Michel le Grand à Paris !
« A mon sens, la bonne musique de film doit autant servir le film que la musique. » (Michel Legrand)
« Fontaine à musique », c’est ainsi que Demy qualifiait un certain Michel Legrand. Chers lecteurs, et je l’espère mélomanes, je vous le dis à Demy mots, le concert symphonique Back in Paris de Legrand*, vendredi 27 février dernier à Pleyel, était hénaurme ! Mais, pas forcément dans le bon sens du terme, un côté too much (sono pas toujours subtile, fanfare à tout-va et chorale bling bling) nuisait un peu à la clarté de l’ensemble. Un peu plus d’épure sonore aurait été préférable. On le sait, dans n’importe quel registre, il n’est pas rare qu’une esquisse menée avec une grande économie de moyens soit supérieure à une composition trop léchée, style « nouveau riche ». En outre, concernant les concerts de musiques de films, on est souvent au bord de la frustration, on s’étonne du choix de certaines compositions qui sont jouées au détriment d’autres, mais bon, c’est peut-être la loi du genre : je me souviens d’un concert du grand Morricone au Palais des Congrès en 2006, avec l’Orchestre symphonique de Rome, et pareil, j’avais été quelque peu déçu que, par moments, les scores originaux soient noyés dans un kitsch d’apparat mené tambour battant.
Sinon, Michel Legrand en général, quel récital enchanteur ! C’est une musique qui rend heureux. Stéphane Lerouge, qui manage la collection CD Ecoutez le cinéma ! (chez Universal Jazz), a raison de dire de lui que c’est un « pulvérisateur de frontières ». Voilà bien une musique plurielle filant sur plus d’un demi-siècle et courant malicieusement plusieurs lièvres à la fois, tout en retombant toujours sur ses pattes. Immense pianiste, compositeur de génie (on vient de fêter ses 77 printemps et ses 50 ans de carrière, avec plus de 200 films au compteur), ses partitions pour de nombreux rubans filmiques sont inoubliables ; bien sûr, il y a les mélodies du bonheur pour son « frère jumeau » Jacques Demy, qui est à Legrand ce qu’un Leone est à Morricone ou un Fellini à Nino Rota (PS : c’est bien de temps en temps d’inverser, à savoir de partir du musicien pour arriver au cinéaste !), mais attention, Demy (pour Legrand), que ce ne soit pas l’arbre qui cache la forêt. Il y a beaucoup de malentendus concernant le « cinéma en chanté » de ce metteur en scène, certains n’y voient que fleur bleue alors qu’il y a à l’œuvre un désenchantement mélancolique qui peut faire virer le rose de l’histoire d’amour au noir de l’histoire de mort. Ce n’est pas un hasard si un Demy se passionnait pour Cocteau (cf. « Chaque jour dans le miroir je regarde la mort au travail ») et pour Warhol, obsédé par la mort (sérigraphies mortifères des crânes, des autoportraits masqués, des crashs et des chaises électriques). Ainsi, certains se montrent allergiques à Legrand parce qu’ils sont allergiques à Demy, mais c’est une erreur, car ce n’est connaître qu’à Demy Legrand que de le « cantonner », ou limiter, au cinéma de Varda & Demy, si (le)grand soit-il. Attention, perso, j’admire Demy, ses Parapluies de Cherbourg, Demoiselles de Rochefort et autres Trois places pour le 26.
Mais Legrand, musicien de cinéma, c’est aussi d’autres compositions remarquables, voire merveilleuses, je pense bien sûr à
En outre, derrière du Legrand, on a aussi de grands tropismes et figures en tous genres. Le grand Michel est un gourmand du soleil californien, des mots, des amis (Sinatra, Streisand, Vian, Welles…), des musiciens (Miles Davis, Coltrane, Quincy Jones…), des notes, des instruments, de la vie, c’est ça qui m’impressionne, et me touche, chez lui. C’est un art complexe aussi, que de mettre des sons sur des images sans que ce ne soit redondant, et chercher l’harmonie qui identifie un film, le blasonne, le personnalise, tout en jouant très souvent avec la complexité abyssale de l’improvisation du jazz. Avec pertinence, cet homme rose parle de sa musique pour un film comme d’un « deuxième dialogue », « il faut qu’elle raconte des choses », et c’est exactement ça : nous avons affaire à un storyteller musical hors pair, cultivant à loisir la fusion image/musique ou au contraire l’art du contrepoint. L’anecdote est célèbre : alors qu’il à l’idée d’écrire une partition d’inspiration baroque pour les courses-poursuites tonitruantes du Chasseur McQueen, le producteur de ce film (The Hunter, 1980), à l’écoute des tempos allegro de la bande originale, se montre effrayé par une telle incongruité sonore et s’écrie : « J’attendais des percussions sur les poursuites, impossible de garder la musique de Michel Legrand ! » Eh oui, on ne joue pas avec les nerfs de
Paresseusement, certains sous-estiment la musique de films, ont tendance à la snober. Elle souffre, à certains égards, d’un manque de considération, j’ai envie d’écrire que
* En plus de ce concert (Le cinéma), et toujours à