jeudi 31 décembre 2009 - par Vincent Delaury

Mes 10 films préférés de l’année 2009, et vous ?

Mes 10 films préférés de l’année 2009, et vous ?
 
Tout d’abord, je dois avouer que je n’ai pas vu certains films (Avatar, Canine, Hadewijch, Les Herbes folles) dont on m’a dit le plus grand bien, mais je compte rattraper mon retard sur certaines sorties de films pour bientôt. Mes 10 films préférés de l’année 2009, les voici, avec pour chaque long métrage, un texte de moi, repris de ce que j’ai déjà pu écrire sur AgoraVox ou ailleurs. En 2006, c’était Le Nouveau Monde de Terrence Malick qui était arrivé 1ier de mon palmarès, en 2007 Zodiac de David Fincher, En 2008 Speed Racer des frères Wachowski puis, pour 2009, c’est Gran Torino de Clint Eastwood. Son film intimiste a fait un carton au box-office mondial, tant mieux, on ne s’en plaindra pas. Et vous, quel est votre top 10 cinéma de l’année 2009 ? N’hésitez pas à intervenir et, pour 2010, eh bien, que l’aventure continue. Bonne année !
 
1 Gran Torino de Clint Eastwood (E.U.)
2 L’Etrange histoire de Benjamin Button (E.U.)
3 Vincere de Marco Bellocchio (It.)
4 Public Enemies de Michael Mann (E.U.)
5 Dans la brume électrique de Bertrand Tavernier (Fr./E.U.)
6 Harvey Milk de Gus Van Sant (E.U.)
7 District 9 de Neill Blomkamp (E.U./N.Z.)
8 Inglourious Basterds de Quentin Tarantino(E.U.)
9 Che Part Two : Guerilla de Steven Soderbergh (E.U.)
10 35 Rhums de Claire Denis(Fr.)
 
1 - Gran Torino, un cinéma de quartier
 
Vraiment étonnant que ce Gran Torino signé Eastwood, plus gros succès en France au box-office en tant que cinéaste (3,4 millions de spectateurs). Plus on y repense, plus il monte en puissance. Pourtant, l’histoire, d’une grande simplicité, pourrait tenir sur un papier-filtre à cigarette : Walt Kowalski, un ancien vétéran de la guerre de Corée et nouvellement veuf, papy bougon et raciste, vénère sa Gran Torino modèle 72 et déteste tout ce qui l’entoure : sa famille, qu’il soupçonne de ne se rappeler à lui qu’en vue de l’héritage espéré, et surtout ses voisins, des étrangers, des « chinois », des « jaunes », bref tout ce qui n’est pas WASP et ressemble à des ados Hmong, latinos et afro-américains. Jusqu’au jour où ce septuagénaire aigri, après avoir aidé Thao, un jeune Hmong harcelé par une bande de voyous, apprend à aimer de nouveau son prochain et à revoir ses préjugés en se rachetant une conduite : cet ours mal léché finira les bras en croix, criblé de balles et étalé sur l’herbe, en plein acte sacrificiel salvateur pour autrui, et pour lui-même (il laisse, à Thao & Sue, l’image du « héros du quartier »). Alors qu’on avait quitté Eastwood avec des films à gros budgets (Mémoires de nos pères, L’Echange), celui-ci nous surprend, moins dans le thème - la rédemption est souvent à l’œuvre chez Eastwood - que dans la facture. Cela faisait un bail qu’on ne l’avait pas vu renouer avec une telle économie de moyens et un tel souci de l’épure. On a la curieuse impression, après les scènes de guerre à la sauce Spielberg de son diptyque sur Iwo Jima, de retrouver le Eastwood des débuts, celui d’Un Frisson dans la nuit ou de Breezy. Tant mieux. Eastwood a le goût des grands écarts et des ruptures de ton : Gran Torino lui ressemble, c’est un film hollywoodien minimaliste, au scénario limpide et linéaire comme un manga ; je pense par exemple à Quartier lointain de Taniguchi. Gran Torino réussit à être un « film de quartier » parvenant à atteindre, grâce au sens eastwoodien de l’espace et du mythe, l’ampleur narrative des grands conteurs hollywoodiens (Ford, Hawks, Huston) qui se sont penchés inlassablement sur la relation entre l’individu et la communauté. La trame de Gran Torino pourrait être abordée dans un Sans aucun doute de Julien Courbet (si si, des histoires de voisinage qui virent au jeu de massacre), le décor (quelques maisons, la bannière étoilée, un chien, des bières sirotées, une Ford, des travaux d’intérêt général) pourrait faire lorgner l’intrigue vers un schéma plan-plan de téléfilm labellisé M6, et pourtant il n’en est rien : on est bien au cinéma et ce film, comédie dramatique oscillant entre drame social et répliques comiques, tient, malicieusement, sur un fil, ou sur une « ligne claire »… obscure. Difficile à manier, d’aucuns peuvent y voir, sans jamais virer au pensum ou au film-dossier soporifique, un film politique sans fioritures ni hypocrisies de façade sur les tensions communautaristes au sein d’un quartier américain (et pourquoi pas français) d’aujourd’hui, et ils n’auraient pas tort, pendant que d’autres, peut-être plus cinéphiles, y verront surtout une compilation des films avec l’acteur-réalisateur : de L’Inspecteur Harry au Maître de guerre via ses autres personnages de durs à cuire croisés dans Impitoyable, Un Monde parfait et autres Million Dollar Baby - « Et sur Gran Torino, je me suis régalé à reconstituer un puzzle. Car le rôle qu’y tient Clint est le dernier morceau du puzzle de tous les personnages qu’il a interprétés dans sa vie. » (Tom Stern, chef-op d’Eastwood depuis Créance de sang, in Studio Ciné Live). Le plus fascinant ici étant que, malgré les clichés à la pelle et l’impression de voir en Kowalski une accumulation ambulante de tous les personnages style doux, dur et dingue campés par Eastwood, Gran Torino n’est jamais un énième film postmoderne se complaisant dans la citation et l’autoréférence, gestes formalistes qui peuvent certes séduire mais aussi agacer parce qu’éloignés de l’histoire des hommes. Arrivant à mixer, on ne sait trop comment, leçon de vie et leçon de cinéma, Eastwood signe avec Gran Torino un film classique, voire un film-testament (je sais, Clint n’est pas mort !), dont la ligne de force tranquille et l’émotion pudique restent longtemps en tête, et dans le cœur. Bref, Grand Torino, voilà le titre exact pour ce 29e film de Clint Eastwood.
 
2 - Benjamin Button  : hybridation réussie
 
L’Etrange histoire de Benjamin Button, ce film arrive telle une lame de fond qui emporte tout sur son passage. Il est vraiment étonnant, non seulement quand on le regarde mais également quand on y repense, à savoir quand le travail du temps fait son petit bonhomme de chemin, histoire de laisser le temps au temps. Puissamment émouvant (lyrisme, histoire d’un amour impossible, temps qui passe, mort au travail, considération pour toutes les tranches d’âge de l’existence), il est aussi une formidable machine théorique : son sujet principal, c’est le temps. Lové avec malice et gourmandise dans cet art du « temps scellé » qu’est le 7e art, ce ruban filmique glisse avec la force de l’évidence, tel un paquebot, sur l’écran extralarge de cinéma et de nos rêves. C’est un film qui, en revisitant ainsi le temps et surtout en se laissant visiter par lui, est comme hors du temps. Cette fabrique de rêves semble sans âge, à l’instar de son héros, car d’un côté il a des allures de film néoclassique qui s’affiche comme tel, et de l’autre, il est hanté par les préoccupations de notre époque, il est d’ici et maintenant : la peur des ravages du temps, l’horloge biologique, l’entropie des corps, la recherche de la jeunesse éternelle à coups de Viagra, d’injections de Botox et de greffes à tire-larigot (visage vieilli sur un corps d’enfant...). Il y a quelque chose d’admirable dans cette fable, c’est sa façon imparable de nous prendre par la main, et la rétine, pour ne plus jamais nous lâcher. Avec une grande amplitude narrative, le film trace son sillon dans les arcanes du temps et de l’existence, et sait se montrer à la hauteur de son sujet : le temps, ou plutôt le temps suspendu. Par exemple, l’ascenseur qui défile, via la sublime stase spatio-temporelle à Mourmansk (Button et la classieuse Elizabeth/Tilda Swinton), c’est une affaire de stand by, de transit et timing. La bonne rencontre au bon moment, ce film parle aussi de ça. Bien sûr, certains tireront à boulets rouges sur ce paquebot filmique rétro, qui ne cesse de faire penser à Titanic, parce que trop fleur bleue, trop hollywoodien, trop carton-pâte, et patati et patata. Mais, je pense qu’ils auront tort. L’accuser d’être stéréotypé, c’est passer à côté de ce film postmoderne qui, dans sa façon de revisiter le temps, vient également croiser, fasciné, toute la fabrique d’images de la Cité des anges : c’est dans son processus même que de renvoyer à des chromos, il avance tel un rêve, et s’amuse à rêver le cinéma hollywoodien d’antan : Brad Pitt est par moments - en Dean, en Brando, en Redford - un cliché ambulant, c’est fait exprès. Cate Blanchett, de par sa beauté d’Epinal, renvoie à l’imagerie automnale de Sirk et aux musicals des 50’s, c’est fait exprès. Elle n’est qu’une image, lorsqu’à 23 ans, elle danse le temps d’une nuit au bord du lac Pontchartrain devant les yeux d’enfant émerveillé de Button/Pitt ? C’est fait exprès. On pense alors, très ému, à Il était une fois en Amérique, lorsque Noodles regarde en douce son amoureuse, Deborah, faire quelques pas de danse académiques dans un nuage d’albâtre, à la fois si proche et si lointaine. Telle une image. Séquence émotion. Ce Button est vraiment curieux car, sous couvert de présenter une histoire d’amour, il consacre son temps à une histoire de mort, tout en lorgnant vers l’enfance, comme si art et enfance n’avaient point d’âge ; on pense alors à Picasso, le Benjamin Button de l’art !, « Il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. »
 
3 – Vincere, un film « rétro-futuriste »
 
Film kaléidoscopique, mêlant avec maestria images de fiction et d’actualité, Vincere (Vaincre), qui raconte la vie héroïque et tragique de la femme cachée (Ida Dalser) de Mussolini, est remarquable. Formidable chronique sur la montée au pouvoir du fascisme et ses dérives totalitaires exécrables, il est aussi le récit poignant d’un amour impossible, bafoué, parce que celui-ci, parasitant la version officielle de la stabilité maritale du Duce (Mussolini est marié à une ancienne serveuse à qui il a fait quatre enfants), s’il venait à être révélé à l’opinion publique, pourrait gêner voire empêcher les relations du parti fasciste avec l’Eglise ; le Pape ira jusqu’à qualifier le Duce d’« homme de la Providence » ! Ida Dalser aura beau écrire partout, jusqu’au Pape [extrait : « L’homme que j’ai adoré, défendu, soigné (…). Et tout ça ? Non pas pour ses richesses ! S’il avait été au milieu des flammes ou sous une rafale de balles, j’aurais volé à son secours (…). Il n’était pas encore cet homme inique, mais un vrai ange (…) ; je l’ai adoré, il m’a adorée, il promettait de faire de moi la femme la plus enviée.  »], rien n’y fera, on la séparera de son fils, on la fera taire, on l’internera en asiles psychiatriques afin qu’elle ne fasse pas d’ombre à la volonté de puissance du Guide - « Mussolini ! Regarde ta femme et ton fils. Tu nous as laissés dans une misère noire ! Voleur ! », dixit Ida Dalser dans le film (rappelons au passage que cette femme n’était pas une femme du peuple : après avoir pris des cours d’esthéticienne, elle avait ouvert un salon de beauté à Milan en 1913 et, pour aider Mussolini à fonder son journal le Popolo d’Italia, organe de presse du fascisme à venir, elle s’était décidée à quitter son aisance sociale en vendant tous ses biens). Mensonges d’Etat, étau social qui se resserre sur une femme désavouée : Vincere fait penser à L’Echange, ce qui est un compliment. Comme chez Eastwood, certains vivants se transforment en spectres dans l’écran de neige et le nuage de fumée du cinématographe. Ida Dalser est effacée par Mussolini, tel un fantôme, comme si elle n’avait jamais existé. Esthétiquement impressionnant, Vincere mixe sa trame narrative passionnante (histoire d’amour impossible, turbulences entre petite et grande Histoire, femme seule contre un système) avec une multitude de références historiques et artistiques. Fusionnant images d’archives et croisements entre les arts, le film brasse large sans s’égarer. Le cinéma, en tant qu’« art de faire revenir les fantômes » (Derrida), est convoqué, notamment Chaplin avec Le Kid (dont un extrait fait écho au sort dramatique d’Ida Dalser privée de son fils) ou Le Dictateur (la pantomime de la commedia dell’arte du Duce à sa tribune pourrait être comique si l’on ne savait toutes les atrocités en chemises noires qui en découlent), mais également la mode, l’opéra, le théâtre, la presse propagandiste, la typo percutante, les héroïnes lyriques ou de tragédies grecques (Aïda, Antigone) et la peinture. Par exemple, dans Vincere (et ça aide d’ailleurs à comprendre combien le Guide a été une arme de séduction massive avant de se transformer en monstre), on voit très bien les liens entre la religion, la politique et l’art. En Italie, dans les années 1910, Mussolini voit les choses en grand pour son pays et pour lui-même : « Je dois monter plus haut. J’ai le devoir d’être différent de tous ceux qui acceptent leur médiocrité. » Les plasticiens – les Futuristes - lui embrayent le pas : il s’agit alors, afin de liquider les vieilles valeurs et de faire advenir une nouvelle humanité, de célébrer la beauté de la vitesse, la modernité, la ville, la technique et la guerre en tant que « seule hygiène du monde » ! Cette phrase, ainsi que bien d’autres, on l’entend dans le film de Bellocchio et c’est tant mieux. Loin d’une version fleur bleue ou moderniste qui vise à détacher la pratique des arts de l’histoire des hommes (en 2008, Beaubourg avait consacré une grande expo au Futurisme sans insister suffisamment sur les dérives d’un tel mouvement : éloge de la guerre, mépris du féminin, lien avéré avec le fascisme - le poète futuriste Marinetti, ex-anar, a loué jusqu’en 1944 la grandeur de Mussolini), Vincere s’affirme en tant que film rétro-futuriste sans aucun faux-fuyant, c’est-à-dire qu’il regarde dans le rétroviseur de l’Histoire (des arts, des hommes) sans se voiler la face. 
 
4 – De Public Enemies à La Lettre volée
 
J’ai vu Public Enemies et je l’ai trouvé épatant, de bout en bout. Notamment pour ses « interstices », ses « blancs » ou temps suspendus dans la narration : lorsque John Dillinger, par deux fois, passe en tant qu’ennemi public n°1 (donc recherché par toutes les autorités) sous le nez de la police : en pleine rue, il est à deux pas de celle-ci, il voit TOUT lorsque sa « poulette » (Billie Frechette/Marion Cotillard) se fait ramasser brutalement par les forces de l’ordre, en plein jour : il n’est même pas undercover mais s’affiche sans aucun faux-semblant (pas de postiche à la Mesrine) ; et, grand moment de cinéma, son entrée culottée, sans en avoir l’air, dans le Bureau du FBI de Chicago. Il voit alors, via une mosaïque de photos distribuées sur les murs, sa vie de gangster défiler. Belle réflexion sur la vie qui défilerait tel un diaporama filmique : fusion cinéma-vie, à l’instar du fameux générique-puzzle sur la musique mythique de John Barry du feuilleton Amicalement Vôtre ; Dillinger, lui, avec les gens, se fait amicalement vôtre. Jouant avec eux (y compris les policiers), il est trublion, allant jusqu’à demander sobrement le score d’un match à des flics qui suivent icelui en étant complètement absorbés ! Leur « pire » ennemi leur passe sous le nez, et à leur barbe, et ils ne voient rien ! Ca répond bien à l’adage : « plus c’est gros, plus ça passe ». Plus la « star » est grande, plus la cible est évidente (en avançant à découvert), plus elle peut se fondre dans la masse des images et des individus faisant foule, donc masque. C’est le coup de La Lettre volée de Poe – c’est sous notre nez et on n’y voit que dalle ! - et c’est admirablement amené au cinéma par Mann, travaillant non seulement le champ de l’image mais aussi son blanc, sa béance. Dillinger/Depp, dans ses deux séquences du « chat et de la souris », incarne le cinéma mannien par excellence - celui qui repose sur un duo tourbillonnant qui va multiplier les chassés-croisés en se tournant autour (Heat, Collateral) - et il est un corps qui réussit à s’absenter, à « s’anonymer » dans l’écran de l’image. Dillinger se fait lettre volée – dans la nouvelle de Poe, la lettre disparue, introuvable, est en évidence dans le bureau du coupable. De même, dans le Bureau Fédéral, Dillinger ne s’y infiltre pas en douce, façon Hannibal Lecter et autres dangers publics pour la nation, non, il y va carrément, franco, pourtant ça reste un infiltré, un insider, un « ennemi de l’intérieur » mais, plutôt que de se faire discret (les flics s’attendent tous à le piéger en tant qu’ombre, en tant qu’homme masqué, travesti, voire transformé chirurgicalement), il choisit de ne pas se la jouer ombre parmi les ombres, il avance en plein jour, n’hésitant pas à squatter sans vergogne ni peur « le lieu du crime » (la rue chaude, la maison Poulaga) : le renard entre, sans gêne, dans le poulailler et les « poules » n’y voient rien : l’audace est trop grande pour s’avérer plausible à leurs yeux. Le volatile Dillinger devient passe-muraille dans l’écran de fumée du cinéma et de la vie vécue comme théâtre et (société du) spectacle. C’est génialement amené par Mann. Il y a une telle intelligence de l’œil et de l’image là-dedans. Le traitement numérique, qui vient rencontrer le rétro de l’Amérique des 30’s, je trouve que cet alliage classique-moderne témoigne du fait que Mann, en tant que cinéaste-artiste, a une réelle vision du cinéma par rapport à notre époque du Tout-à-l’image. Mann me fait penser de plus en plus à Kubrick, c’est-à-dire qu’il arrive à faire un film-prototype au sein même de l’industrie hollywoodienne tout en restant fidèle ses obsessions d’auteur, chapeau. Il frôle le film avant-gardiste (multipliant les recherches formalistes, quasi expérimentales) tout en rencontrant un large public grâce au genre populaire de Public Enemies (gangster movie) et à son casting de stars (Depp, Bale) de haute volée. Bref, c’est un inventeur de formes et de… fantômes.
 
5 – Dans la brume électrique avec Bertrand Tavernier
 
Ce que j’ai aimé avec le dernier Tavernier, Dans la brume électrique, c’est que c’est un film qui, à l’inverse de ceux des jeunes loups frenchies qui cherchent à tout prix à réaliser leur american dream aux States (Besson & Co : à savoir Kassovitz, Aja (le meilleur), Vestiel, Bustillo/Maury, Moreau/Palud et autres Gens), ne cherche pas à faire « film américain », mais il l’EST tout simplement. Je veux dire par là que de la même façon qu’un Tommy Lee Jones incarne, de par ses valeurs démocratiques et son visage buriné, une sorte d’ « essence » et de corps américains, Dans la brume électrique - qui porte quand même la marque de Tavernier (grande exactitude dans l’atmosphère moite des lieux) - a un corps américain, ne faisant ni copier-coller ni artefact du grand frère américain. On n’est pas dans le Canada Dry, mais dans l’original, sur fond de cajun, de blues et de whisky vintage qui déchirent. On a vraiment l’impression d’être, avec Dave Robicheaux, dans la solitude des champs de bayou ou dans un bon cru eastwoodien, à Minuit dans le jardin du bien et du mal. Et, selon moi, cette authenticité, vient de la grande connaissance par Bertrand Tavernier (67 ans) de l’Amérique profonde – celle, fantôme, qui réside éternellement dans l’entre-deux du réel et du cinéma, avec un art de la fiction dont le sol américain est sa matière même. D’ailleurs, Tavernier, ami américain nourri par au moins 50 ans de cinéma US, sait cela : son histoire clair-obscur en Louisiane prend directement sa source dans le territoire immense d’une région marécageuse, New Iberia, cachant des corps fantômes et des morts qui n’ont pas dit leurs derniers mots, et maux. Sous les bayous, on touche à l’os de l’Amérique, péniblement noyé dans les vapeurs de l’alcool, au cœur d’un « passé qui n’est pas encore passé » (Burke), celui-ci étant tapi dans les chemins de traverse d’un héritage historique peu glorieux : on y croise, entre mémoire et oubli, des voix d’outre-tombe, des guerres (Sécession, Vietnam), une politique de ségrégation, un ouragan (Katrina) géré piteusement par l’Etat fédéral et moult inégalités sociales qui ne cessent de hanter mémoires et destins des contemporains. Comme chez Eastwood, la frontière entre vie et mort, réalité et rêve, est loin d’être fixe et, pour comprendre les vivants, il s’agit de bouger les lignes afin de communiquer avec les défunts, dont certains, aux yeux des cyniques néolibéraux, passent pour être des « comptant-pour-rien ». Pour vivre apaisé, il faut donner du temps au temps et aux morts. C’est évident, plutôt que de s’arrêter à du bling-bling ou à des effets putassiers de façade, Tavernier a pris son temps avant de faire Dans la brume électrique, sa 1ère fiction américaine. A la façon du jeu Un, deux, trois, soleil, il ne s’est pas précipité, comme certains, pour « faire américain », il a avancé lentement, s’est nourri des grands américains (Faulkner, Huston, Eastwood) afin de faire - ça y est Bertrand : Soleil ! - un film américain nourri de l’intérieur par le paysage mythique de l’Amérique et de ses nombreux fantômes. Bingo ! 
 
6 – Je vote Milk !
 
Je pense qu’on reconnaît un grand cinéaste à sa façon de brasser large sans en avoir l’air. C’est cela qui m’a épaté avec le biopic politique, Harvey Milk, signé Gus Van Sant. Vu l’ampleur du sujet et l’époque (les 70’s à San Francisco), on aurait pu s’attendre à un traitement kaléidoscopique de la chose via moult effets de puzzle, manche, flash-back et flash-forward en veux-tu en voilà, façon les habiles storytellers que sont des Ridley Scott (American Gangster) et autres Stone (Nixon, The Doors). Or, ici, tout en réalisant un film foisonnant, tant au niveau sociétal que formel, GVS ne s’embarrasse pas de multiplier à profusion un travail d’archiviste plan-plan ou de copiste lambda. Cependant, avec une grande subtilité artistique, ce cinéaste parvient à fusionner ses deux cinémas - l’un à veine plus auteuriste, c’est sa trilogie lancinante de l’errance (Gerry, Elephant, Last Days) et l’autre, à caractère plus commercial, ou plus easy filming, style A la rencontre de Forrester – afin de nous donner un film gigogne qui, pourtant, sur le papier ainsi qu’à l’écran, a l’air tout simple comme ça. Dans ce parcours retracé du 1ier homme politique ouvertement homosexuel, le parfum des années 70 et le souffle libertaire sont là mais, sans jamais en rajouter dans le trop-plein genre film-dossier, fiction Canada Dry « comme si on y était » ou film à thèse : dans les photos à grain – images gelées - qu’Harvey réalise de son amoureux Scott, on peut y voir des clins d’œil aux clichés photographiques labellisés David Hamilton, Duane Michals, Larry Clark ; d’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’une partie de l’histoire se passe à Castro Camera, une boutique d’appareils photo. Lorsque l’un des protagonistes du film (je crois que c’est Scott/James Franco) passe un coup de fil, l’écran coloré devient composite et cite ouvertement, mais sans rien marquer au fer rouge, les portraits sérigraphiques démultipliés de Warhol - fil rouge incontournable de l’art des seventies et du mouvement gay. Autre exemple, au cours d’une joute verbale médiatisée, on découvre que l’une des personnes proprettes, bien sous tous rapports semble-t-il, qui s’adresse à Milk n’est autre que le plasticien contemporain bling bling Jeff Koons. Ainsi, le passage entre les époques coule de source, tel un flux naturel. GVS, en artiste tangent (à cheval entre cinéma et arts plastiques), parvient à boucler la boucle et à créer des connexions : le mouvement queer et le gay savoir, d’aujourd’hui et d’hier, se sont aussi distingués via des passeurs hauts en couleur que sont drag queens, hippies, Warhol, Koons et autres David LaChapelle. Ainsi, avec Harvey Milk, on brasse large – et encore ici, je ne parle que de citations esthétiques – tout en pratiquant la grande économie de moyens et le less is more. Plutôt que de s’enfermer dans un cinéma arty qui pourrait tendre vers sa propre imitation (et faire école), il se pourrait bien qu’avec ce film millefeuille, GVS, selon moi, tente un état des lieux du cinéma contemporain et de son propre cinéma. Et en allant dans cette trajectoire-là, je trouve qu’il relève magnifiquement le défi. Non seulement dans l’exercice de style de la copie vintage d’une époque (cf. les stock-shots du générique du début), il s’affiche tel quel (en tant que copiste fétichiste travaillant l’image dérivée d’image), ainsi on peut penser qu’il ironise au sujet de la geste reproductible de tous ses compères hollywoodiens qui tentent de faire vrai en faisant du faux (Spielberg, Scott, Stone, Soderbergh) et, d’autre part, tout en parlant d’Harvey Milk, il réalise un autoportrait à peine masqué (quête d’un nirvana tout en ayant la mort aux trousses) et un film aux tiroirs, ou placards, grands ouverts : à travers le coming out de Milk, on se penche sur l’acceptation des préférences sexuelles, de soi, la course frénétique au pouvoir, l’amour raté et la quête d’identité via cette idée que l’existence précède toujours l’essence. Bref, GVS pense et voit grand sans en faire étalage, et c’est là tout à son honneur. Je suis prêt à boire son « petit » Milk existentialiste encore longtemps car sa manière très sensible, voire sensitive, de mettre les pieds dans le plat de notre société complexe et de l’art d’aujourd’hui (cultiver les différences et références sans jamais faire de révérence), est tout sauf du Milky Way.
 
7 – District 9 sur 10, ou presque
 
Tout d’abord, avant d’entrer plus dans le détail, précisons que District 9 procure un pur plaisir scopique. Pour ma part, je ne suis pas prêt d’oublier l’image-force du film, celle qui est en « une » d’ailleurs de l’affiche publicitaire : le vaisseau fantôme surplombant Johannesburg avec la myriade d’hélicoptères humains venant à sa rencontre. On tient là, sans aucun doute, le tour de force du film et l’idée géniale du script : délocaliser le lieu de l’histoire et la fiction « américaine » - précisons que District 9 est un film américain, réalisé par un jeune Sud-Africain, Neill Blomkamp, produit avec de l’argent américain et distribué à travers le monde par des compagnies américaines. On n’est pas à New York ou Los Angeles, une fois n’est pas coutume, mais en Afrique du Sud ; ce déplacement géographique fait l’originalité du film. La catchline percutante de l’affiche ILS NE SONT PAS LES BIENVENUS file la métaphore politique bienvenue : de l’alien nation à l’aliénation de l’homme par l’homme via l’alien, il n’y a qu’un pas. Tout le monde en prend pour son grade ici ! Les Blancs, pour la plupart, ne pensent qu’au profit, et les Noirs, eux, en étant caricaturalement - c’est un film avec une vision de Blanc - dépeints comme sanguinaires, voire cannibales !, sont des marchands de mort qui participent tout autant de l’économie guerrière tous terrains. Les insectes-crustacés gluants, parqués dans le District 9 avant d’être reconduits manu militari vers un nouveau camp de rétention, parlent habilement de notre époque : de la France (des migrants de Sangatte à la « jungle » évacuée du campement de clandestins près de Calais) à l’apartheid en Afrique du Sud, sur fond de déplacements de populations, de brutalité policière et de rapports Noirs/Blancs ô combien tendus. Par contre, avec un pitch de départ aussi insolite, je pense que le spectateur était en droit d’attendre autre chose, à partir des deux tiers du film, que d’assister au lancement d’un bon gros film d’action bourrin US, avec des militaires rednecks tirant sur tout ce qui bouge, et paradant à la façon d’un film gros calibre signé Cameron (Aliens). Je m’explique, autant le décor-patchwork est bien planté, autant l’ambition du film est manifeste (partir du cinéma de genre pour atteindre le symbole sans pour autant se lancer dans un film à thèse pontifiant), autant on s’étonne, qu’avec de telles cartes en main (un cadre fictionnel singulier offrant moult métaphores politiques, des E.T. étonnants, un antihéros attachant parce que maladroit façon l’inspecteur Clouzot), ce film de SF n’aille pas plus loin dans l’élévation spirituelle. A l’heure où Cronenberg s’apprête à faire un remake de son propre film La Mouche, District 9 lorgne ouvertement du côté de celle-ci sans nous bouleverser autant que la crise d’identité de Brundlefly, mi-homme, mi-mouche, dans le huis clos de 1986 ; La Mouche étant à la fois une réflexion métaphysique à la Kafka et un chant universel faisant échos aux angoisses les plus profondes de l’être humain : la quête nietzschéenne d’une surhumanité, la science sans conscience, la crainte de la maladie, de la vieillesse, de la mort. Bien sûr, District 9 revisite ces thèmes-là (par exemple, via la scène où Wikus, avec son bras-crabe, met en branle sa toute-puissance guerrière en ouvrant le feu contre le gang armé black, et le finale – lorsqu’on le voit, complètement muté en Crevette, construire une fleur de métal pour sa bien-aimée humaine), mais Blomkamp ne s’aventure pas trop dans ces contrées-là, celles des métamorphoses à l’inquiétante étrangeté, leur préférant, semble-t-il, et c’est bien dommage, les séquences de pure action, beaucoup plus longues, et il faut bien le dire, nettement moins passionnantes à suivre, car nous faisant retomber fissa dans du mainstream hollywoodien basique. Néanmoins, on ne peut pas trop reprocher à un jeune auteur de 30 ans de ne pas atteindre d’emblée les cimes intellectuelles étranges et pénétrantes du génial Cronenberg. Attendons plusieurs films signés Blomkamp avant de voir ce qu’il a vraiment dans le ventre. Bref, avec District 9, l’entertainment qui fait plaisir est bel et bien au rendez-vous : son aspect hybride (une fiction US squattant un territoire étranger) participe du goût pour l’hybridation généralisée cultivé par ce film (à la fin, l’homme-insecte, symbole d’espoir, passe pour un « métisse », voire messie), mais c’est toutefois dommage que cet entertainment se cantonne trop à l’aspect standard du film d’action sans se risquer à se laisser contaminer davantage par les profondeurs impures du « cinéma en trois dimensions » de Cronenberg, cinéma d’(h)auteur organique et réflexif, ô combien mutant.
 
8 – Inglourious Basterds : un artiste d’envergure a le droit de violer l’Histoire !
 
Vu le dernier Tarantino, vraiment pas mal, même si c’est loin d’être mon préféré de lui, je lui préfère un Jackie Brown (pur chef-d’œuvre) ou son bolide Boulevard de la mort. Alors, il se trouve que j’ai vu Inglourious Basterds (IB) dans le Sud de la France, au cinéma Pagnol de Sainte-Maxime. Vous le savez comme moi, Tarantino est un cinéaste… star. Ce qui veut dire qu’il a ses aficionados mais également ses contempteurs. Dans la salle obscure, d’un côté, il y avait pas mal de « jeunes à casquettes » américanophiles, genre nerds ou geeks, qui commentaient en direct le film et qui ont applaudi à tout rompre à la fin du film. Et, de l’autre côté, j’ai vu un vieux monsieur fort énervé sortir de la salle lors de la scène du tabassage du crâne d’un sergent nazi par le Bâtard Donowitz en affirmant, visiblement très remonté, « On n’a pas le droit de faire ça à l’Histoire.  » Bon, que les choses soient claires, j’aime le cinéma de Tarantino mais je n’en suis pas non plus fan à sang pour sang. Il y a des choses que je n’aime pas dans IB.Par exemple, la voix off du narrateur m’apparaît par moments trop balourde, trop didactique, et j’aurais pu aisément me passer de la scène du crâne fracassé du Nazi par « l’Ours juif » : on y sent trop un Tarantino qui veut faire plaisir à certains de ses fans, amateurs d’ultra-violence façon Reservoir Dogs. A ce moment-là, on se dit que le nom Tarantino, ou sa signature, est écrasé par l’adjectif « tarantinesque », rentré dans le langage courant. On n’est pas star pour rien, OK, mais attention, cher Quentin, à l’effet de style qui peut vite virer au simple tic. Pour le reste, il y a des choses admirables dans IB. Le « On n’a pas le droit de faire ça à l’Histoire  » du spectateur énervé du Pagnol ne tient vraiment pas la route. Depuis quand le cinéma serait-il le simple décalque de la réalité ? Le 7e art n’est pas la vie. Le cinéma n’est pas le réel, c’est une projection, dans tous les sens du terme, une métaphore. Le cinéma est un art, un langage, qui n’a pas à être servile quant à l’Histoire. Un cinéaste comme Tarantino ne se veut pas prof d’Histoire, c’est par contre un formidable storyteller de pulp fictions. D’ailleurs, le réalisme n’a jamais été son affaire - n’aime-t-il pas citer Godard disant de Pierrot le Fou « Il n’y a pas de sang dans mon film, mais il y a la couleur rouge. » ? IB commence par un « Il était une fois en France occupée par les Nazis » : on entre d’emblée dans un conte, et concernant Tarantino, on sait très bien qu’il va faire de l’Histoire son terrain de je(u) afin d’y ramener ses propres obsessions, à savoir son goût pour le séquençage en chapitres, la déréalisation de la violence, la gourmandise des mots, l’étirement du temps à la Leone et sa passion dévorante pour le cinéma. On arrive à le suivre dans ses délires d’uchronie et de révisionnisme de l’Histoire - des Juifs Yankees scalpeurs de Fritz ! Tous les œufs pourris de l’état-major allemand réunis dans un même panier (un cinéma parisien) ! - parce que sa foi en le cinéma est inébranlable. Franchement, elle est très belle la fin de son film. C’est un formidable éloge du cinéma, un « voyage en utopie ». C’est l’idée godardienne de croire au pouvoir des images et aux puissances du cinéma. A la toute fin, le Cinéma vient cramer le 3e Reich et sa propagande audiovisuelle nauséabonde. Certes, c’est une utopie, c’est de l’ordre du fantasme d’artiste (cette idée, en partie naïve, de penser que l’art peut changer le monde) mais, perso, je préfère, via ce finale cathartique d’IB faisant du cinéma une arme de séduction massive devenant une arme de destruction massive, suivre Tarantino dans son rêve d’idéaliste plutôt que d’avoir à me taper des visions étriquées d’idéologues à la petite semaine qui tenteront vainement d’enfermer la vie, l’art et l’Histoire dans leur sectarisme et leurs interdits à deux balles. Vive la liberté, d’interprétation, d’imagination et autres, inhérente à tout acte créatif libre : Tarantino viole l’Histoire en lui faisant un bel enfant de cinéma, bâtard, métisse et malade. Pourquoi s’en plaindre ?
 
9 - Che, Guerilla ou la chronique d’un échec et d’une mort annoncés
 
J’aurais dû écouter un peu plus les critiques qui écrivaient qu’il valait mieux attendre d’avoir vu le 2ième avant de juger l’intégralité du biopic sur le Che. J’ai vu Guerilla, et force est de reconnaître qu’il est nettement mieux que le 1ier. Attention !, je ne crie pas au chef-d’œuvre non plus (on n’atteint jamais la trivialité majestueuse d’Il était une fois la Révolution), pour autant ce Guerilla me convainc nettement plus. Je trouve que son titre n’est point mensonger (il n’y a pas tromperie sur la marchandise) et que le cinéaste ne se perd pas en route : il reste fidèle à son idée-force : faire la chronique d’une mort annoncée. Le vrai film de guérilla, c’est dans le 2ième qu’on le trouve. Ce n°2 fait bien ressentir le tropisme révolutionnaire : on a Che Guevara bien sûr mais également, en creux, on pense à d’autres rebelles en puissance (Louise Michel, Rosa Luxemburg) ou en herbe (Besancenot). Avec le 2, on entre dans le vif du sujet pour ne plus jamais en sortir, jusqu’à la fin, la mort du Che. Autant on s’ennuyait dans la jungle cubaine (Che 1), autant, dans ce Che 2, le cinéaste parvient à nous immerger dans le combat des guérilleros dans la montagne bolivienne. Son style enchante davantage, on en repère moins les tics, la musique répétitive, les facilités. C’est un film qui, à l’instar de l’ultime combat du Che, court à sa propre perte, il « fait corps et âme » avec un Che se jetant dans une fuite en avant - la puissance des idéaux de l’homme révolutionnaire jusqu’au-boutiste venant bientôt se coltiner au fracas du réel et de l’humain trop humain (corruptions, trahisons, mensonges d’Etat…). Et c’est beau, selon moi, de voir un film hollywoodien qui, à l’instar du Zodiac narrant la filature d’un serial killer qui s’achevait en eau de boudin, dépense une telle énergie à montrer un combat qui piétine et qui échoue, car la lutte est inégale : le Che hirsute et ses hommes des bois, bientôt exténués par la faim et les maladies, n’ont pas le soutien du PC bolivien, en prime ils doivent affronter une armée bolivienne, surarmée, ayant certainement l’aide de la CIA. Cette chronique relatant le naufrage d’un homme « terroriste » s’inscrivant dans la ligne de mire d’un combat quasi à l’aveugle (manque de contacts extérieurs), ça va tellement à l’encontre de la plupart des films américains standards alimentés par la sacro-sainte réussite US tout terrain cherchant partout l’efficacité des winners et autres perfomers. On devine alors, et c’est tout à son honneur, que ça n’a pas dû être facile pour le cinéaste de convaincre des producteurs de financer un biopic n°2 relatant un désastre de guérilla, ce n°2 misant moins sur le spectacle à tout prix que sur l’aspect politique et idéaliste, voire poétique, des choses. Ici, on y croit dur comme fer au combat donquichottesque du Che, et à sa passion pour l’idéal révolutionnaire. L’icône anticapitaliste du 1ier laisse place, dans le 2ème, à un homme-bête traqué, en état de menace permanente, bref c’est l’histoire de l’anéantissement d’une illusion et d’un mort en sursis. 
 
10 – La chorégraphie urbaine de 35 Rhums
 
35 Rhums, beau film crépusculaire sur la frontière, les (rites de) passages et les ruptures.Quand l’occasion se présente, tel un mariage, boire cul sec 35 rhums chez des amis ou au comptoir d’un zinc. Faut-il on non franchir les limites ou bien resté dans l’entre-deux, comme en transit ? Pour certains, des étudiants en anthropologie dont on veut couper l’herbe sous le pied, il s’agit de préparer la révolution, parce qu’il n’arrive plus, à plus d’un titre, à respirer. Pour d’autres, il ne s’agit pas d’être sur le qui-vive, sagesse oblige peut-être, mais davantage de savourer chaque instant, dans une plénitude quotidienne qui excède le train-train, que ce soit au travail, comme Lionel, qui conduit des RER, ou dans l’amitié, l’amour, la cuisine : parcourir la vie et les lignes des chemins de fer, qui se croisent et se décroisent, comme l’on parcourrait, mi-sérieux mi-intrigué, les lignes de la main. Cultiver l’entre-deux. Comme Lionel, être animé d’une virilité de vieux lion conquérant, tout en ayant dans les gestes du quotidien un je-ne-sais-quoi de gracile et de féminin. Le beau Alex Descas est tout aussi à l’aise au sein d’un repas-brochettes se transformant bientôt en décharge sensuelle, voire électrique, que dans les plages de solitude et les bulles de temps. Etre ici et ailleurs. Etre français et antillais, comme Lionel. Vivre dans l’Hexagone tout en rêvant d’un ailleurs, comme la métisse Joséphine qui adore son père tout en préparant sa vie de femme, en dehors du cocon familial d’un immeuble SNCF, ou comme son Noé (Neo ?) qui, au seuil de l’âge de tous les possibles, semble heureux en étant à la périphérie de sa vie, de son couple et de ses us et coutumes : de la France à l’Afrique et vice versa. Ce film initiatique sait aussi filer la métaphore, c’est l’histoire d’une mue : le petit chat est mort pour annoncer du nouveau. C’est un film de l’interstice : entre blanc et noir, entre prosaïque et sublime, entre tranches de vie et de gâteau, entre destinée libertaire et fatum - n’oublions pas le cheminot qui achève son parcours en se suicidant sur les voies. Etre ici et ailleurs, c’est de cela dont parle le film, on est aux bords de Paris, à la frontière entre ville lumière et banlieue ; on file le long des voies qui viennent de la Gare de l’Est et qui peuvent même virer en escapade « amoureuse » jusqu’à Lübeck, en Allemagne, histoire de visiter la borderline et belle femme Ingrid Caven. Un ange passe souvent chez Lionel et dans sa vie (Joséphine, la patronne du bar, Gabrielle…). Et Claire Denis, dans son cinémalicieux et zen, sait aussi les laisser passer. C’est un cinéma de la pause, plus que de la pose. Plutôt que l’agitation et les longues déclarations bavardes, Denis, via musique planante, ellipses poétiques et perspectives urbaines fuyantes, préfère les blancs dans la conversation, la pudeur des sentiments et la tendresse d’un regard. Et si j’aime autant ce film, qui avance tel un train filant dans la nuit noire de la salle obscure, c’est aussi parce que c’est une grande déclaration d’amour d’une femme-cinéaste à son homme-acteur, le magnétique et taiseux Alex Descas.


16 réactions


  • kdb 31 décembre 2009 09:53

    Un très grand oubli de l’auteur

    « V for vendetta » surement le film le plus visionnaire ! et niveau dialogue une réelle perle !
    et
    « 300 » pour pour l esthétique technique et le travail numérique


    • Francky la Hache Francky la Hache 31 décembre 2009 15:21

      V pour Vendetta, c’est 2005, et c’est vrai très bon, du moins pour la première moitié, puis ça s’essouffle un poil.
      300, c’est 2006, et c’est vrai, c’est très bon.

      ----

      Pour 2009, l’oubli majeur, c’est l’Imaginarium du Dr Parnassus, voilà du vrai cinéma, évidement bien placé dans un bon top ten.


    • Francky la Hache Francky la Hache 31 décembre 2009 18:01

      Oups, j’ai oublié « Louise Michel » , et bien sur « un Prophète »


  • King Al Batar Albatar 31 décembre 2009 10:03

    Cette année le meilleur film que j’ai vu est sans conteste Un Prophete. C’est certainement un des meilleurs films francais jamais réalisé et un des meilleurs films sur l’univers carceral et de la pègre, tous pays confondu.

    A voir absolument !!!!!


  • morice morice 31 décembre 2009 10:26

    Huit navets sur dix, on va dire que Delaury on ne lui confierait pas notre panier pour faire le marché. C’est Albatar qui a raison. Quand à oublier Avatar, c’est pire encore je pense, mais on ne peut pas demander à ce poseur d’aimer un film qui va faire un carton plus grand que Titanic : pensez donc un film populaire, qui ne prône pas la violence, vous n’y songez pas ! Delaury, vous êtes vraiment ici notre Alain Pacadis. Les cheveux gras en moins, c ’est déjà ça.


    • COLRE COLRE 31 décembre 2009 12:36

      Décidément, morice, tu n’es jamais en retard pour proférer la première énormité venue sur n’importe quel sujet et de la façon la plus méprisante possible… 

      Le monsieur te dit qu’il n’a pas vu Avatar, mais qu’il réparera ça au plus tôt ! Tu entends ? il ne peut donc le mettre dans ses 10 films préférés de l’année… Pourquoi l’accuser d’anti-populaire primaire ?

      L’agressivité, l’injure et la prétention sans bornes sont tes seules raisons de vivre… Pitoyable.


    • Marcel Chapoutier Marcel Chapoutier 31 décembre 2009 16:16

      Colre, vous commencez à me fatiguer sérieusement avec votre agressivité systématique à l’égard de Morice, ça vire au harcellement. Il a le droit de dire ce qu’il veut, on est pas obligé d’y adhérer. C’est la même chose pour les conneries que vous proférez à longueur de fils !...Il n’y a que peu de trolls (toujours les mêmes crétins congénitaux) qui sont d’accord avec vous...Tenez le vous pour dit !...


      Et ensuite vous ne sortez pas le moindre papier, vous ne faite que troller, c’est bon quoi, ça va comme ça, ouste !!!... 

    • MICHEL GERMAIN jacques Roux 31 décembre 2009 17:54

      « Avatar », c’est « Danse avec les loups », « Little Big Man » avec la gonflette technlogique et coûteuse autour. Rien de neuf. Plein les yeux ? encore heureux à ce prix là. Peut être est ce pour cela qu’il ne l’a pas encore vu ?

      Oui il va faire un carton comme la coupe du monde de foot, qui est populaire également.

      Pourquoi dites vous « poseur » a propos du rédacteur ?

      Cordialement.


    • COLRE COLRE 1er janvier 2010 01:25

      Salut marcel : vous fatiguez ? smiley d’abord je vous causais pas, et sinon faudra vous habituer, mon vieux… Vous aimez les actes d’autorité ? les ordres, ça vous pose un homme faible… votre femme a dû se barrer depuis longtemps vu le gars raffiné que vous êtes.

      smiley


  • cathy30 cathy30 31 décembre 2009 12:00

    Bonjour M. Delaury
    Il est difficile de classer les meilleurs films pour chacun, mais Gran Torino en 1er est un très bon choix. Du grand Eastwood.
    J’ai pensé la même chose que vous en le regardant, un film testament. Sachant que depuis l’inspecteur Harry, il en a fait du chemin. Il s’est bonifié en traversant toute la moitié du XXe siècle, Il sait regarder ses demons et ceux de son pays.


  • Peachy Carnehan Peachy Carnehan 31 décembre 2009 12:05

    « Neuilly sa Mère » pour le sort réservé à Sarkozy, et parce que ça soulage.


  • COLRE COLRE 31 décembre 2009 12:38

    Bonjour l’auteur,

    Quelqu’un qui a écrit un si bel article sur le génialissime Aguirre ne peut pas être complètement mauvais… smiley

    D’abord, j’apprécie votre honnêteté initiale : les films que vous n’avez pas encore vus mais que vous irez voir. Je vous conseille d’abord (mais est-ce utile ?) d’aller voir Avatar : c’est en effet un film qui ne laisse pas indifférent et dont on a du mal à s’extraire pendant plusieurs jours. Le film qu’on a envie de revoir, pour s’immerger à nouveau dans l’enchantement d’un univers fascinant de créativité.


  • King Al Batar Albatar 31 décembre 2009 18:11

    - Tu sais que tu as la tete d’un mec qui vaut 10 000 dollards.

    -Oui mais toi tu n’as pas la tête de celui qui les encaissera !"

  • Fergus Fergus 1er janvier 2010 13:58

    Bonjour à tous et bonne année.

    J’ai vu environ 25 films en 2009, et parmi les tous meilleurs, je mettrais moi aussi « Gran Torino » et « Vincere ».

    J’ai également bien apprécié, dans des grenres différents, « Fish Tank », le formidable « Pierre et le Loup » et le Woody Allen « Whatever works ».

    Quant au navet de l’année : « Au voleur » de Sarah Leonor.


  • vinvin 4 janvier 2010 03:30

    Et bien moi je préfère les anciens films. ( Cela ne veux pas dire qu’ on ne fait plus de bon film a présent, bien sur ).


    Mais lorsque j’ étais gamin j’ adorais les fils comme LA GRANDE LESSIVE ( avec Grégory Peck ).


    Ou bien encore : LA GRANDE DESCENTE, ( avec Yves Montant ).

    Un autre film qui m’ avait marqué et don j’ ai oublié le titre, mais je me souviens des noms des acteurs : SOPHIE DESMARET, PIERRE FRESNAY , et CHARLES TRENET ! .........


    C’ était pour certains des films en noir et blanc, mais je ne me lassais pas de les regardés !


    Cordialement.



    VINVIN.

  • BERENICE21 4 janvier 2010 09:51

    Mes 20 films préférés de l’année (sur 132 vus), dans l’ordre :

    Le ruban blanc Departures Morse Still walking Gran Torino The chaser Avatar A propos d’Elly Thirst, ceci est mon sang Ché, Guérilla Memory of love Un prophète Un été italien Whatever works Numéro 9 Coraline Very bad trip Ché, l’Argentin Les enfants invisibles Loin de la terre brûléeEt pour info, mes 20 préférs de tous les temps :
    La grande illusion Jean RENOIR La ruée vers l’or Charlie CHAPLIN L’aurore Friedrich Wilhelm MURNAU La nuit du chasseur Charles LAUGHTON Les lumières de la ville Charlie CHAPLIN Tabou Friedrich Wilhelm MURNAU Citizen Kane Orson WELLES Le guépard Luchino VISCONTI Les raisins de la colère John FORD Les Nibelungen Fritz LANG Quelle était verte ma vallée John FORD Le dictateur Charlie CHAPLIN Les rapaces Eric von STROHEIM Les temps modernes Charlie CHAPLIN L’ange bleu Josef von STERNBERG Youg mister Lincoln John FORD Le dernier des hommes Friedrich Wilhelm MURNAU Le cuirassé Potemkine Sergueï Mikhaïlovitch EISENSTEIN La liste de Schindler Steven SPIELBERG L’empire des sens Nagisa OSHIMA

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