jeudi 10 novembre 2016 - par Frédéric Degroote

Le Terzo libro di madrigali de Carlo Gesualdo par La Compagnia del Madrigale

C’est le deuxième disque de la Compagnia del Madrigale à paraître en 2016 chez Glossa après leur programme consacré aux motets et contrafacta de madrigaux de Monteverdi. L’ensemble renoue avec l’enregistrement d’un livre complet de madrigaux : il s’agit ici du Terzo libro di madrigali a cinque voci de Carlo Gesualdo (1566-1613) paru pour la première fois à Ferrare en 1595. 

Sur les six livres publiés entre 1594 et 1611, le troisième ouvre assurément la voie au langage torturé et dolent que l’on connait du compositeur — au « style mature » des prochains livres — et fait office de charnière dans son œuvre, encore teintée à cette époque d’un rapport plus équilibré à la consonance. Sans le savoir, Gesualdo se montre peut-être ici le plus accessible, faisant presque acte de synthèse avant même de verser définitivement dans une écriture des plus extrêmes. Dans ce troisième livre, le compositeur met en musique une série de vers de poètes ferrarais dont le plus connu est Giovanni Battista Guarini (1538-1612) mais, comme dans une majorité de livres de madrigaux, la plupart des poèmes sont anonymes et la paternité de ceux-ci n’est pas forcément attribuée au compositeur lui-même. 

Ce qui caractérise cet opus réside dans l’évocation obsessionnelle de la mort, thème qui n’aura de cesse d’être au centre de la future production du prince assassin mais qui se veut loin des standards poétiques de ses deux premiers efforts. Dès lors, l’écriture madrigalesque s’en ressent et les enchainements harmoniques les plus osés ont droit de cité puisqu’ils semblent être, pour Gesualdo, le meilleur moyen d’exprimer les passions lugubres du texte. A cet effet encore, le compositeur utilise des marqueurs d’expression parmi lesquels des contrastes de rythmes, de couleurs, des chromatismes ou des dissonances appuyées afin de peindre les idées de « misera », « disperata » ou « dolce morte ». 
Enfin, l’ensemble a eu l’excellente idée d’inclure trois raretés en fin de disque avec les figures contemporaines du napolitain Scipione Stella (c.1560-1622), du ferrarais Luzzazsco Luzzaschi (c.1545-1607) à qui Gesualdo vouait un grand respect et d’Alfonso Fontanelli (1557-1622) chez qui l’on retrouve des caractéristiques d’écriture semblables.

Dès les premières mesures, la Compagnia del Madrigale convainc une fois de plus par sa lecture fluide et expressive des madrigaux. On admire la conduite solide des lignes et la sûreté de l’intonation dès les premières mesures de Ancidetemi pur, grievi martiri (n°1), les contrastes tout au long de Se vi miro pietosa (n°10) ou la tenue des clairs-obscurs de Se piange, ohimè la donna (n°14). De Gesualdo, l’ensemble avait déjà gravé lesResponsoria (1611) et le Sesto libro di madrigali (1611) avec des accointances plus qu’évidentes. Ce disque renouvelle l’exigence avec laquelle chacun des membres aborde ce répertoire qui, dans le cas présent, a le grand mérite de s’avérer captivant sur la longueur. Ni trop maniériste avec le risque d’overdose que cela comporte ni trop conformiste, ce Terzo libro di madrigali a trouvé ses interprètes idylliques et se place directement parmi les plus belles réussites dans la discographie de l’ensemble et du madrigal en général.

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Carlo Gesualdo


Terzo libro di madrigali a cinque voci

La Compagnia del Madrigale :

Rossana Bertini, soprano
Francesca Cassinari, soprano
Elena Carzaniga, alto
Giuseppe Maletto, tenor
Raffaele Giordani, tenor

Daniele Carnovich, bass
et :
Laura Fabris, soprano
Annalisa Mazzoni, alto


2016 Glossa GCD92806


Ce disque peut être acheté ICI




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