jeudi 9 novembre 2006 - par Sandra.M

« Nouvelle chance », la fantaisie mélancolique d’ Anne Fontaine

medium_18669724.jpgAprès la passion douloureuse et le drame poignant, fascinant, inquiétant, troublant, avec Entre ses mains ( un film à voir absolument, ma critique ici), Anne Fontaine a changé de registre pour mettre en scène une comédie fantaisiste non dénuée d’ironie délicieusement cruelle.

Comme souvent dans les comédies, les destins des personnages principaux, si dissemblables, n’avaient aucune raison de se croiser. Il y a Odette Saint-Gilles (Danielle Darrieux), vieille actrice oubliée dans un centre social ; Augustin Dos Santos (Jean-Christian Sibertin-Blanc), garçon de piscine à l’hôtel Ritz ; Bettina Fleischer (Arielle Dombasle), héroïne de feuilleton populaire et accessoirement cliente du Health club du Ritz ; et Raphaël (Andy Gillet), jeune homme à la beauté troublante, travaillant au centre social où loge Odette. Augustin est aussi metteur en scène pour des centres, des foyers, des entreprises... et en l’espèce il doit mettre en scène une pièce pour un spectacle d’entreprise. Il décide de mettre en scène une pièce du XVIIIe trouvée chez Odette, une histoire de passion et de rivalité féminine. Il va donc réunir ces êtres dissemblables et leur donner une nouvelle chance d’assouvir leurs rêves...

Jean-Christian Sibertin-Blanc (le frère d’Anne Fontaine) reprend ici le personnage d’Augustin qu’elle avait créé et déjà mis en scène dans Augustin (1995) et Augustin roi du kung-fu (1999). Personnage lunaire aux idées incongrues, insolites, avec un naturel désarmant, il ne recule devant rien pour mettre son projet à exécution : ni demander à Jack Lang (qui fait aussi ses débuts au cinéma, d’autres diraient qu’il ne fait que ça, je leur en laisse la responsabilité) un lieu pour ses répétitions, ni arranger une rencontre aquatique entre Odette et Bettina, dans la piscine du Ritz.

En présentant le film, lors de l’avant-première, Anne Fontaine a précisé qu’elle avait songé aux acteurs avant d’écrire son scénario, cela se ressent dans son écriture, avant tout centrée sur ses acteurs, donc. Elle a également précisé que si Danielle Darrieux était absente, c’était parce qu’elle déménageait pour la cinquième fois en deux ans, tournée vers l’avenir, toujours, encore, merveilleusement... à quatre-vingt-neuf ans.

Nouvelle chance est d’ailleurs surtout un magnifique hommage à Darielle Darrieux (Avec plus de 130 films à son actif, tournés sous la direction des plus grands -de Claude Autant-Lara à François Ozon en passant par Max Ophüls, Claude Chabrol et Benoît Jacquot-, elle fut l’égérie du réalisateur Henri Decoin qui lui offrit la vedette de nombre de ses longs métrages - Mademoiselle ma Mère (1936), Abus de Confiance (1938), Battement de Coeur (1940)... - et connut la consécration internationale avec The Rage of Paris d’Henry Koster (1938) et L’Affaire Cicéron (1951) de Joseph L. Mankiewicz). Ici, elle est tantôt fragile, forte, caustique, cruelle, mourante, incroyablement vivante, bref émouvante, sublime. Elle est filmée sans artifice, parfois en gros plan. Nous voilà plongés dans son regard, un regard incroyablement expressif, nous voilà plongés dans l’histoire du cinéma français, un regard incroyablement pluriel. Un regard qui perd la vue. Le drame, la mélancolie affleurent, constamment. Ce regard si expressif suffit à nous émouvoir. Nous l’écoutons, la regardons religieusement. Peut-être n’est-ce pas un hasard s’ils répètent dans une église...

Danielle Darrieux nous fait oublier le manque de rythme et les faiblesses scénaristiques. D’ailleurs peut-on réellement parler de faiblesse, puisque l’objectif n’était pas là ? La mise en scène est aussi très théâtrale, l’intérêt n’est pas là non plus, et puis après tout, il est question de théâtre, aussi. C’est avant tout une histoire d’acteurs, pour ses acteurs, et finalement nous sommes tristes de les quitter, tristes après avoir ri, quand même, aussi. Nous aimerions savoir ce qu’ils vont devenir avec leur solitude, leurs regrets, leurs ambitions.

Le film pourrait commencer quand il s’achève sur une note de musique et d’amertume. Les dernières minutes nous font ainsi retrouver l’amoralité jubilatoire d’Entre ses mains et des précédents films d’Anne Fontaine (Nathalie, Nettoyage à sec). En quelques plans tout est dit : la cruauté, l’amertume, l’arrivisme et la beauté, encore, finalement, celle de cette dame en noir, radieuse, lumineuse, plongée à jamais dans l’obscurité. Dans Entre ses mains, déjà, la fascination du personnage d’Isabelle Carré pour celui de Benoît Poelvorde, et du spectateur pour cette histoire d’amour absolu, dérangeante et non moins sublime, provenait de ses personnages, si ambivalents et si magistralement interprétés. C’est aussi ce qui fait le charme de cette Nouvelle chance. Oui, rassurez-vous : l’amoralité (et heureusement pas la moralité) est sauve. Rien que pour cela, cette comédie caustique empreinte de charme nostalgique et de la grâce juvénile de Danielle Darrieux vaut la peine que vous lui donniez cette nouvelle chance.



2 réactions


  • Theothea.com Theothea.com 9 novembre 2006 16:16

    Les critiques cinéphiliques de Sandra M. sont de retour sur Agoravox.... et c’est tant mieux !... En plus la chroniqueuse évoque ici avec admiration le charisme rayonnant de Danielle Darrieux, cela ne peut que nous convaincre de saisir dès que possible sur l’écran cette « nouvelle chance ». En outre pour la petite histoire, il semblerait qu’entre ses 5 déménagements en 24 mois à 89 ans, l’illustre comédienne a toujours la ressource d’aller se revivifier sur son île de Bretagne où elle disposerait d’un « pied-à-terre ». Ceci expliquant peut-être cela, tel est peut-être le secret de sa longétivité et de sa « très grande forme » !.... Allez savoir !...


    • Sandra.M Sandra.M 11 novembre 2006 14:02

      Merci ! Mes critiques sont en effet de retour sur Agoravox même si elles n’ont jamais cessé d’être sur mon blog.

      Malheureusement « Nouvelle chance » fait un très mauvais démarrage et je crains qu’il ne soit déjà plus à l’affiche la semaine prochaine. smiley


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