mercredi 27 mai 2009 - par Lediazec

Les mendiants - Louis-René Des Forêts

Si l’enfance est le port de toutes les angoisses, de tous les rires, de tous les bonheurs, de tous les désordres et de toutes les perspectives, mon grenier en est l’échancrure. Il est l’estuaire d’une nécessité inaltérable.
Si passer sa vie à lire, à découvrir et à partager passe pour un luxe aux yeux des gens pressés, ce luxe a un prix, je persiste et je signe : lire est le négatif sur lequel est fixé l’ombre et sa lumière.

 Lire c’est inventer quelque chose qui n’existe pas. Du moins pas encore. Mais ces réalités paradoxales ont ceci de tangible : c’est quand on les oublie qu’on mesure le vide qu’elles laissent. Mais que le tcheuf tcheuf du moteur vienne par hasard à se faire entendre dans le subtil réseau des exigences et c’est tout un pan de l’histoire universelle qui se met à virevolter dans votre tête pour un inévitable come back.

Qui dit enfance, dit grenier, dit vieille malle qu’on ouvre comme on découvre une vie avant la vie. Cette cantine à l’intérieur de laquelle ondoie la cartographie du monde intérieur que la mémoire préserve comme ultime refuge. L’endroit où sont conservés les objets les plus incongrus et des choses beaucoup plus secrètes. Le lieu où votre coeur entend la rumeur des galets sous la houle tranquille ou le terrible grondement des orages pendant la tempête. Le coffre de toutes les émotions, l’océan de toutes les passions réduit aux dimensions d’un simple objet de fabrication artisanale ! Si nous devions rendre réelle la somme de toutes ces miniatures nous découvririons avec perplexité que notre planète ne suffirait point à contenir sa totalité. Elle serait pour ainsi dire ridiculement petite !

Pas facile d’entendre l’écho et son murmure dans le vacarme du présent. Le grenier de monsieur Louis-René Des Forêts recèle tant de choses ! Tout est extraordinairement supérieur dans les pages que l’auteur des mendiants soumet à notre curiosité. N’importe quelle petite misère devient par le sortilège des émotions drame shakespearien. N’importe quelle nullité devient par la conscience ou l’inconscience de l’esprit, l’acte fondateur d’une geste féodale à jamais gravée dans le marbre de l’histoire.

C’est à cela que ressemble « Les Mendiants » de Louis-René Des Forêts. L’éditeur parle de ce livre comme d’un roman divisé en trois parties et trente-cinq monologues. Je lisais le contenu de cette note dans mon grenier avant de l’emprunter pour relecture. Il ajoute qu’il s’agit aussi d’une construction polyphonique. J’ignore ce que le mot polyphonie évoque chez vous mais en ce qui me concerne il a suffit pour que je me laisse embarquer pour un second voyage avec un écrivain d’une grande originalité.

Un livre qui résiste à la crise, c’est assez rare pour se laisser convaincre.



5 réactions


  • Sandro Ferretti SANDRO 27 mai 2009 10:39

    Merci pour ce beau billet.
    Comme disait Destouches, le Doc de l’ame :

    « Voyager, c’est bien utile, et ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déception et fatigue.Notre voyage à nous est entièrement imaginaire, voilà sa force.C’est un roman, rien qu’une fiction. Littré le dit, qui ne se trompe jamais.
    Et puis d’abord, tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre coté de la vie ».

    (L.F Céline, préface du « Voyage au bout de la nuit ».)

    PS : il a la téte de ses mots, M. Des Forets. C’est bien. C’est rare.


  • Sandro Ferretti SANDRO 27 mai 2009 11:01

    Sur la vieillesse, Des Forets écrivait dans « Ostinato » :

    « L’esprit doucement s’endort, il n’y a que le coeur qui se souvienne ».

    Personnellement, c’est mon coté noir, mais je n’en suis pas sur. Peut étre que Des Forets, écrivain ascetique, chassant l’emphase et le lyrisme à quatre sous, s’est un peu emporté sur la fin, avant d’étre transporté pour le grand voyage.

    PS : cet article fera 3 réactions, c’est donc qu’il est bon.


  • Lediazec Lediazec 27 mai 2009 11:19

    Merci Sandro. La troisième réaction étant la mienne, je suppose... Merci de faire venir à la barre (discrètement) L.F. Céline. Un monsieur que je n’ai pas relu depuis. Depuis... « Bagatelle pour un massacre », je crois que c’est le titre. Un livre très violent édité pour la première fois, en 1919 ? Cela remonte à si loin ! Va falloir que je retourne les morts de mon grenier pour mettre la main dessus.


  • raymond 27 mai 2009 17:55

    Merci à vous , c’est cela que j’adore sur agoravox, c’est lomme l’apparition de petits trésors comme vos articles ( et ceux de Sandro...)qui apportent des informations sur des auteurs essentiels qui passent à la trappe , c’est ici que le baudet que je suis découvre Julien Gracq,


  • b.mode b.mode 28 mai 2009 02:33

    De la poésie à tous les coins de phrase. Excellent !


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