« Mon beau-frère » : le nouveau clip touchant mais naïf de Black M
Après une absence longue de deux ans, le rappeur Black M, idole de toute une génération de mélomanes, est de retour sur scène avec son nouvel album Il était une fois sorti en juin. C'est le troisième album solo signé par le ténor du groupe Sexion d'Assaut. C'est le deuxième single de l'album qui retient la plus grande attention du public, tant à cause de sa musicalité que de son thème atypique. Car il n'est pas question de bagarre, de sexe ou d'argent, thèmes habituels du hip-hop actuel, mais de… beau-frère.
Le clip, intitulé "Mon beau-frère" met en effet en scène l'acteur Rayane Bensetti qui joue le rôle du petit ami de la sœur du rappeur, ce qui met ce dernier hors de lui au début avant de faire contre mauvaise fortune bon cœur et d'accepter ce "frère" qu'il n'a pas choisi. Mais n'importe qui ne devient pas le "beau-reuf" d'un rappeur, Black M et ses amis font donc passer une multitude de tests au jeune prétendant : fidélité, saut en parachute, concours de breakdance… des épreuves que l'amoureux transi réussit à merveille, dépassant même les espérances du chanteur qui finit par s'attacher à ce jeune homme qui vient d'entrer dans la vie de sa sœur et qu'il considère désormais comme un membre à part entière de la famille. Tout est bien qui finit bien car, à la fin du clip, on voit une photographie montrant Rayane Bensetti et la figurante qui joue le rôle de la sœur en tenue de mariés.
Voici les paroles de la chanson, pour vous permettre d'avoir une meilleure idée de son contenu. Je poste ceci dans le respect total des droits d'auteur, le clip comme ses paroles étant en libre accès sur internet :
"À la base, personne ne touche à ma sœur, tu sais
Même avec un bouquet d'fleurs
T'as bien raison d'avoir des gouttes de sueur
Car un de nos cousins débarque tout à l'heure (eh)
Félicitations, tu t'es engagé à vie, t'as dit "oui" sans hésitation
J'te comprends, ma sœur est belle et intelligente
Quand j'vois tes mocassins, j'ai du mal à la comprendre
Viens avec moi, j'vais te présenter ma bande, bois un verre à la nôtre.
Faut te détendre, on a tellement de choses à échanger,
J'espère que tu t'es vraiment rangé.
Elle nous a beaucoup parlé d'toi, elle nous a dit que tu étais le bon
Si tu merdes, y a pas le choix, on va devoir t'jeter d'un pont
Doucement avec ma sœur, le mariage, c'est pas de l'eau
En entrant dans sa vie, tu es rentré dans la nôtre.
(Refrain)
Bienvenue mon frère, mais attention quand même
Bienvenue mon frère, fais attention à elle
Bienvenue mon frère, mais attention quand même
Bienvenue mon frère, tant que tu l'aimes, on t'aime, bienvenue.
À la base, personne ne touche à ma sœur, tu sais où tu peux te foutre ta fleur (oups !)
T'as de la chance que maman t'apprécie fort mais t'es mort le jour où ça va parler divorce
J'ai enquêté sur toi, monsieur l'gendre idéal, j'ai des petits dossiers
Après, c'est toi qui voit, si tu veux pas que j'parle, va falloir négocier
Je sais qu'tu m'aimes, la meilleure façon de s'intégrer, c'est d'être soi-même
T'es arrivé dans la famille comme un rayon d'soleil
Il ne faut pas nous en vouloir si parfois on s'protège.
Et j'avoue que j'aimerais voir le mélange de vous deux
Mais pas touche, elle n'est pas encore à toi, attends un peu.
(Refrain)"
La chanson est en soi intéressante. Le rythme musical le dispute à l'intensité d'action qui se déroule dans le clip. Car, l'originalité de ce single, c'est la dissociation entre l'air chanté par Black M et le clip qui fait office de court-métrage et montre le rappeur en train de tester le prétendant de sa sœur. L'action est donc indépendante des paroles, tout en s'y intégrant, ce qui fait de "Mon beau frère" une œuvre originale dans l'univers du hip-hop. Le fond n'est guère plus dénué d'intérêt : avec une touche d'humour, Black M aborde ce sujet hautement sensible qu'est la figure sororale auprès de nombreux jeunes hommes de banlieue, surtout quand elle devient une jeune femme et s'apprête à entrer dans la vie adulte. C'est que nous autres, hommes de banlieue, du fait de nos cultures d'origine, avons tendance à être très (parfois trop) protecteurs envers nos petites ou grandes sœurs, afin de leur éviter de tomber sur un manipulateur ou un homme peu stable. La défiance est d'autant plus grande quand le prétendant est un jeune Occidental, tant sont nombreux les exemples de fils à papas issus de beau quartiers qui ont juré leur amour à des jeunes filles chastes de banlieue avant de les engrosser et de se défiler. Ces comportements coloniaux répétés ont hélas radicalisé le comportement de certains jeunes hommes qui se mettent en état d'alerte dès qu'un jeune Occidental courtise leur sœur : loin d'être l'expression d'une haine raciale ou d'un refus de mixité, ces comportements protecteurs sont en fait l'expression d'un amour fraternel et la peur que leur sœur soit considérée comme une simple "beurette" de passage par le prétendant qui la virera une fois la relation charnellement consommée. Il est, à ce propos, intéressant de noter que la figure du "grand frère de banlieue" sert à alimenter les fantasmes xénophobes de la droite comme de la gauche : pour les premiers, c'est le caïd antifrançais qui rêve de devenir un émule de Merah ; pour les seconds, c'est l'incarnation du patriarcat qui empêche sa sœur de s'habiller en jean troué et de se déhancher en boîte de nuit comme une "femme libre" se doit de le faire dans l'imaginaire des progressistes. Avec sa chanson à la fois touchante et humoristique, Black M tord le cou à ces préjugés (de part et d'autre) et célèbre la mixité, puisque le jeune prétendant est nommé "Max" et se trouve être blanc. "J'avoue que j'aimerais bien voir le mélange de vous deux", sans doute le vers le plus emphatique de la chanson qui nous dépeint le rappeur, d'abord réticent, se prendre à rêver d'être tonton.
Bref, comme dit ci-dessus, la chanson n'est en rien mauvaise tant par sa mise en scène que par sa musicalité. Mais les fans de hip-hop à l'ancienne seront sans doute déçus, comme je le suis. Rappelon-nous : Black M, c'est ce jeune rappeur qui, au début des années 2010, s'était fait connaître comme le porte-étendard du groupe Sexion d'Assaut avec leur premier clip "Casquette à l'envers", véritable plaidoyer pour la contre-culture banlieusarde. C'est le même Black M qui, un an plus tard, employait le mot "kouffar" (mécréant) dans l'une de ses chansons, ce qui allait le mettre sous le feu de l'extrême-droite quelques années plus tard. C'est le même Black M qui, en 2016, ridiculisait l'identitaire Marion Maréchal dans une de ses chansons et rendait hommage à son grand-père tirailleur mort pour
"Tupac, reviens, il-elle-s sont devenu-e-s fou-lle-s !", a-t-on envie de s'écrier lorsque l'on voit le paysage du hip-hop de ces dernières années où les artistes rivalisent de consensualité et de guimauve. Black M qui dédie une ode à son beauf, le jadis indomptable Orelsan qui fait une chanson sur les Lego (oui, vous avez bien lu), Big Flo et Oly qui nous racontent leur enfance neuneu et PNL qui nous sort des textes totalement incompréhensibles dignes d'aliens shootés au crack… Un obscur rappeur (dont j'ai oublié le nom) vient même d'écrire une chanson pour soutenir les Bleues à
Or, ce temps semble bien loin aujourd'hui. D'ailleurs, les rappeurs susmentionnés ne sont jamais invités sur les plateaux télévisés ou diffusés à la radio. De fait, mis à part quelques fulgurances d'un Nick Conrad (qui, cependant, n'arrive pas à la cheville des anciens rappeurs) ou d'un Médine qui tient à peu près la route, il n'y a plus de rap authentique en France. Mais même ces artistes sont persona non grata dans les radios de hip-hop : Skyrock et Beur FM, faussement rebelles, ne se risqueront jamais à diffuser du Médine. On lui préférera Booba qui, en bon agent de l'impérialisme, vit aux Floride et rêve d'obtenir la nationalité états-unienne. A la fougue antiraciste de Nick Conrad on préférera Nekfeu et MHD avec leurs chansons hédonistes sur l'alcool et le sexe. Alors, ceux qui ne veulent pas être boycottés ont mis leur révolte dans la poche pour écrire des chansons consensuelles sur des sujets aussi lisses que prosaïques. L'ami Black M en est un bon exemple : il pouvait être Tupac mais il n'est que 50 Cent. Formons le vœu que les mânes de Tupac souffleront leur génie créateur à une nouvelle génération de rappeurs pour rompre enfin avec cette guimauve et redonner au rap ses lettres de noblesse. Car, qu'est-ce que le rap sinon la version modernisée de la tragédie antique et de l'opéra wagnérien ? Mélange de puissance et d'esthétisme, de révolte et de joie, de dévotion et de liberté, ce genre musical mérite bien plus que d'être une machine à sous.
Nicolas Kirkitadze