vendredi 13 mai 2011 - par rakosky

Le romantisme

Le romantisme, ou ce qu'on désigne généralement sous ce nom, repose sur des lieux communs qui font l'objet d'un tel consensus qu'il devient difficile et périlleux de les contester, 

Les suicidaires, les téméraires ou autres dépressifs osent dire parfois que ce mot ne leur inspire qu'un irrépressible bâillement et que nos plus grands écrivains y ont perdu leur talent avec des mièvreries et des guimauves indignes d'eux,

Dans ma tentative audacieuse de m'attaquer à cette montagne de sucre et de miel, j'ai convoqué autour de moi les anciens de la Grèce qui commençaient à s'ennuyer un peu et aussi les elfes, les lutins et les fées tout malheureux d''avoir été oublié dans des forêts qui ne sont plus enchantées depuis trop longtemps,
 
Commençons par régler nos comptes avec des formules si charmantes et si jolies qu'on en oublie qu'elles n'ont aucun sens,
 
« La mesure de l'amour, c'est d'aimer sans mesure » mon amie, mon cœur, ma tendre, ma douce, cela ne veut rien dire du tout et ce que cela dit quand même me plait encore moins,
 
Il y a cette idée, ou plutôt ce poison de l'esprit que l'infini est la forme parfaite de la perfection, les lois de la nature et les leçons de nos philosophes nous enseignent le contraire,
 
C'est le fini qui contient la perfection, elle se trouve dans le détail, dans les multiples variations et dans la complexité toujours renouvelé de tout ce qui vit, dans tout ce que nous percevons ou ressentons,
 
L'infini, c'est ce qui est immuable, indifférencié, sans forme, ni contours, ni visage auquel nôtre esprit ou nôtre entendement puisse accéder, en dernière analyse, l'infini c'est la mort, la victoire qui n'est jamais finale de ce vieux principe d'entropie.
 
Demandez à nos physiciens de vous décrire l'infini de l'univers, ils vous diront qu'il est agité de mouvements, peuplé de rayonnement, courbé par la gravitation, rien qui ressemble ou qui contienne la moindre idée de perfection,
 
Un amour infini, ce n'est pas un amour, c'est un fantôme métaphysique, l'amour pousse ses racines vivantes dans nos chairs, il est fait de nos souvenirs et il doit lutter, comme nous tous contre la terrible épreuve du temps,
 
Il y a cette autre idée que l'amour véritable est sans mesure, ne peut se vivre que dans le dépassement, la mise hors de soi, l'abolition du sens, de la raison, comme si nôtre humanité véritable ne pouvait se réaliser que par son abolition,
 
Moi qui suis poli, je vous le dis, tout cela n'est qu'un tissu de conneries que nous ont gentiment brodé et légué les premiers penseurs chrétiens,
 
Nos grecs, que j'aime tant, tenaient en horreur la démesure et le dépassement,
Ils tenaient en peu d'estime leur déesse Aphrodite, née d'un jet de sperme et de sang tombé dans l'Océan, une divinité sauvage, primitive, aux passions violentes et meurtrières, dont l'emprise se manifeste sous la forme de la possession, ou celui qui est possédé ne se possède plus lui-même,
 
Ils lui préféraient Héra, l'épouse fidèle, la déesse de la jouissance paisible, que l'on pouvait contempler et aimer sans souffrance dans toute la plénitude de sa beauté qui n'était jamais fatale,
 
Cette horreur du dépassement s'incarne aussi dans la figure d'Arès, le dieu qui incarne la furie guerrière, la rage meurtrière, le viol de toutes les règles, cette rage qui pousse Achille à vouloir dévorer le corps d'Hector, à le jeter aux chiens sans sépulture,
 
Regardons enfin tout le mal que nous fait cette passion sauvage que le romantisme exalte, le jaloux devient meurtrier, le banni se fait violent, le désir déchire nos cœurs et l'élan qui nous pousse est celui qui nous détruit aussi,
 
Dans cette idée d'absence de mesure et de dépassement, il y a aussi la notion de coup de foudre et tout ce que Breton appelait une météorologie de pacotille, l'idée que l'amour ne puisse naître que d'un déclic, d'un embrasement immédiat, d'un appel irrésistible de tous nos sens,
 
La faiblesse du volcan c'est qu'il ne laisse que des cendres et que des âmes errantes, brisées par les séparations, les divorces, les passions refroidies, épuisées ou déçues,
 
Nos anciens avaient des idées plus simples, ils croyaient qu'un amour se construit doucement, qu'avec le temps des liens solides finissaient par se nouer et que l'amour naissait de tout ce que l'on partageait ensemble, les joies, les tourments, les deuils et les enfants,
 
Le romantisme n'a que les apparences de l'amour, parce qu'il est aussi une négation de la chair,
 
Si nous avons besoin de tout ce fatras sentimental, c'est que la chair ne suffit pas, la chair nue et tendre ne peut se suffire à elle même, il lui faut autre chose qui la sublime et nous fasse oublier sa triste réalité,
 
Prenez le dieu des juifs ou des chrétiens, il est pur esprit, il n'a ni bras, ni jambes, ni rien que l'on puisse voir ou toucher, il est le fantasme absolu, celui qui a inspiré tous les autres,
 
La chair est vil, faible détestable, elle est nôtre fardeau et porte la marque de nôtre faute, c'est par elle que nous sommes coupables, ce n'est pas moi qui le dit c'est Saint Augustin,
 
Si vous saviez combien je préfère les seins de Venus et les belles épaules d'Apollon,
 
Les Grecs voulaient que leurs dieux soient beaux et qu'ils leurs ressemblent, mêmes corps, mêmes faiblesses, mêmes jouissances,
 
Ce besoin que nous avons de dépassement, de passion dévorante, d'amour sublime et sublimé, tout cela n'est en fait que l'aveu que nos corps nus dans le fond nous font horreur,
 
Dans l'érotisme qui les idéalise ou la religion qui les occulte, ce sont nos corps réels qui sont niés, avec leurs imperfections, leurs faiblesses, les chairs trop lourdes ou trop usées et la déchéance qui nous attend avec la vieillesse et la mort,
 
Finalement cette abjection que nous avons de la chair nous amène à la rendre abjecte, elle n'est plus que viande livrée à des délires pornographiques sans limites toujours insatisfaits,
 
Les grecs qui n'avaient ni nos hontes ni nos pudeurs, eux qui aimaient tant les corps nus et y trouvaient le sens du divin et de la perfection, avaient en horreur l'abjection et l'avilissement qui sont devenus nôtre lot quotidien,
 
Enfin le dernier point, mais pas le moins important, dans la critique du romantisme est tout simplement l'importance excessive qu'il donne à l'amour, ce besoin qu'il éprouve d'en faire le centre exclusif de nos vies et de nos pensées,
 
Après tout, le monde est assez grand, assez plein de merveilles dignes d'être aimées ou admirées, nous avons un univers entier qu'offre à nos appétits, à notre soif de connaissances, nous avons des siècles d 'Histoire et tant de pages sublimes qui on été écrites,
 
Nous avons nos vies, pleines de tant de choses, avec nos souvenirs, nos peurs, nos regrets, la musique pour remplir le silence et Mozart pour remplir l'univers de ses mélodies et même quelque bons gigots, rôtis, gâteaux, des vins à boire et des chansons à chanter,
 
Si nous avions encore le sens et le goût de ces choses, nous n'aurions pas besoin de combler nos vies avec des chimères.


7 réactions


  • aspasie 13 mai 2011 17:52

    Merci de ce bel article !! Je pourrais co-signer tout ce que vous avez si bien dit ! Ca fait tellement plaisir de voir que je ne suis pas seule à trouver ce culte de l’amour romantique complètement absurde et surtout complètement pathologique. L’idée de l’amour infini pour être amour dérive sans doute de l’amour divin qui est infini pour les religions. Dans cette optique, l’amour de l’homme doit être infini pour être un reflet de l’amour de dieu. Mais un amour infini, comme vous le dites si bien c’est absurde car pour aimer il faut être un sujet défini et si j’aime infiniment, je ne suis plus un sujet, je me perds comme un mystique dans l’objet de mon amour, je m’annule moi-même. La beauté du monde grec c’est d’avoir mis au centre de la vie la recherche de la perfection de soi au sens esthétique : avoir un beau corps (pas celui de la mode !) avoir une belle personnalité, une belle âme, bref être une belle personne et se réjouir d’être soi et faire effort pour continuer à l’être à tous les stades de la vie. On est loin de notre culture de dégénérés où la recherche du grand amour fait a fortune des sites de rencontres ! 



  • Imhotep Imhotep 13 mai 2011 17:58

    Il me semble, ou alors mes grecs sont bien loin, qu’Héra est loin d’être une épouse docile et calme.


    Par ailleurs cet article enchaîne confusion sur confusion, confusion entre passion et romantisme, romantisme et religion. Amour et passion et romantisme et religion.

    Au poncif de l’amour béat répond ici le poncif du pragmatique hédoniste. L’auteur semble passer complètement à côté de l’aspect poétique et de la fausse illusion de l’infini dont les amoureux n’ignorent rien que ce n’est qu’une poésie et non une vérité tangible. Ils jouent à ce que ce soit vrai afin de donner un supplément d’âme à des sentiments qui ainsi sont magnifiés.

    Un auteur a parlé de cela : Mensonge romantique et vérité romanesque. Il s’agit de René Girard.

  • Ariane Walter Ariane Walter 13 mai 2011 19:26

    J’adore cet article....
    Sa confusion me rend confuse....


  • Louise 13 mai 2011 22:33


    Mais les romantiques aiment Mozart, et Bach ...
    Etre romantique c’est entrer dans la passion humaine, écouter un dialogue intérieur, appréhender le monde de ses sens.
    Le romantique ne peut être qu’artiste car il trouve dans cette création humaine la plus belle des créations.
    N’enfermez pas trop vite le romantique dans un christianisme bon ton car sa foi est torturée, non, non, pas janséniste, juste qu’il pressent la mort de l’âme car il vit l’amour humain
    intensément, dans un tout galvanisant et heureux. Il sait ce qu’est l’anéantissement.
    Le romantique ne choisit pas de l’être, sensibilité à fleur de peau, à l’écoute des hommes et femmes autour de lui.
    Il est tout fait d’oppositions : fragile et fort, gai et triste, amoureux et sait détester, emporté et raisonné, intelligent et naïf .... tout est humain en lui.
    Il recherche le grand amour, celui qu’il peut imaginer, sentir dans ce qui est de plus grands. Aimer un romantique c’est aimer l’amour.
    Mais nous cherchons tous à aimer et être aimer, avec plus ou moins de romantisme.
    Rien de dégénéré ou mièvre dans le vrai romantisme.
    Chateaubriand, un des plus grands romantiques, était aussi un diplomate et un homme politique ! Ca va même très bien ensemble, les romantiques portent les grandes idées de justice, de paix, d’égalité.
    Bon, allez, je vous l’accorde .... oui, il y a bien un peu de mélancolie dans tout cela.
    Mais, Dieu, que la vie serait ennuyeuse sans ces chercheurs d’Amour (et d’abord, si, il n’y a que l’amour qui soit important ici bas !).


    • rakosky rakosky 14 mai 2011 00:09

      Vous avez raison,vous savez cet article est surtout un exercice de style...
      sur le fond ,une position aussi dogmatique serait intenable....c’est pourtant un idéal vers lequel il faut tendre..
      bien cordialement rakosky


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