mardi 6 janvier 2009 - par Julie Dep

Les vagues à l’âme et Plages d’Agnès Varda

"Si on ouvrait les gens on trouverait des paysages. Si on m’ouvrait, on trouverait des plages.” Celles d’Agnès Varda, qui nous accueille sur ces mots, ne sont pas désertes.

Les voici pleines de ceux, illustres ou anonymes, qui l’intéressent, on la croit, plus qu’elle-même.

Les premières étaient belges, leurs noms lui parlent encore : Gravenzand, Wissenkerke... Avec le ton badin, enjoué d’une fillette inventive Agnès Varda, née en 1928, évoque son enfance insouciante à Bruxelles ; son père, grec, en rupture avec ses racines et qui mourra, au casino, devant la roulette après avoir perdu ; l’exode en 1940, "dans le grondement des bombes et des ambulances", d’une famille unie qui s’amarre dans le port de Sète, pour y attendre la fin de la guerre sur un voilier où la joie règne ; le camping ("seul voyage possible"), avec des scoutes dont elle saura plus tard que ces virées leur permettaient de "faire passer" des petites juives...

"Faire une fugue me paraissait indispensable"

La "montée" à Paris occupé est revécue sous ses ponts, dans une barque de pêche qui par un amusant raccord la promenait le plan d’avant dans le port de Sète. ("On disait "monter", comme si la France était verticale !"). La vie de tous au jour le jour, les cours qui continuent dans les caves pendant les bombardements... Et les nouveaux soucis de l’adolescente pas sûre d’elle-même : "Comment aborder au rivage des hommes, dont j’avais une mauvaise image ? Par les poètes..." Une fugue, qu’elle juge "indispensable", l’emmène à Ajaccio, où elle vit avec des pêcheurs trois mois - chastes - qui l’"enhardissent". Au retour, un boîtier offert par sa mère lui procure son premier gagne-pain : elle photographie les pères Noël et petits clients des Galeries Lafayette. Se dépouillant de son nom de baptême : Arlette, elle fait officiellement peau neuve avec Agnès.

La Nouvelle vague, Demy, Godard, Chabrol, Varda...

La suite est plus connue : ses photos de Vilar, Gérard Philipe, du TNP qui continuera de l’appointer à Chaillot ; la rencontre avec Jacques Demy... Et une "Nouvelle Vague" qui aura joué de chance :

-Georges de Beauregard était à sec. Godard a réussi à lui faire produire A bout de souffle, pour deux fois rien. Ce qui l’a renfloué. Alors il a demandé à Godard : "Vous n’auriez pas un autre gars qui fasse du noir et blanc pas cher et qui rapporte ?" Godard lui amène Chabrol. Même succès. "Vous n’auriez pas un autre gars... - J’ai une fille : Agnès Varda."

S’ensuivent deux heures qui feront date : Cléo de 5 à 7 (temps objectif cumulé avec temps subjectif) reçoit la palme à Cannes, tandis que Jacques triomphe avec Lola, La Baie des anges... Une autre plage les accueille : celle de Noirmoutiers, qu’ils partageront souvent, jusqu’à la victoire du sida sur "le plus chéri des morts".

Puzzles

Les souvenirs, ces "mouches qui l’embrouillent", ne l’enferment pas. Révélatrice d’une rare disponibilité, une séquence où, invitée à Bruxelles par le nouveau propriétaire de sa maison natale, elle détourne la caméra du sujet initial (la maison) pour la laisser sur cet étonnant "ferroripathe", autrement dit collectionneur passionné de trains miniature, qui l’embarque un moment dans un univers inconnu.

Elle pioche au hasard les morceaux de puzzle : la révolution cubaine, les Black Panters, le féminisme et le combat pour le contrôle des naissances, la rébellion de la jeune "sans toit ni loi"...

-Je déballe tout en vrac et je range un peu".

Et ce "déballage" a du style. C’est à ce style enthousiaste, fantaisiste et enlevé, à cette verve altruiste, à ces trouvailles scéniques à la pelle, souvent inspirées des surréalistes, mais plus encore, de la gamine curieuse et surdouée qu’elle n’a cessé d’être, qu’on doit ce moment de bonheur. De "chutes" d’un de ses films qui n’a pas marché elle a fait des rideaux, où la lumière passe. "Qu’est-ce d’autre que le cinéma ? De la lumière traversée par des images plus ou moins sombres, et recollées..."

Les Plages d’Agnès, 1h50

J. de P.




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