mercredi 21 septembre 2022 - par Orélien Péréol

Occident

Occident, de Rémi De Vos. Mise en scène : Frédéric Le Foll ; Interprètes : Julie Fabioux, Benoit Besançon, Vu au Pixel Avignon Salle Bayaf dans le festival

C’est une pièce brute de conflit conjugal stagnant. Ils sont utiles l’un à l’autre, ces deux-là, unis dans des liens sordides mais tenaces. Toutes les scènes se passent dans l’appartement « familial ». Il rentre saoul, et ils se disputent. On a de cette façon le récit de ses aventures dans les brasseries de la petite ville.

Occident est d'abord un texte d'une puissance formelle et d’une puissance psychologique remarquables. Une dizaine de scènes, bâties sur le même schéma narratif, sur la même trame, la même scène de ménage, avec ses variations, nous font parcourir le tracé psycho-politique d'un couple installé dans une relation d'amour-haine dans laquelle la liaison entre ces deux sentiments qu’on oppose, est exceptionnelle. Rien sur ces gens, ni leur âge, ni leur métier… pas de passé, pas de famille. Ils n'ont pas d'enfants, semble-t-il. On devine qu'ils ne sont pas très haut dans l'échelle sociale, petits employés, ouvriers, vendeurs, caissiers (caissière ?), femme de ménage... Ils se haïssent avec une passion nécessaire à leur vie, très ritualisée. Ils se connaissent bien, et l’on sait que la connaissance est un autre nom de l'amour.

L’auteur, Rémi De Vos entre dans cette arène avec force et précision dès la première réplique : Insultes, haine, mépris, menaces, menaces de mort. Il ne bande plus. Elle le lui reproche violemment, comme une moquerie, pire une humiliation. On ne saura jamais s’il n’y a que ça, une occasion de prendre le dessus, ou si l’amour physique lui manque. On a l’impression que non.

La trame est celle-ci : tous les soirs, le mari rentre des cafés, totalement saoul, « fait », comme on disait quand j’étais petit (je ne sais pas si cela se dit encore). Et le pugilat verbal se continue. Car la femme ne se laisse pas faire, n’a pas peur, elle connaît son tartarin par cœur, et elle surenchérit, le pousse, le pousse le plus loin possible, le pousse à bout. Beaucoup de répétitions, beaucoup de variations. Dans ces variations, on a des nouvelles de la ville, de ce qui se passe ailleurs, de ce qui se passe dans les cafés. L’ami Momo, Mohamed, est viré d’un café, par les Yougoslaves nouveaux immigrants qui « n’aiment pas les arabes »… ils l’ont tabassé sur le trottoir, pour qu’il comprenne bien. Lui n’a rien fait. Lui non plus n’aime pas tellement les arabes, sauf que « Momo, c’est pas pareil » C’est un compagnon de picole, sans doute.

Occident est d'abord un texte d'une puissance émotive remarquable. Avec des mots crus, sans fioritures, sans littérature. Des mots sans commentaires, sans pathos, que des mots déclaratifs, criés bien souvent. La situation est limpide dès le début. Sa répétition variée se découvre peu à peu. Puis on comprend qu’il n’y a que ça, que si on veut comprendre cette femme et cet homme sans noms, il ne peut y avoir que ça : un quotidien de chagrin qui joue en même temps l’avers et le revers de l’amour : « je t'aime je te tue », et « nous vieillirons ensemble ».

Occident nous dit le monde tel qu'il va. Que faire quand il n’y a rien à faire ? De quoi vivre quand il n’y a rien à vivre ? Qu’espérer quand il n’y a plus d’espoir ? Des idéaux ? des valeurs ? Défendre l’Arabe « pas comme les autres » quand il devient un Arabe comme les autres pour les yougoslaves agressifs et cogneurs, qui veulent un territoire selon leur préférence ? Allez au Front ? Cela paraît impossible. Être raciste, non ! Seulement laisser faire.

La Campus compagnie, créée en 2015 à la Folie Théâtre, est composée de deux comédiens excellents, et d’un metteur en scène impeccable. Leur Occident est direct comme un uppercut, comme le texte. Tout y converge, c’est un éclat de théâtre coupant et lumineux.

« Occident » Affiche {JPEG}



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