« Les étoiles filantes », en hommage à Karl Tremblay
En 2005, le groupe québécois de folk-rock Cowboys Fringants offrait à la francophonie une magnifique chanson intitulée Les étoiles filantes. Karl Tremblay, le chanteur, est décédé le 15 novembre, victime à 47 ans d’un cancer qu’il avait rendu public en 2022. Une étoile filante est morte, et le Québec est en deuil…
C’est à Jean-François Pauzé, cofondateur du groupe avec Karl Tremblay, que l’on doit cette superbe et émouvante chanson dans laquelle la plupart d’entre nous peuvent, peu ou prou, se reconnaître. En 4’ 21’’, porté par une musique entraînante bien ancrée dans la tradition québécoise, le texte de cette œuvre nous donne tout d’abord à goûter des madeleines de Proust. Puis il porte un regard fataliste sur la vie des gens ordinaires. Enfin, il se termine en délivrant un message d’espoir, fût-ce sous la forme d’un éphémère bonheur.
Pas de doute, entre la rue Saint-Denis et le Carré Saint-Louis, nous sommes bien à Montréal. En un temps où la télévision diffusait les épisodes de la série Passe-Partout à un public de gamins. Des « ti-culs » comme on dit au Québec, du genre à « agac[er] les petites filles pas loin des balançoires », et l’hiver « à construire des igloos » dans l’insouciance de « la petite école et de la cour de récré ». Jusqu’au jour où les « avions en papier ne partent plus au vent ». Nostalgie, quand tu nous tiens...
Puis vient le temps de la vie adulte que « bien souvent, on choisit pas, mais on subit ». Une vie où « les rêves des ti-culs s’évanouissent ou se refoulent dans [une] réalité crue » et le plus souvent banale. Viennent « la trentaine, la bedaine, les morveux, l’hypothèque ». Le tout ponctué par « les bonheurs et les peines, les bons coups et les échecs ». Autrement dit, la vie dans sa trivialité, où l’on tâche malgré tout de « faire de son mieux » tout en continuant d’« espérer être heureux un peu avant de mourir ».
Et l’on comprend que « voir trop loin, c’est pas mieux que regarder en arrière ». « Malgré les vieilles amertumes et les amours qui passent », malgré « les idéaux qui se cassent », quoi que l’on fasse « la vie s’accroche et renaît comme les printemps reviennent ». L’occasion peut être, sans être dupe de ce que sont les servitudes et les aléas de la vie, de dire à un être aimé : « Même si on sait bien que tout ne dure rien qu’un temps, j’aimerais que tu sois pour un moment mon étoile filante. »
Au final, ce très beau texte nous rappelle que, tous autant que nous sommes, et aussi convaincus soyons-nous de notre propre valeur dans la société, nous ne sommes rien d’autre que des « étoiles filantes » dans un univers en constante mutation, où la vie existait avant nous et continuera d’exister après. Et c’est très bien ainsi. Un grand merci au regretté Karl Tremblay et aux musiciens des Cowboys Fringants d’avoir si bien servi le texte de Jean-François Pauzé, et si bien su toucher notre sensibilité. La vie est courte : Carpe Diem !
Liens :
Les étoiles filantes par les Cowboys Fringants
Paroles de la chanson
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