Lettre à la Paillotte
Sanctuaire artistique miraculeux
Alors que partout en ce royaume de France souffle un vent mauvais sur la Culture, la vraie, celle qui ne se confond pas avec la distraction, les pitreries, les facéties graveleuses ou dérisoires, les vulgarités dans le vent, les facilités que promeuvent les grandes officines d'un spectacle factice en état de mort cérébrale, les productions absconses d’intelligentsia captatrice d'énormes subventions, il demeure un bastion parmi d'autres certes, fondés tous sur le même modèle : la Paillote.
Que l'espace culturel soit en plein air comme ici, ou bien dissimulé dans une grange, caché chez des particuliers, en état de clandestinité en d'autres lieux qu'il convient de taire, la culture résiste au rouleau compresseur d'un abrutissement collectif voulu par les maîtres des financements et les barons des régions. C'est peut-être avec l'énergie du désespoir que se battent les petits artistes locaux que l'on entend bâillonner sous prétexte qu'ils souhaitent élever le public, l'enrichir d'une expérience nouvelle, l'inviter dans un monde onirique, féerique, magique, merveilleux qui fuit la vulgarité et toutes les facilités des productions standardisées, mais c'est avec leur cœur et leur passion qu'ils s'offrent en ces oasis de résistance.
Il convient de donner un grand coup de chapeau à ces combats du refus de la médiocrité, à ses explorateurs des possibles, à ces francs diseurs d'une langue à préserver, à ces troubadours de la chanson française authentique, à ces artistes de toutes les disciplines qui ne remplissent ni les Zéniths ni les Arénas pas plus que les pages culturelles des médias aux ordres. Il convient encore de verser un écot défiscalisé à ceux que la diva du ministère de la culture entend rayer des cadres, dans ce chapeau que jamais les artistes ne mangeront, en dépit de la guerre qui leur est faite par le pouvoir du fric et de la déliquescence intellectuelle.
Il fallait donc un écrin pour accueillir pareil joyau brut, ce mausolée de l'expression artistique, ce temple des créateurs locaux si mal traités en cette région peu encline à reconnaître et à promouvoir les siens. La Loire s'offrit comme décor sublime, havre de paix et de quiétude pour jouir pleinement de ce qui est ainsi offert gracieusement aux spectateurs comme à ceux qui ne font que passer en espérant que la curiosité les pousse à se poser un peu.
La Loire mais aussi la ville historique en toile de fond, en perspective grandiose qui inscrit l'endroit dans une Histoire qui mêla épopées, commerce, aventure, pouvoir et gloire. Ajoutez alors l'astre solaire qui illumine la scène sans qu'il soit besoin du moindre projecteur et vous comprendrez que le soleil couchant exprime alors la plénitude la plus miraculeuse de ce lieu.
Pour compléter le tableau, la faune se met au diapason, ouvrant le bal des oiseaux de Loire pour servir de figurants ailés à ceux qui se produisent ici. Sur l'eau ou dans les airs, les hérons, sternes, oies, cygnes, aigrettes et martins pêcheurs battent des ailes pour inciter l'auditoire à applaudir à tout rompre ceux qui ont enchanté leurs évolutions gracieuses.
Il reste alors un défi de taille : convaincre les consommateurs de tendre l'oreille, de respecter l'expression artistique, de mettre en sourdine leurs désirs effrénés de boire et discuter sans accorder la plus petite attention à ce qui se passe sur la scène. Ici, plus que dans les guinguettes, l'alchimie parvient à prendre, le respect à s'installer, le miracle à opérer.
Reste alors aux artistes à couper dans leur élan les joggeurs et les cyclistes qui passent, indifférents et pressés, souvent le casque vissé sur les oreilles pour ne pas risquer la contagion du beau, du mélodieux, du sensible. Vaste défi qui reste souvent improductif tant l’ablation de la curiosité et de l'ouverture aux autres a démontré son incroyable efficacité.
La Paillote se fait espace militant des arts et lettres, de l'espoir insensé qu'il est possible de croire encore et toujours à la magie de l'expression artistique sous toutes ses formes, pour le plus grand nombre sans exclusivité aucune.