Marketing Halloween
A trois semaines des festivités d’Halloween, les rayons de la grande distribution se remplissent. Malgré sa perte de vitesse en France, cette fête mondiale reste le phare de l’uniformisation culturelle. Le match culturel local contre la mondialisation culturelle reste ouvert !

Il est des événements planétaires qui deviennent tout à fait insupportables, par le fait même qu’ils sont mondiaux, et par le fait même qu’ils uniformisent l’inconscient collectif sous une façade ludique et attirante. Ces événements sont lisses comme un miroir, et rendus aussi brillants et aussi neutres que possible par la suppression de tout ce qui peut susciter un rejet ou une incompréhension de la part du pseudo consommateur que nous sommes. Ils sont à la culture, ce que "Canada dry" est à l’alcool, et ils sont si bien préparés qu’ils passent à travers les mailles parfois serrées des fameux particularismes locaux, sorte de rempart au modèle dominant, dont nous connaissons dans la région Sud-Ouest tout le sens et la portée qu’ils recouvrent. En résumé, ils sont rendus parfaitement aptes à une commercialisation et à une consommation de masse.
L’individu d’aujourd’hui est pris dans un système qui lui impose non seulement la conduite à tenir face aux grands événements, mais également l’acceptation passive de ceux-ci. La puissance du "marketing" - et je n’emploie volontairement pas le terme de mercatique - est telle, qu’à l’heure actuelle, que personne, dans les pays développés, n’échappe au conditionnement de masse. Mais alors que nous n’y faisons plus guère attention lorsqu’il s’agit de l’industrie agro-alimentaire qui nous impose ses choix par les médias et la grande distribution, voilà que le "Roi" marketing nous impose une fête, Halloween, qui n’est pas la vraiment la nôtre.
Et pour mieux faire avaler aux Européens - et peut-être plus particulièrement aux Français - cette nouvelle pilule culturelle mondiale, le stratagème utilisé est à la fois si habile et si pernicieux, que bon nombre de ceux qui contestent l’hégémonie culturelle américaine se sont laissé piéger par le leurre. Voilà comment on crédibilise une fête importée des États-Unis, en utilisant une valeur sûre, l’estampille celte, qui apporte actuellement (là également, pointe une excellente démarche marketing) la sécurité des racines et des valeurs ancestrales. Piètre consolation !
Alors, que vont devenir les carnavals que nous connaissons ? Vont-ils profiter de l’engouement nouveau pour cette fête, et reprendre vigueur dans son sillage médiatique, ou vont-ils subir l’écrasement de l’implacable machine à mondialiser la culture, et disparaître, parce qu’aujourd’hui, il semblerait qu’on ne puisse plus s’amuser si ce n’est pas à l’échelle planétaire ? Si c’est la seconde solution qui est retenue, alors, nos imparfaits mais si pittoresques carnavals, si caractéristiques de nos régions, si colorés et si sympathiques, ne tarderont pas à augmenter les fonds documentaires des musées, et vivre uniquement dans les mémoires par de belles expositions photographiques...
Alors que doit-on faire ? De la résistance culturelle, en appliquant un discours partisan et provocateur comme je viens de le faire, et refuser d’accepter comme une fatalité la culture imposée à tous, ou céder à la passivité confortable du consommateur de culture insipide, qui, bien que se sachant manipulé, trouve plus simple qu’on vienne lui apporter une culture appauvrie, certes, mais à domicile ! Une culture prédigérée !
Si toute réponse semble hasardeuse, nous pouvons tout de même préciser que la culture reste riche par sa diversité et par l’effort que fournissent ceux qui se donnent la peine d’aller à sa rencontre. Il n’est pas de sensation plus intéressante que celle de la découverte, provoquée ou fortuite, d’un événement tel qu’il est, brut, avec ses qualités et ses défauts, que de le voir et de l’apprécier in situ, dans sa réalité vivante.
Mais il serait également indigne de parler d’événements culturels sans parler de ceux qui les font vivre ; d’oublier dans ce propos ces anonymes et ces bénévoles qui, à l’image de ceux du carnaval béarnais (mais ce n’est là qu’un exemple), préparent pendant un an cette festivité, pour qu’elle continue à vivre, à Pau, avec ses racines et ses particularités qui font sa spécificité. Car si ce carnaval est beau et convivial, c’est parce qu’il est imparfait, spontané, et un peu désordonné, mais qu’importe, c’est par ces formes qu’il existe. Il respire la bonne humeur et la vraie fête dépourvue de tout mercantilisme, et il reste résolument local, comme devraient l’être toutes les festivités culturelles qui créent la diversité des couleurs du monde.
Cependant, sous ces beaux mots et ces belles phrases, se cache la vraie réalité de ces organisations associatives qui paraissent soudain bien précaires. Le fil ténu qui préside à la continuité de ces événements fait office de poids plume face à la machine commerciale parfaitement huilée et habituée à percer les résistances les plus opiniâtres.
Les sciences commerciales ont investi de toute leur puissance le domaine culturel. En banalisant les événements, en les reléguant au rang de simple produit de consommation aseptisé, en choisissant lequel d’entre eux répond le mieux aux aspirations du plus grand nombre, le "marketing killer" poursuit sa route, purgeant de la beauté et de l’intérêt local qu’il suscite, le contenu mythique, légendaire et symbolique des fêtes locales, pour le remplacer par un ouragan commercial totalement uniformisé. Mais tout ceci n’est peut-être qu’un combat d’arrière-garde !