Marie chante Laforêt - La dernière aux Bouffes Parisiens
Samedi 24 septembre 2005, vingt-et-une heure passées d’une dizaine de minutes, une petite flamme vacille là-bas au fond du plateau des Bouffes Parisiens, plongé soudain dans la pénombre, venant accompagner l’entrée dans le grenier aux souvenirs d’une dame épisodique dans le spectacle vivant et que bien peu ont eu l’occasion de voir chanter sur scène depuis des lustres.

Trente années en effet qu’elle a complètement abandonné le tour de chant au profit d’une vie artistique guidée par des opportunités dénuées de plan de carrière.
Cette toute dernière représentation, hébergée dans la prestigieuse salle de Jean-Claude Brialy, vient de commencer son compte à rebours, alors que s’avançant vers les feux de la rampe, toute vêtue de noir en une longue robe taille très haute, Marie va, en ultime adieu à cette série de douze concerts sous jauge maximale, chanter sa Laforêt :
Viens, viens... Les vendanges de l’amour... Ivan, Boris et moi... Maine Montparnasse... Il a neigé sur Yesterday !...
Alors, comme des perles qui s’enfileraient à l’insu d’une mémoire encombrée de souvenances écran, des refrains réapparaissent en surface de mélodies ancrées dans une époque si lointaine, et pourtant tellement proche à la fois !...
Se lançant, tel un toréador, à tout nouvel assaut, avec une concentration immédiate et sans faille, la comédienne se débarrasse avec un soulagement non feint à chaque intermède, de tout pathos en surplus qui tenterait de se maintenir dans l’inconscient, au-delà de l’interprétation de la chanson.
C’est ainsi que le spectacle s’avance sur un rythme binaire, où l’alternative entre le relâchement des zygomatiques et l’émotion jusqu’aux frissons se fraye une harmonie contradictoire soulevant l’interrogation critique : en effet, le plaisir d’entendre à nouveau tous ces succès qui ont usé, jusqu’à une improbable moelle, des milliers de jukebox à leurs heures de gloire, n’explique pas pourquoi l’interprète emporte une adhésion similaire avec de nombreuses compositions musicales peu connues mais plongeant pareillement le public dans le ravissement général.
L’explication du phénomène serait confondante : c’est la voix de Marie Laforêt qui est tout simplement magique !...
Troublant, à nul autre pareil, son écorchement rauque en vibratos déclenche avec l’énergie du désespoir comme des effluves telluriques qui se succèdent dans un imaginaire lancinant à jamais.
Comme si la chanteuse s’adressait depuis un outre-tombe irréel dans le tremolo vivifiant du déchirement, armée d’un timbre identifiable à sa moindre inflexion !...
Perspective ô combien paradoxale, dont seule la distanciation par l’auto-dérision serait en mesure de sauvegarder l’intégrité de l’artiste.
Dans la proximité des premiers rangs de l’orchestre, en admirateur inconditionnel de sa protégée, Laurent Ruquier, initiateur du projet et confiant dans l’engouement nostalgique du public pour ce retour aux sources du baby-boom, se laisse volontiers griser par les vagues d’applaudissements que l’ultime note de chaque chanson laisse exploser des plus hautes galeries jusqu’à l’avant-scène.
"A votre santé !...", ce sera avec un bock de bière à la main que la dame parée d’une coupe au carré gris argenté fera son dernier rappel sous inspiration irlandaise, laissant le rideau de fer du théâtre s’abaisser lentement comme dans un au revoir nécessairement prochain pour cause de succès absolu.
photo : Fabienne Billal
MARIE CHANTE LAFORÊT - avec Marie Laforêt - production : Laurent Ruquier - Théâtre des Bouffes Parisiens -