mercredi 6 novembre 2019 - par krich med

Les scènes-prétexte du peintre Bouchaib FALAKI

Les scènes-prétexte du peintre Bouchaib FALAKI

 Med KRICH (artiste-peintre)

 

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Sachant que le travail du peintre Bouchaib FALAKI repose exclusivement sur des acquis empiriques, il conviendrait, à mon avis, de ne pas chercher à l'analyser du point de vue académique.

Cependant, s’engager dans la lecture d’une image, et en l'occurrence une peinture, c'est s'engouffrer, en quelque sorte, dans un labyrinthe clos et sans fin. En effet, étant polysémique et équivoque, l'image, dont les interprétations restent tributaires des contextes temps et espaces socioculturels, "civilisationnels", ethniques, etc, s'avère difficile à lire.

"L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible", affirme le peintre visionnaire Paul Klee, repensant la nature et la fonction de l'art.

 D’emblée devrait-on comprendre que la nature de toute image est d’"exprimer" les "vérités" de ce qu’elle représente, voire, de révéler ce qui en est caché derrière : le fugitif et l'inédit. Une image est donnée, non à décrire, mais à réfléchir, à décrypter et à décoder. En ce sens, c’est le message connotatif de celle-ci qui importe le plus et non son aspect "représentatif". Umberto Eco nous dit à ce propos que « : [... tout le monde est d'accord sur le fait que les images véhiculent un certain contenu... ] » (cf. La production des signes, p.61.)

Aussi il y a donc lieu de comprendre que les apparences (l’aspect formel) d'une image (figurative entre autres) ne sont (surtout pour un novice) que voilement et obstacle. Elles sont leurres et artifices qui distraient par l'œil, l'intellection (intellectualisation) du contenu réel de l’image, voire son message. En fait, l'image est une somme de "symboles" qui exigent le recours à la réflexion : une lecture méthodique et une interprétation de fond. Il s'agit également d'une transgression intellectuelle des "allures" et des aspects, par décryptage et dénouement de " l'allégorique et l'énigmatique picturaux".

Falaki est peintre autodidacte, il a accumulé tout au long de sa carrière une formation technique et artistique, uniquement, grâce à la pratique continue et, par la fréquentation des milieux artistiques : européens et marocains. Il est persévérant ; de nature attentif et assoiffé d'apprendre et de tout savoir sur l'art figuratif et ses secrets.

 L'originalité et l'onctuosité de sa "matière pigmentaire" et de ses liants, sont le fruit de longues expérimentations relatives à la confection artisanale des mediums : huiles, résines et essences de base…

De tels apprentissages de longue haleine ont fait de lui un virtuose technicien dans son style. Il est également pourvu d’une grande dextérité d'exécution et d’un savoir-faire plastique richement diversifié, ce qui lui permet d’extraire ingénieusement du passé, ses images-scènes et leur donner vie par le biais de la couleur et les "caprices" de la lumière.

Néanmoins, la peinture de Falaki n'est pas orientaliste, en dépit de certaines similitudes puisqu’elle ne repose pas sur les fondements et les motivations qui ont donné naissance à l'orientalisme occidental, et qui lui ont servi de références. Ces fondements sont d'ordre littéraire, esthétique, culturel, politique, etc. La peinture de Falaki ne se préoccupe point de sublimer l'exotique ni de transcrire le "fantasme" sur l'oriental".

Les scènes dépeintes par Falaki sont de nature conventionnelle et "fictive", à l'instar de certains peintres tels que Jérôme Bosch, Bruegel l'Ancien, Mohamed Racim. Ou encore, à l'instar de la miniature persane et de la peinture biblique comme celle de Dirk Bouts. Ainsi, le peintre Falaki ne copie et ne représente pas la réalité en partant de l'observation directe. C’est ce qui lui offre une grande liberté de choisir, d'accommoder et d'aménager les éléments 'figuraux' de ses compostions/scènes, mettant ainsi le "contenu symbolisé" fixé par l'oeuvre en tant qu'objectif-cible... En définitive la peinture de Falaki ne cherche pas à représenter et à faire ressembler des choses mais, plutôt, à exprimer les idées et la "teneur allégorique" mimées par celles-ci... C'est une sorte de "théâtralisation" par l'image (le visible) de l'imperceptible et du "sous-jacent".

Le plus important dans la peinture de cet artiste, n’est nullement, ce qu’elle dépeint en tant qu’"image descriptive", en l'occurrence sa "représentativité analogique", mais plutôt, le "contenu symbolisé" qu’elle véhicule à travers sa "thématique fondamentale constante" qu'est le "Maroc traditionnel". Elle est mise en relief par une large diversification de gammes chromatiques dont use le peintre pour imprégner ses scènes et modeler ses instantanés. La peinture de Falaki fonctionne tel un "pictogramme".

Dans ce sens, le peintre puise entièrement son vocabulaire plastique dans le "corpus" du patrimoine culturel et artistique local, en l’occurrence, dans le registre historique "imagé" du Maroc d’antan. De même, il interpelle incessamment l’imaginaire collectif populaire.

 Dans la peinture de Falaki, les mêmes scènes pittoresques et imaginaires reviennent continuellement et avec insistance, comme des tranches de rêve illuminées, resurgissant des tréfonds de la mémoire marocaine : celle des lieux et des temps passés. Une mémoire vouée jusqu’alors, dirons-nous, à un certain oubli et, exposée au risque d'une "métamorphose outrée".

 Des artisans oeuvrant dans leurs échoppes, des porteurs hâtés s’engageant dans les minces ruelles de l’ancienne médina. De vieux marchands vantant leur(s) produit(s), le va-et-vient de la grande foule remuante, vêtue de costumes traditionnels, des ruelles désertes aux pénombres permanentes et inchangeables, si fraîches et aux mille mystères. Toutes ces atmosphères traditionnelles imbibées d’odeurs et de parfums de la Medina et ceux de la campagne du Maroc, Falaki en fait, essentiellement, ses référentiels iconiques, plastiques afin d'élaborer son "récit pictural symbolisé", voire des séquences fixes empruntées à la vie de tous les jours d'autrefois.

Ces scènes animées configurent et donnent lieu, en réalité, à des "ouvertures de rencontre" qui s'ouvrent sur un passé révolu où le contemplateur marocain s’identifie et "re-visite" ses origines, remémore et commémore, à la fois, son histoire patrimoniale, culturelle et artistique. De même ces scènes constituent des "images-clés" sollicitant l’esprit et incitant la réflexion du regardeur, le provoquant et l'interrogeant (non pas par leurs propriétés optiques et esthétiques mais par leur "référencement" à une problématique, celle du (dépassement culturel et de l'acculturation)). De plus, elles interpellent, autant la mémoire collective et la culture populaire, soumises progressivement à l'altération et la dégénérescence.

Concernant cette question de l'"identitaire", il y a trentaines d'années, rappelons-nous, Samuel Huntington parlait du 'choc des civilisations'. Cela sous-entendait, bien sûr, les conflits culturels, et en premier lieu, celui de "l'identité culturelle et artistique". De même, Francisco Jarauta, met en relief cette problématique dans son livre intitulé, "Mondialisation et Conflit de Civilisations".

Or, la modernisation et le progrès scientifique et civilisationnel doivent aller de paire avec la préservation du patrimoine culturel et artistique afin d'éviter sa défiguration et sa "dé-originalisation", conséquence certes, d'une importation sans modération et d'une adoption exagérée de l'inédit et du renouveau "artistico-culturel" de l'autre, engendrant ainsi une irréversible acculturation. 

L’apprêtage et le "confectionnement" des couleurs et la répartition chromatique chez Falaki oscillent, selon les étapes de sa carrière et selon les exigences thématiques, entre des tonalités vives et contrastées des plus capricieuses et des coloris les plus assourdis, fondus avec délicatesse (plus particulièrement dans la nature morte). Le rendu artisanal pictural et la facture technique ont, toujours un aspect lissé, lustré, et finement élaboré, à l’instar du peintre Friedrich ou un Rousseau Le Douanier ... (Ici, nous évoquons seulement l'aspect/rendu pictural).

 L'illusion de la troisième dimension est rendue, non par gradation de valeurs tonales (grisailles et camaïeux colorées) comme c'est le cas chez le peintre Giorgio Morandi ; mais par interposition de masses, autrement dit, les plans successifs composant l'espace plastique sont répartis selon un agencement dégressif de tons, de couleurs dont des bleus rompus, des nuances violacées et des gris colorés servent pour estomper les arrières plans vers l'horizon et accentuer l'impression d'éloignement. Par contre, les tons et les nuances chaudes et, relativement contrastés, mais toutefois harmonieux (orangé, jaune, ocre, dérivées des terres, vert chaud etc.) servent à modeler et à mettre en relief les premiers plans. Par ailleurs, la distribution et la variation des densités des ombres et des lumières sont conçues et traitées de telle manière qu'elles renforcent le sentiment de spatialité et de l'étendue atmosphérique de l'image. Cette stratégie relative à la manipulation des couleurs pour produire l'illusion du réel et de la lumière puise ses origines dans le registre de la pensée artistique impressionniste.

Loin d'être mouvementée et lyrique, la structuration spatiale de base chez Falaki, est généralement simple (basale). Elle est intuitive et totalement spontanée. Elle est conçue selon la dynamique des lignes de force dont essentiellement la verticalité et l'horizontalité, se situant ainsi dans le sillage de certains artistes tels que Mohamed Racim ou Canaletto. Viennent s'y intégrer ensuite les divers constituants (figurants), en vue de meubler et animer l'espace-scène.

Cette démarche de type élémentaire et presque géométrisante qui régit le découpage structurel de l'image chez Falaki, donne à l'oeuvre (scène) un caractère de frontalité, d'équilibre et de stabilité optique (visuelle). D'autre part, l'esprit générique, adopté par le peintre pour gérer et répartir les diverses composantes plastiques et picturales dans l'espace-image, à savoir l'ordonnancement et l'aménagement des figures, des objets, des architectures, des couleurs et leurs masses, etc, ne produit presque jamais des impressions/sensations de tensions formelles ou gestuelles ; Il leur insuffle plutôt un aspect serein s'opposant ainsi aux compositions lyriques et fougueuses qui caractérisent les tableaux de certains peintres comme Jean Gaston Mantel ou encore Pierre Paul Rubens dans sa toile intitulée : « La Chasse au tigre » ou encore « La chute de Phaéton ».

En conclusion, la peinture de Falaki, est de tendance "narrative", ses motifs, c’est-à-dire" ses référentiels imagés" restent facilement identifiables et intelligibles. C'est aussi une peinture qui n'agresse nullement, Elle ne provoque pas une picturalité texturale marquée ou rugueuse, comme celle de Van Gogh ou Soutine. Elle est plutôt légère et voluptueusement picturale. Elle se veut, à sa manière, "soucieuse" de poser des questions et d'attendre des réponses. Elle s'adresse à la réflexion et non à la simple contemplation visuelle, ni à l'appréciation centrée sur le rendu "morphologique" et esthétique. Elle transcrit le passé et interpelle l'identité culturelle via un langage simple, mais abondamment sincère. Elle est réminiscence et résurgence d'un certain "moi" collectif.

Apprécions et examinons donc toute la peinture de Falaki, comme si nous examinions celle d'un Jérôme Bosch, d'un Rousseau Le Douanier ou d'un Mohamed Racim ;. C'et alors seulement que l'on saura explorer et percer les secrets et les métaphores des images de cet artiste et, l'on sera disposé à saisir son message ! 

P.-S.



1 réactions


  • JPCiron JPCiron 6 novembre 2019 22:45

    Bonjour,

    Merci pour avoir présenté ce peintre.

    Je me suis demandé pourquoi mon regard est allé rapidement au fond de la ruelle. En fait, c’est la construction de son oeuvre qui nous mène d’abord à l’homme à l’habit clair. Puis le fond de la ruelle éclairée par le soleil attire le regard..

    Et l’on est ainsi tout de suite ’’pris’’ dans l’ambiance.

    Une bien jolie peinture.

    .


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