poilant, accaparés par leur grande affaire (les filles), Sattouf réalisait en 2009 avec ses Beaux Gosses, un film attachant très drôle sur les affres de l’adolescence boutonneuse, à savoir sur cet âge ingrat, dit pourtant de tous les possibles, où l’on est à la fois fasciné et effrayé par la sexualité. Et sa BD, Le Jeune Acteur, est du même acabit, se montrant vraiment très amusante pour raconter le parcours de Lacoste dans le milieu du cinéma, à la fois secret et fascinant voire intimidant (surtout aux yeux d’un jeune comédien qui n’a que 14 ans au moment des faits), avec tous les fantasmes autour de la célébrité et de l’argent facile qui vont avec : de ses premiers pas dans le septième art, avec ses tout premiers essais devant une caméra, jusqu’au triomphe du film sur la Croisette, via le casting sauvage et le tournage proprement dit, s’étant déroulé pour la majeure partie à Rennes, ville où a grandi le réalisateur, mais également à Gagny, au collège Madame-de-Sévigné et au gymnase Bernard-Vérité.

Tout est bien dans cette BD, pourtant le style est tout simple, aucune virtuosité graphique à l’œuvre, mais il se trouve que ce bédéiste, en maîtrisant parfaitement son art (fluidité narrative, sens du rythme, grande lisibilité de son graphisme rond accrocheur, humour ravageur et formules percutantes), s’avère un conteur formidable. Autant le dernier Astérix (et le Griffon), nullissime au possible, m'est tombé des mains dès les premières pages, tant il est plan-plan, cousu de fil blanc, cadenassé par les ayants droit et soporifique au possible, autant j'ai lu ces aventures burlesques et réjouissantes de Vincent Lacoste au cinoche d'une traite : c'est une grande BD, un nouveau coup de - jeune - maître de la part de cet auteur incontournable du monde de la bande dessinée contemporaine, doublé d’un narrateur hors pair. Comme Houellebecq en littérature, je trouve que Riad Sattouf, du début à la fin et sans aucun temps mort (impossible de poser sa BD après l’avoir entamée), crée une complicité immédiate, sur fond d’humour et de connivence, avec son lectorat : c’est, selon moi, le signe des plus grands ; je pense également notamment à Hergé, qui met à chaque fois, en fin de planche, un temps suspendu, ou cliffhanger, pour que l’on ait envie de tourner la page.

Tout est chouette dans Le Jeune Acteur, comme par exemple les descriptions du tournage (la fameuse scène du bus du film avec le baiser et la course-poursuite de Camel, en arrière-plan, pour que tout soit syncro), la mythologie autour du monde du cinéma (Vincent, devenu acteur, se la joue limite mytho à l’école auprès de ses camarades de classe) puis les références culturelles différentes, voire antagonistes, entre les différents protagonistes : Vincent, fasciné par les rappeurs et se rêvant en héros de films d’action genre Pascal Brutal, voue un culte à 50 Cent et Tony Montana alors que Riad, lui, fait une fixation sur la saga Antoine Doinel du tant regretté François Truffaut (1932-1984). Ou du goût des grands écarts, entre figures populaires et cinéma d’auteur prestigieux. Avec justesse, dernièrement, le dessinateur de bandes dessinées Emile Bravo se disait, qu’avec ce Jeune Acteur, Riad Sattouf, qui n’a pas tourné depuis 2014, faisait au fond, avec son Jean-Pierre Léaud à lui (à savoir Vincent Lacoste, sa muse et son double de fiction, au jeu également quelque peu décalé, comme l’acteur-phare de la Nouvelle Vague), la série Doinel qu’il n’a pas pu faire, ou en tout cas mener à bien pour l’instant, au cinéma. Bien vu.

Ce que je préfère dans cette BD ? Bien sûr, ses réparties drolatiques, mais également et surtout ses séquences émotion. Comme son hommage appuyé, sur quelques pages (Riad allant même jusqu’à reproduire fidèlement en cases des plans des 400 coups, Domicile conjugal et L’Amour en fuite, pages 9-10), au cinéma truffaldien, qu’il relie à ses premiers émois érotiques (Claude Jade !). Et, à la fin du bouquin (pages 136/139), la rencontre improbable du jeunot Riad Sattouf avec l’inénarrable vieil acteur fantasque Jean-Pierre Léaud, qui semble tout juste sorti de l’écran pour atterrir chez les simples mortels (on le retrouve allongé sur un sofa, demandant un simple verre d’eau, à l’ombre d’une soirée chez la réalisatrice Noémie Lvovsky, amie de Riad), s’avère vraiment désopilante ! Dans une interview récente (Inrocks n°5, novembre 2021), Sattouf ajoutait, avec son sens inné de l’observation : « (…) Enfin, j’adore Jean-Pierre Léaud. Et je dois dire, pour l’avoir rencontré, que de tous les acteurs célèbres que j’ai pu croiser, y compris d’énormes stars américaines, c’est le personnage mythologique le plus surnaturel qui puisse exister. C’est magique de le rencontrer en vrai. C’est Antoine Doinel, il existe vraiment. Il ressemble à un être qui serait passé de l’autre côté du miroir, serait revenu sans être pour autant complètement avec nous. » Très juste !

Aussi, je vous conseille vraiment la lecture de cette super BD qu’est Le Jeune Acteur 1 (soit dit en passant, des dessins extraits de cet ouvrage, tirages d’art en édition limitée numérotés et signés, sont actuellement exposés à la galerie Cinéma à Paris, jusqu’au 7 janvier 2022), et pour ma part, j’ai hâte de lire la suite de la vie en BD de Vincent Lacoste, âgé actuellement de 28 printemps (les tomes prévus à suivre de ce Jeune Acteur, avec ensuite Le Grand Acteur puis Le Vieil Acteur - ça s’impose !) et, qui sait, de revoir aussi un jour en salles, dans un futur si possible proche, un nouveau film signé Sattouf, portant l’inimitable Riad’s touch. 

Le Jeune Acteur 1. Aventures de Vincent Lacoste au cinéma de Riad Sattouf, édition Les Livres du futur, 114 p., 21,50€. En librairie depuis le jeudi 4 novembre. Visuels V. De. 

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Portrait de Riad Sattouf, galerie Cinéma, Paris, le 26 novembre 2021, photo V. De.
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Case (scène du bus des « Beaux Gosses ») extraite de la page 91 de la BD « Le Jeune Acteur 1 » de Riad Sattouf, 2021.


3 réactions


  • Ben Schott 4 décembre 2021 10:28

    « Ce jeune auteur de bande dessinée francophone »

     

    Je dis pas qu’on est vieux à 43 ans, m’enfin...

    C’est assez triste de voir des demi-jeunes aussi ennuyeux...

     

     


  • S.B. S.B. 4 décembre 2021 19:16

    Il était déjà génial quand il dessinait « La vie secrète des jeunes » dans Charlie Hebdo.


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 5 décembre 2021 00:52

      Tout à fait, « La Vie secrète des jeunes » a paru dans « Charlie Hebdo », entre 2004 et 2014. Son expo-rétrospective à Beaubourg en accès libre, à la Bibliothèque publique d’information, « L’écriture dessinée » (2018/2019), avait montré des dessins et publications de cette époque-là.


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