Notoriété : Auber vs Haydn
Beaucoup d’hommes, dans leur vanité, rêvent de laisser une trace de leur séjour terrestre, ne serait-ce qu’un nom. Bien peu y parviennent. Quelques-unes des obscures célébrités passées n’en ont pas moins remarquablement tiré leur épingle du jeu ; tel est précisément le cas de Daniel-François-Esprit Auber. Grâce au… métro !

Comme chacun sait, la dénomination des stations du réseau parisien est, dans la presque totalité des cas, directement liée à la toponymie locale. Nom de commune, de lieu-dit, d’artère, de monument ; peu importe, pourvu que son renom soit de nature à faciliter l’orientation des voyageurs. Néanmoins, l’usage en la matière veut généralement que l’on fasse référence à la voie la plus directement desservie ou au carrefour le plus proche (Sully-Morland par exemple).
C’est ainsi que, par la grâce d’une implantation heureuse, nombre de personnalités oubliées depuis des lustres ont soudain connu un inattendu regain de notoriété. Qui, de nos jours, hormis quelques érudits ou les riverains de la voie dont ils sont éponymes, se souviendrait encore de Botzaris, Corvisart ou Dugommier ?
Assurément bien peu de monde, et ce ne sont pas les légions d’anciennes gloires tombées dans un profond anonymat qui, de leur voix d’outre-tombe, me contrediront, atterrées qu’elles sont de se voir remisées aux oubliettes par Laurence Ferrari, Nikos Alliagas ou… Jean-Marie Bigard !
Mac Donald lui-même disparaît progressivement de nos mémoires. Il eût pourtant suffi de lui dédier une station de métro, fût-elle modeste, pour enrayer cet insidieux processus. Au risque, il est vrai, d’effacer définitivement le maréchal d’empire sous le roi du fast-food et principal vecteur de l’obésité des jeunes.
Car, reconnaissons-le, le métro ne confère, bien souvent, qu’une notoriété de façade derrière laquelle, à l’instar des décors de cinéma, on ne trouve que le vide poussiéreux des lacunes culturelles.
Pour illustrer ce propos, quel plus bel exemple qu’Auber ? Voilà un nom familier à des millions de personnes dont, hélas !, bien peu soupçonnent l’origine. S’il n’était un homme d’esprit, Auber en frémirait de courroux ! Mais, depuis le temps qu’il compose pour les chœurs célestes, l’auteur de Fra Diavolo s’est forgé une solide philosophie et se contente désormais d’une moue de commisération pour ses infortunés confrères.
Quatre-vingt-cinq compositeurs sont en effet honorés par la seule voirie parisienne. Et si Bach, Beethoven, Schubert ou Mozart restent connus de tous (feignons de le croire), il n’en va pas de même pour Cimarosa, Glück ou Pergolèse dont l’étoile pâlit inexorablement. Quant à Hérold, Spontini ou Méhul (à qui l’on doit pourtant le Chant du départ), nul ne se soucie plus de ce qu’ils furent, mais du moins ceux-là ont-ils laissé une trace alors que le grand Telemann et surtout le géant Haydn sont snobés par la Ville de Paris.
Seuls Pleyel et surtout Auber (dont le patronyme est désormais connu jusque dans la lointaine Cipango) auront pu éviter cette injuste disgrâce : l’oubli. Un oubli dont Lamartine a fort justement écrit qu’ « il drape les morts d’un second linceul. » Et tant pis si Auber le doit à la proximité de sa gare RER avec les Galeries Lafayette et le Printemps ! Pour n’être pas absolu, l’hommage des transports parisiens n’est finalement pas d’un si mauvais aloi !
Score final : Auber 1 – Haydn 0