mercredi 23 décembre 2015 - par C’est Nabum

Ma chorale déchante

Petite variation pour une fugue

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Un couac dans les pupitres

Il fut un temps où notre chorale baignait dans une douce harmonie. Tout était alors réglé comme du papier à musique. Le maître de chœur jouait les jolis cœurs, menait d'une main ferme son petit monde à la baguette et faisait les yeux doux à celles qui avaient des trémolos dans la voix. Les femmes se pâmaient, les hommes s'amusaient du succès du musicien émérite. Tout le monde ou presque chantait à l'unisson. Nulle note discordante, en apparence du moins, car, comme dans tous les ensembles, il y avait bien quelques solistes qui voulaient tirer la couverture à eux.

Puis soudain, l'accord parfait en apparence se fissura, des lézardes apparurent au grand jour. Des couacs se firent entendre dans les rangs, des cordes vocales grincèrent et la zizanie s'insinua sournoisement. Les choristes ne parvenaient plus à accorder leur violon. Il y avait du tirage, des vagues de mécontentement, des plaintes qui résonnaient dans les voiles du palais et des récriminations qui retentissaient dans les têtes. C'en était fini de la belle concorde enchantée.

Qui fut à l'origine de la catastrophe ? Nul ne saurait le dire. C'est pourtant quand il fallut chanter en canon une mélodie martiale que les choristes cessèrent de marcher au pas et que certains fourbirent leurs armes. Un bémol dans le bécarre, un trémolo qui reste en suspens, une double croche qui fourche et tout va à vau-l'eau. La musique dans pareil cas, n'est pas de nature à adoucir les mœurs, bien au contraire, c'est le conflit qui arrive au pas de charge tant les divergences se font alors discordances.

Sonnez tambours, résonnez musettes, : l'approche de Noël et ses chants niaiseux où un petit enfant blond aux yeux bleus fait l'âne dans une crèche alors qu'il aurait pu naître sous une bonne étoile, provoqua la colère des mécréants de service et des esthètes à l'oreille absolue. Quelques soupirs, des explosions et tous de se refuser au diapason dans un vacarme assourdissant.

Le chef s'inquièta : « Que me chantez-vous là ? ». Silence dans les rangs ; personne n'osait élever la voix alors que l'instant d'avant, c'était un concert de casseroles. Il lui fallait pourtant comprendre pourquoi tous ces choristes avaient décidé de prendre la clef des chants, de fuir la belle nuit de la nativité. Une crise de foi juste avant les fêtes : il y a lieu à s'en étonner. « Cet anachronisme ne présage rien de bon », pensa le musicien, qui avait fort bien pris la mesure du malaise.

Puis ce fut à nouveau le brouhaha. Chacun exprimant son mécontentement, voulant suivre sa propre voix, se réclamant de sa liberté de conscience. Les alti haussaient le ton, les sopranes préféraient la fugue, les ténors roulaient des épaules et les basses creusaient la question : avec elles rien n'est grave ni même tout à fait juste. Un baryton qui passait par là, ne trouvant pas sa partition, fut prié de se taire. Décidément, plus rien n'allait au pays des cantarelles et tous les participants de vouloir se faire maître-chanteur en dépassant la mesure. « Le temps se gâte ! » déclara un nouveau venu qui venait prendre le pouls du groupe et les battements du chœur !

Face à cette levée de bouclier, le bureau de cette noble association décida dans l'instant de rendre son tablier. Démission immédiate ! Les choristes en restèrent sans voix, le chef de chœur se sentit désavoué. Il vit déjà son avenir en noir, sa prochaine nuit serait blanche ; il voulut s'accrocher à l'espoir et pointa, dans un magnifique adagio, les belles envolées lyriques d'autrefois. Il pensait que la paix était à sa portée ; il récolta la guerre au rythme des marches funèbres. Au loin, quelques cors sonnaient l'hallali !

Hélas, toutes les belles années enchantées furent ainsi effacées le temps de cette déflagration. Le vent de la colère brisa l'harmonie d'autrefois, rompit le rythme des succès et des répétitions joyeuses. La messe fut dite, la chorale déchanta et se trouva dans l'instant sans direction. Comment conduire un ensemble quand il n'y a plus de pilote dans les rangs ? La musique a besoin d'équilibre, il n'est pas envisageable de jouer à contretemps sans métronome ni tempo.

Pour l'heure, les choristes sont sonnés. Qui va accepter de donner le la, reprendre la main et mettre un cadre dans la cacophonie du moment ? Soudain, une main se lève, un nouveau président, un guide pour sortir de la tourmente ? Les têtes se tournent vers le bienfaiteur : c'est le maître de chœur qui a sauvé sa tête ; il ne restera pas sur la paille avec celui qui a provoqué ce désordre abominable : ce petit Jésus promis au plus bel avenir. L'affaire est réglée, la cause est entendue, les violons sont accordés et les notes rejoignent enfin leurs portées.

Le chef reprend la tête de son ensemble. Il donne la note, demande le silence. Le calme se fait, les pupitres retrouvent leurs partitions. Le tempo est donné, la direction est prise, la chorale a retrouvé ses esprits. L'air de rien, elle vient de sauver elle aussi sa tête. Moi qui viens juste d'arriver, j'en reste sans voix. Mon voisin, ironique, me dit que c'est préférable.

Quelques personnes ont claqué la porte. Ainsi va la vie d'une communauté humaine : il y a des hauts et souvent débats. L'essentiel est de se dire qu'on a beau connaître la musique, les variations des humains sont bien souvent indéchiffrables. « Et ce n'est pas qu'une question d'interprétation », me souffle mon voisin.

Harmonieusement leur.



12 réactions


  • juluch juluch 23 décembre 2015 12:50

    Quelqu’un chantait faux ???


    joli texte mais qui a fait qui dans cette chorale ?

  • njama njama 23 décembre 2015 17:17

    Cela me fait penser à une chorale de la paroisse de mon village natal. Tout allez pour le mieux jusqu’à ce qu’un beau jour un prêtre très « tradi » fût nommé là ... lequel ne voyait pas d’un bon œil le répertoire laïque...
    La moitié des choristes désertèrent l’endroit ...


    • C'est Nabum C’est Nabum 24 décembre 2015 09:43

      @njama

      Il y a si souvent matière à querelle

      Petit précis d’intolérance à l’usage de tout un chacun

      La Ballade nord-irlandaise



      Vous n’êtes pas sans savoir que la chanson de Renaud Séchan : la Ballade nord-irlandaise, fait partie de celles qui sont le plus souvent reprises dans les chorales de France et de Navarre. Que ce soit dans les écoles ou bien dans les groupes amateurs, chacun prend plaisir à entonner ce magnifique hymne à la paix. Hélas, il y a toujours quelques distorsions entre les louables intentions et la triste réalité d’une société sensible sur bien des points.


      De-ci, de-là, il est de notoriété publique qu’un couplet disparaît, subit les coups de ciseaux de la censure ; la bien-pensance faisant fi du caractère sacré de la création artistique. Choisir c’est respecter dans l’intégralité ce qu’a voulu exprimer l’auteur et non pas pratiquer une sélection conforme aux caprices de son auditoire.


      Puisque cette position de principe ne semble pas être générale, j’invite les intolérants de tous poils, de toutes confessions, de toutes sensibilités à suivre ce petit précis de l’intolérance afin d’être en mesure de couper, de tailler, d’éliminer tout ce qui peut porter à controverses, discussions malsaines, polémiques pénibles dans le brûlot d’un personnage peu recommandable.


      Chacun sera ainsi plus à même de pratiquer sans honte l’ignoble geste de la censure en prétendant se référer à un tiers : une recommandation venant d’internet. Se laver les mains étant en la matière la plus sûre manière de ne pas sentir les remugles de l’infâme pratique qui, à n’en point douter, a encore de beaux jours devant elle.


      Examinons chaque couplet sous le regard aiguisé de celui qui cherche la petite bête. Je pense qu’il y a matière à déclencher les foudres des groupes de pression, à blesser des minorités et des personnes sensibles à des sujets précis. Nous devons veiller désormais à respecter le consensus : ce merveilleux concept qui ne laisse place qu’à la médiocrité si appréciée de la variété. Le succès toujours plus important des chansons anglo-saxonnes se nourrit de l’incompréhension presque générale qu’elles suscitent dans le bon peuple


      Le premier n’échappe pas aux bonnes raisons de l’évincer. Les amis des arbres fruitiers ont souvent émis des réserves sur la confusion entre le fruit « la grenade » et cette impitoyable arme de guerre. Les biologistes se plaignent, quant à eux, du fait qu’il paraît absurde de vouloir obtenir des grenades sur un oranger et que cette chanson trouble des jeunes esprits en pleine découverte des sciences de la nature. Soyons donc sans pitié pour ce quatrain douteux et si imprécis.


      Le deuxième semble le moins critiquable de tous. Il faut pourtant entendre les griefs de l’association des victimes du mal de mer qui reproche le choix peu judicieux du bateau pour se rendre à Derry. D’autres, au nom de la morale, aimeraient obtenir des précisions sur la nature exactes de la relation entre le parolier et sa bien-aimée. Un voyage, dans la promiscuité d’un voilier en-dehors des liens sacrés du mariage, ne peut être promu au rang d’exemple pour les plus jeunes. Malgré son aspect consensuel, ce passage devra être retiré.


      Le troisième couplet tombe impitoyablement sous les coupes de la loi Évin. Prétendre dans une chanson faire l’apologie de la consommation de bière devrait justifier l’interdiction définitive de cette chanson. Il n’est malheureusement aucun recours possible contre cette dramatique erreur du créateur. D’autant que des personnes bien informées feront des gorges chaudes des difficultés de ce monsieur avec l’alcool. Il convient donc de s’abstenir de cet extrait délictueux.


      Le couplet suivant est naturellement celui qui est le plus souvent amputé dans les écoles confessionnelles : ce qui peut se concevoir, mais aussi dans des écoles publiques, au nom d’une conception absurde de la laïcité. Non seulement nous comprenons cette démarche qui efface ce qui tombe sous le coup du blasphème,mais nous serions en droit d’exiger des excuses publiques et un acte de repentance de la part de ce triste mécréant. Nous espérons tous que Dieu, dans sa très grande miséricorde, lui pardonnera ce que nous ne saurions tolérer dans cette vallée de larmes. Ce passage se trouve lui aussi placé à l’index !


      Le dernier quatrain pourrait ainsi constituer un ensemble acceptable, susceptible de satisfaire tout un chacun. C’est sans compter sur la requête des diabétiques qui souhaitent que toute incitation à la consommation de produits sucrés soit désormais prohibée. Nous sommes ici au cœur d’un véritable problème de santé publique et nous devons entendre leurs plaintes. C’est sans plaisir mais avec le sentiment d’œuvrer pour le bien de tous, que nous demandons le retrait de ce dernier passage.


      Il ne vous reste plus qu’à fredonner ce magnifique air qui se passe, reconnaissez-le, de paroles, toutes sujettes à caution. Ainsi, vous ne choquerez personne et vous passerez une merveilleuse soirée consensuelle. Ne me remerciez pas, j’ai agi dans le souci louable d’apporter mon aide à tous les chafouins, les atrabilaires et les ronchons qui ne manquent pas dans notre bel hexagone, jadis traîné dans la boue par le sieur Renaud. Voilà une belle et douce vengeance que chacun appréciera à sa juste valeur.


      Sus aux contestataires, aux libres penseurs, aux agnostiques et à tous ces prétendus artistes qui veulent se démarquer de toutes les conventions qui ont jadis fait la grandeur d’une France Une et Indivisible. Notre pays dispose de tant de belles régions qu’il est parfaitement inutile d’inciter notre jeunesse à partir se promener à l’étranger, fût-ce en Irlande du Nord !


      Intolérablement sien.


      Pièce à charge.

      J’ai voulu planter un oranger
      Là où la chanson n’en verra jamais
      Là où les arbres n’ont jamais donné
      Que des grenades dégoupillées

      Jusqu’à Derry ma bien aimée
      Sur mon bateau j’ai navigué
      J’ai dit aux hommes qui se battaient
      Je viens planter un oranger

      Buvons un verre, allons pêcher
      Pas une guerre ne pourra durer
      Lorsque la bière et l’amitié
      Et la musique nous feront chanter

      Tuez vos dieux à tout jamais
      Sous aucune croix l’amour ne se plaît
      Ce sont les hommes pas les curés
      Qui font pousser les orangers

      Je voulais planter un oranger
      Là où la chanson n’en verra jamais
      Il a fleuri et il a donné
      Les fruits sucrés de la liberté


      Renaud Séchan

      Contrevenant notoire.


  • Samson Samson 23 décembre 2015 18:42

    Déjà dans l’Ainulindalë, premier texte du Silmarillion (JRR Tolkien), la création du monde - Arda - est le fait de la « Grande Musique », entonnée par le choeur des Ainurs dirigés par Illuvatar. Plutôt que de s’inspirer de la pensée d’Illuvatar, Melkor y introduit avec ses variations propres une profonde discordance, d’où l’imperfection ultérieure de tout le monde créé.

    C’est un des plus beaux et plus poétiques mythes de création que j’ai lu, et le seul qui initie la création par une musique. J’imagine que certains membres de votre chorale n’épprouveront aucun mal à s’y reconnaître.

    Cordiales salutations ! smiley


  • L'enfoiré L’enfoiré 24 décembre 2015 16:16

    Bonjour Nabum, 


    Une phrase m’a interpellé : « Comment conduire un ensemble quand il n’y a plus de pilote dans les rangs ? »
    C’est exactement là où on va dans notre société qui veut tout dire et parfois tout faire.
    Nous allons dans une démocratie participative et non plus représentative.
    Avec quelques représentants de chaque parti, c’est déjà difficile de s’entendre, quand c’est tout le monde qui veut jouer au chef, c’est le chaos ou pire, l’immobilisme.
    Très bonne initialisation du sujet de notre époque qui va s’amplifier parce que tous le monde croient connaître toutes les notes.
    .
    Une excellente fête de Noël pour vous et votre famille smiley

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