samedi 11 mars 2023 - par Theothea.com

« Les Parents Terribles » & Jean Cocteau « Incroyable » avant-garde au Théâtre Hébertot

« INCROYABLE ! » Tel est effectivement le mot-clef leitmotiv du Vaudeville existentiel que Jean Cocteau a rédigé de manière compulsive en moins d’un mois durant l’année 1938 dont Christophe Perton a retrouvé récemment, quasiment par hasard, en salle de vente Drouot la version originale, brut de décoffrage. 

  

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LES PARENTS TERRIBLES
© Dominique HOUCMANT-GOLDO

  

C’est celle-ci que le metteur en scène a donc décidé d’adapter pour en faire ressortir une comédie de mœurs fort significative de l’âme humaine alors que celle-ci tend à défendre sans vergogne ses intérêts claniques primaires.

En réunissant autour d’un immense lit familial, Yvonne, Georges, Michel, Leo et Madeleine, c’est à la fois le Théâtre de Boulevard sous la férule de Feydeau qui est convoqué dans sa forme la plus diablement entrecroisée mais c’est surtout l’Amour sous ses variantes composites les plus pathologiques voire dénaturées.

Ces deux instances sociétales viennent donc s’entrechoquer sous l’apanage de relations toxiques induisant l’autodestruction de « La Roulotte » qui, autrement nommée, pourrait volontiers s’appeler la sacro-sainte « cellule familiale ».

   

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LES PARENTS TERRIBLES
© Dominique HOUCMANT-GOLDO

  

Chacun y adoptant, selon un degré plus ou moins intense, le point de vue subjectif le situant juste au cœur des travers que lui font subir ses proches, c’est la victimisation qui devient l’emblème d’un art de vivre que la grande bourgeoisie ne pourrait renier à ses heures les plus conquérantes de l’entre-soi.

C’est alors que l’inceste, l’adultère, le mensonge institutionnel, la mauvaise foi peuvent prendre les commandes d’une gouvernance de classe renvoyant les parasites extérieurs vers l’infamie dont ils portent en eux-mêmes les stigmates au fer rouge.

Le décor est ainsi planté à la fois par Cocteau qui fait preuve de vulnérabilités dûment discernées dans l’opinion de ses contemporains mais aussi désormais par Christophe Perton qui, lui, n’a pas l’intention de laisser échapper sa place créatrice pour oser une version des « Parents terribles » à la fois noire, drôle, quasi rock and roll mais surtout distanciée du rôle que chacun est censé assumer au sein de sa propre généalogie dès lors qu’il est confronté aux pressions de l’éthique universelle.

 

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LES PARENTS TERRIBLES
© Dominique HOUCMANT-GOLDO

  

Voici donc que s’affiche une distribution éclatante à la face de toute conscience plus ou moins chloroformée par l’air du temps devenu si « correct » et c’est ainsi que, prenant la tête d’une rébellion instinctive, Muriel Mayette, ex-administratrice remerciée de La Comédie-Française, surgit d’emblée de la pénombre pour imploser son personnage maternelle à l’instar d’une bombe à retardement programmée sur le règlement du solde de tout compte artistique selon une interprétation à vif au plus fort de l’exhibition extravertie.

A l’inverse opposée, prenant le parti du charme ravageur et machiavélique mais bien consciente de son magnétisme qu’elle peut doser à volonté du maléfice à la bienveillance selon son gré et son humeur, voici la prodigieuse Maria de Medeiros qui dans une immense palette de subtilités à peine perceptibles endosse le « beau rôle » de cette tragi-comédie, celui de diviser ou de rassembler les forces libidinales prêtes à tous les exploits… selon sa simple détermination royale.

 

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LES PARENTS TERRIBLES
© Dominique HOUCMANT-GOLDO

  

Muni de ses deux locomotives féminines magistrales, le convoi nuptial peut s’ébranler cahin-caha, alors qu’à chaque nouvel aiguillage les trois autres partenaires vont se rendre compte que leurs rôles sont délibérément passés à l’essorage incitant à l’initialisation des affects pour tenter d’espérer un retour en grâce de la destinée.

En conséquence, le mari volage pourra peut-être s’affranchir des fourches caudines en s’achetant une rédemption inattendue pourvu qu’il accepte de se mettre en retrait d’un jeu inutilement cruel voire même d’adopter un esprit de coopération salvatrice.

Charles Berling qui a une nette propension à savoir manier le contre-emploi est parfait pour régenter un tel revirement à géométrie variable.

 

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LES PARENTS TERRIBLES
© Dominique HOUCMANT-GOLDO

  

Reste le couple de tourtereaux qu’il aura fallu ajuster sur mesure en le prenant suffisamment inexpérimenté pour être pleinement crédible, c’est Lola Créton qui doit, à ses dépens, accepter d’être sacrifiée comme dans les grandes tragédies grecques tout en pressentant dans les fibres de sa prestation que cette foncière injustice pourrait se contenter d’un bizutage à savoir assumer la tête haute.

Enfin mais surtout pas le moindre, Michel, le fils tant adoré de sa mère, va parcourir toutes les étapes du chemin de croix qu’un jeune adolescent bien né sous tout rapport se doit de franchir s’il veut être à la hauteur de l’appartenance à son milieu d’origine : Aussi qu’Emile Berling soit le digne fils de son père autant à la ville qu’ici ensemble à la scène, quoi de plus légitime ? 

   

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LES PARENTS TERRIBLES
© Theothea.com

  

Le flambeau est bel et bien transmis et marque indéniablement cette mise en scène d’une aura à nulle autre pareille.

Ainsi, Christophe Perton aura formidablement réussi l’œuvre alchimique relevant du miracle essentiel que le spectacle vivant espère, de manière récurrente, applaudir à chaque création d'envergure.

 

photos 1 à 5 © Dominique HOUCMANT-GOLDO
photos 6 à 8 © Theothea.com
   
LES PARENTS TERRIBLES - **** Theothea.com - de Jean Cocteau - mise en scène Christophe Perton - avec Muriel Mayette-Holtz, Charles Berling, Maria de Medeiros, Émile Berling & Lola Créton - Théâtre Hébertot
  

  

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LES PARENTS TERRIBLES
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LES PARENTS TERRIBLES
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