mardi 30 octobre 2018 - par Franck ABED

Napoléon par Nicole Gotteri

Avec ce livre consacré à Napoléon, Nicole Gotteri s’interroge sur la fulgurante ascension du petit officier corse et sur la manière dont il menait sa barque, aussi bien à la tête de la France que dans ses affaires personnelles. L’auteur est archiviste-paléographe, docteur en histoire et ancien membre de l’Ecole française de Rome. 

Loin de se complaire dans la légende napoléonienne, les analyses de Gotteri étonneront voire choqueront les défenseurs de l’Aigle. Cependant, elle explique ne pas vouloir « s’enfermer dans des visions réductrices » et qu’il est possible de « formuler des critiques, d’établir des comparaisons car ce genre d’essai l’autorise ».

L’historienne se montre lucide sur son ouvrage, car elle dit : «  ce nouvel écrit sur un sujet qui n’a rien de bien neuf et sur un personnage que la France légale a décidé d’ignorer depuis peu n’est pas une biographie raisonnée ou une histoire du Consulat et de l’Empire venant grossir une masse considérable d’études de ce genre. Son ambition se limite à restituer un témoignage  ». Elle précise qu’elle a travaillé sur Napoléon «  par nécessité professionnelle  ». Gotteri a côtoyé l’Empereur « au quotidien, dans l’environnement d’un souverain par le biais des précieux vestiges de son passage. Cette fréquentation quasi trentenaire a permis l’exercice d’une réflexion sur un homme exceptionnel et sur son règne qui a imprimé sa marque en France et en Europe, en son temps et bien au-delà ». Il s’agit d’un bel aveu pour une personne qui exprime de notables réserves sur l’oeuvre napoléonienne.

Ainsi, bien qu’elle ne soit pas une inconditionnelle de Napoléon, elle reconnaît que « l’homme fut exceptionnel  ». Par conséquent, elle énonce que « les êtres d’exception sollicitent les interrogations. On se posera longtemps des questions sur la personnalité d’un homme comme Napoléon qui, durant ce qu’on pourrait appeler sa période historique, s’inspira d’un ensemble de références et manifesta des dispositions échappant à la logique ordinaire  ». Elle poursuit de cette manière : « le séjour à Sainte-Hélène appartient, je crois, à un autre univers, déjà irréel, où le caractère se dilue dans la quotidienne juxtaposition du sordide et du rêve ». 

Concernant la construction intellectuelle et sociale de Napoléon, elle remarque que « lui-même a cédé aux tendances de l’époque, pour ensuite s’en affranchir partiellement ». Le succès de Napoléon repose, en partie, sur sa capacité à croire en ses possibilités. En conséquence, il convient de ne pas oublier qu’il a fait « preuve d’un individualisme constant dans sa vie privée comme dans son itinéraire politique, se démarquant nettement de ce qu’on nomme aujourd’hui le communautarisme, qui enferme les forces vives propres à chacun dans le carcan de pratiques intangibles, sacralisées par le temps  ». Gotteri écrit « qu’un des premiers dérapages à la fidélité aux origines sera cet invraisemblable mariage avec Joséphine. Il n’a pas épousé une jeune fille corse et ne s’est pas soucié de la possible fureur des siens, qui voient le clan Beauharnais concurrencer le leur ». L’argent et la famille forment bien souvent un duo infernal…

N’oublions pas de rappeler que Napoléon est à la fois « un lecteur de Jean-Jacques Rousseau et un fils de la Révolution. Il se fie à sa nature et obéit à ses inspirations. Mais du passé, il ne fera jamais table rase, il est bien trop intelligent pour céder à ce mirage ; il se contentera d’y puiser des exemples, des sujets de réflexion et des éléments pour sa gloire personnelle ». L’auteur insiste sur ce point : « aussi n’est-il pas surprenant qu’il se soit consacré avec un soin méticuleux à inscrire son existence dans une mise en scène permanente ». Après tout, Napoléon disait bien qu’un « chef est un marchand d’espérance ».

Napoléon fut sûrement un grand homme d’Etat : « il créa beaucoup. Mais il ne faudrait pas s’imaginer qu’il créait à partir de rien ». L’oeuvre du Directoire doit être réévaluée selon Gotteri. Toutefois, elle stipule que malgré tout « la réorganisation de la France consulaire s’effectua avec une étonnante rapidité ». Effectivement, en peu de temps de nombreuses institutions voient le jour, dont certaines existent encore aujourd’hui : «  Napoléon proclame la nouvelle constitution, établit le Conseil d’Etat, le Sénat, le Tribunat et le Corps législatif, il crée la Banque de France et le corps de préfets, ainsi que l’Université et la Cour des Comptes  ». Gotteri reconnaît l’ampleur de la tâche : « une telle rapidité force l’admiration ».

D’aucuns ont beaucoup reproché à Napoléon d’avoir trop fait la guerre. C’est oublier que celle-ci avait commencé par la déclaration du 20 avril 1792, émanant de Louis XVI et de l’Assemblée législative, bien avant son accession au pouvoir. Par ailleurs, elle écrit un propos très pertinent que nous citons : « la paix et la guerre sous le Consulat et l’Empire sont liés par autre chose que par les pulsions destructrices d’un quelconque prédateur. Bonaparte s’est imposé comme nouveau maillon d’une chaîne. Il lui appartenait de la modifier ou de la rompre, mais il ne pouvait en faire abstraction  ». Abandonner ou rendre les conquêtes de la Révolution revenait donc à condamner le régime napoléonien et à renier le serment du Sacre… Quoiqu’il en soit, jamais l’Angleterre n’aurait accepté que la France (républicaine, impériale ou royaliste) ne possédât Anvers et la rive gauche du Rhin. 

D’une manière générale, chaque camp peut juger diversement le grand dessein de Napoléon. Gotteri semble le regretter mais elle pense que « notre époque cultive le manichéisme et les formulations assassines. Elle fait même parler le silence  ». Elle développe son idée comme suit : « il n’est pas nécessaire de se dire de droite pour admirer Napoléon, il n’est pas indispensable de se dire de gauche pour le critiquer  ». 

Dans leur jugement de la geste napoléonienne, certains négligent de considérer que la France sortait de la guerre civile, conjuguée à une guerre aux frontières. Au sujet des divisions franco-françaises, elle confesse volontiers l’anecdote suivante : « une vieille amie royaliste, qui à ma grande surprise disait tout haut son admiration pour le général Bonaparte, me déclara : sans lui les Français se battraient encore entre eux ». N’est-ce pas encore le cas aujourd’hui ? Vaste sujet…

Gotteri nous propose une analyse intéressante et sans concession de l’homme et du régime napoléonien. Elle pointe du doigt les réussites et les échecs du vainqueur d’Austerlitz, tout en expliquant pour quelles raisons les Français n’ont pas plus soutenu Napoléon quand l’impératif de la situation le réclamait. Cette étude permet de comprendre la stratégie politique et les moyens de gouvernement de Napoléon qui avait déclamé en son temps : « impossible n’est pas français  ».

 

Franck ABED



8 réactions


  • Renaud Bouchard Renaud Bouchard 30 octobre 2018 12:00

    A l’auteur.

    Bonjour et grand merci pour cette recension très intéressante d’un livre paru en 2007 à l’Harmattan et dont il est heureux que vous ayez pu rendre compte su cette tribune.

    L’ouvrage de Nicole Gotteri est en effet un essai remarquable ( Napoléon, Stratégie politique et moyens de gouvernement).

    Il a été écrit par une historienne de qualité, spécialiste du Premier Empire, dont on lira avec profit les autres ouvrages, notamment celui consacré à la Police secrète du Premier Empire, par exemple (7 volumes... qui se lisent comme une histoire d’espionnage surprenante, indispensable pour comprendre la conduite de l’État selon Napoléon), ou encore celui qui traite de cette figure que fut le maréchal Soult.

    Bien à vous,
    Renaud Bouchard


  • rogal 30 octobre 2018 12:38

    Assez d’accord avec les jugements de Nicole Grotteri que vous rapportez.

    Quant aux guerres, on peut les voir comme défensives à peu près jusqu’à Wagram. Mais ensuite quoi d’autre que le désir d’être le maître du Monde ?


  • Olivier 30 octobre 2018 18:05

    J’avoue que je suis peu enthousiasmé par Napoléon. Imposer 15 ans de dictature et de guerres à la France sans aucun raison valable, pour finir par l’occupation du territoire pendant 4 ans et le paiement d’énormes indemnités de guerre ne me paraît pas spécialement glorieux.

    Son erreur fondamentale a été de se faire sacrer empereur et de vouloir garder des conquêtes qui n’avaient aucun intérêt pour la France. S’il s’était fait roi et avait ramené la France dans ses limites naturelles il n’y aurait pas eu besoin de guerre, et sa dynastie aurait régné longtemps.


  • olivier cabanel olivier cabanel 30 octobre 2018 18:29

    tout comme Henri Guillemin, le grand historien, il serait temps de désacraliser cet abominable personnage qu’était napoléon...dans sa conférence sur la jeunesse du personnage, on découvrait combien ce « grand » homme haïssait les français...il avait écrit dans une de ses lettres, lorsqu’il était apprenti officier que les français était le pire des peuples...avec des mots encore plus crus...ajoutons pour la bonne bouche qu’il était un menteur, un dissimulateur, comme l’ont écris bernard Coppens ou Jean François Kahn...responsable de la mort d’environ 3 millions de personnes, et Descres, ministre de la marine dira un jour à Marmon : « voulez-vous que je vous dise la vérité, que je vous dévoile l’avenir ? L’Empereur est fou, tout à fait fou, et nous jettera tous, tant que nous sommes, cul par-dessus tête et tout cela finira par une épouvantable catastrophe ». c’est lui qui avait dit : « le meilleur moyen de tenir sa parole, c’est de ne jamais la donner »...et c’est quand même lui qui a rétabli l’esclavage...alors napoléon ? non merci !!! smiley


  • Dom66 Dom66 31 octobre 2018 11:15

    Qu’un chose à dire pour moi....désolé

    Napoléon......un CON.....point « criminel de guerre »  smiley


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