vendredi 25 octobre 2019 - par Eliane Jacquot

Matisse, Une seconde vie (1941- 1954)

Maître de la couleur et de la composition, figure majeure de l'art du XXème siècle, Henri Matisse (1869-1954) nous a laissé une œuvre monumentale, tonifiante, humaniste et qui s'est toujours voulu être des plus accessibles.

JPEG

L'art de vivre

« Peut-être après tout que je crois sans le savoir à une seconde vie... dans quelque paradis où je ferai des fresques », dit-il à Louis Aragon en 1942, à un moment charnière de son œuvre.

Alors que sa femme et sa fille ont été arrêtées pour des faits de résistance et après avoir frôlé la mort en 1941, il décide de vivre dans un monde habitable alors que son environnement est devenu inhabitable. Résistant aussi au caractère destructeur du nihilisme qui hante son siècle, il accomplit tout au long de la guerre et ultérieurement une vibrante synthèse de ses recherches plastiques au travers de ses papiers gouachés découpés où il célèbre dans l'homme tout ce qui aspire à une habitation heureuse, à une joie de vivre en ouvrant son œuvre à un large public. Au cours de cette période il reprend contact avec les dessins et se consacre à de nombreux travaux d'illustration. De sa correspondance avec son ami André Rouveyre aux poèmes de Ronsard de Mallarmé et de Charles d'Orlean, il invente un nouvel équilibre entre texte et illustration, en abordant le livre illustré comme une partition, expression de la musicalité des mots de la poésie. De 1941 à la fin de sa vie, son inspiration renouvelée va faire jaillir des espaces jusqu'alors inconnus dans l'histoire de l'art. La réalisation de la chapelle Notre-Dame du Rosaire à Vence est, nous dit-il « l'aboutissement de toute une vie de travail et la floraison d'un effort énorme, sincère et difficile . »

Les papiers gouachés ou les couleurs découpées aux ciseaux dans l'espace

C'est ici que s'exprime de manière originale et éclatante le projet d'un artiste qui n'a jamais cessé de vouloir réapprendre. Installé dans le midi de la France d'abord à Nice puis en 1943 à Vence, il est confronté aux chaudes et riches couleurs des rives méditerranéennes, palette aux multiples nuances. Il acquiert alors une pratique des couleurs vives exaltées par la lumière et le soleil qui demeurent fondamentales dans l'émergence du papier gouaché dans son œuvre. Il élabore des compositions en papiers découpés et réalise les planches de l'album Jazz dès 1943. L'ouvrage est publié en 1947, le sujet lui ayant été inspiré par des souvenirs d'enfance et de voyages. L'enfance est manifeste à travers le sujet du cirque (Le Clown, Monsieur Loyal ..), le voyage à travers les Lagons ,en référence à son séjour en Océanie en 1930. Il est composé de vingt planches en couleur accompagnées d'un texte calligraphié qui évoque des points essentiels de son esthétique ; Composée pendant la guerre, la planche représentant la Chute d'Icare a été interprétée comme celle de l'aviateur. Ces créations jalonnent une période de maturation au cours de laquelle l'expression de Matisse avec la couleur ne va plus passer que par les gouaches, à l'exception de deux tableaux, dont les Intérieurs de Vence.

Mais c’est avec les quatre 'Nus Bleus' (1952) que l'artiste muni de simples ciseaux a creusé des percées dans la couleur et fait surgir de longues et harmonieuses figures en s'appuyant sur les rapports entre les pleins et les vides comme en sculpture. A ce propos il énonce de façon lapidaire « découper à vif dans la couleur me rappelle la taille directe des sculpteurs ». Immenses papiers bleus collés sur un fond blanc, sillon de lumière, qui donne forme et consistance à ces figures dépouillées, flottant majestueusement dans l'espace.

La chapelle Notre-Dame du Rosaire à Vence

A partir de 1948, Matisse travaille assidûment à l'élaboration de son œuvre ultime. Des dessins d'architecture à la conception et la réalisation de la décoration et du mobilier, il s'occupe de tout. Inaugurée en 1951, la chapelle du Rosaire, lieu modeste de culte, devient l'aboutissement et le couronnement de son parcours artistique. Ce projet est à l'entendre une œuvre prédestinée pour laquelle, dit-il « j'ai été choisi par le destin sur la fin de ma route. » La réalisation des vitraux donne une dimension monumentale aux gouaches. Chaque vitrail aux couleurs éclatantes se décline sur cinq mètres de hauteur. Élaborés à partir d'un thème extrait de l'Apocalypse, L'Arbre de Vie, symbole de l'âge d'or, plonge ses racines dans l'iconographie chrétienne et dans l'univers végétal, source organique primordiale de son système décoratif . L'arbre, la fleur, thèmes récurrents dans l’œuvre de Matisse culminent dans la double fenêtre du sanctuaire, légère et gracieuse. Le vitrail réitère la vocation de l'arbre cathédrale en tant qu'élévation, transcendance. Avec le vitrail il traduit aussi son sentiment de l'espace, dans l'espace réel qui est ici une fenêtre sur le monde. A propos de ces magnifiques vitraux, il dira « c'est ce que j'aurais fait de plus beau dans ma vie. » Sur trois panneaux de céramique blanche, de fins dessins au pinceau noir décrivent le Chemin de Croix, la Vierge à l'Enfant ainsi que Saint Dominique. La composition est réduite au minimum, mais à l'essentiel pour lui, le dessin. L'architecture de la chapelle n'a rien de spectaculaire par ses dimensions et sa configuration mais correspond à la volonté de son créateur de « donner avec une surface très limitée, l'idée de l'immensité. »

Par sa maîtrise de la couleur, de la composition et des aplats, matière dans laquelle il découpe pour produire ses formes, l'héritage de Matisse est partie prenante d'une vision contemporaine. La fin de son œuvre répond à la thématique de l'une de ses premières œuvres, Le Bonheur de Vivre (1906). Parce que le thème du Chemin de Croix reste un signe dominant de notre culture chrétienne, celui qu'il a illustré à Vence n'est certes pas une joie de vivre, mais une étape nécessaire pour y accéder. L'art de peindre de Matisse est un art de vivre.

PNG - 954.3 ko
Vitraux de la chapelle de Vence


2 réactions


Réagir