vendredi 17 juin 2011 - par Sylvain Rakotoarison

Odilon Redon : la couleur qui illumine les esprits les plus noirs

Il ne reste plus que quelques jours pour admirer la belle rétrospective d’Odilon Redon à Paris : "Odilon Redon (1840-1916), prince du rêve".

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Deux heures dans un espace pas trop humainement dense ce vendredi 20 mai 2011. Cette fois-ci, je ne suis pas trop en retard, l’exposition dure encore un mois. C’est possible que la densité augmente dans les derniers jours.

Odilon Redon est un artiste très contrasté : il est connu pour ses couleurs joyeuses rayonnant la sérénité d’un beau paysage fleuri alors qu’il a commencé avec les lithographies noires qui ne manquent pas de pessimisme.

L’exposition aux galeries nationales du Grand Palais à Paris qui finira le 20 juin 2011 propose ainsi au visiteur les deux faces de l’artiste avec un net avantage à l’aspect lithographie, qui devait être à l’origine alimentaire, dans les deux cent cinquante-six œuvres exposées.

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Odilon Redon est né le 20 avril 1840 et s’est éteint le 6 juillet 1916. Il est enterré à Bièvres où il peignit beaucoup de compositions florales. Son fils Ari n’a pu arriver du front avant sa mort.

Parmi les thèmes récurrents d’Odilon Redon dans sa période lithographique, il y a les têtes coupées, les œils qui font montgolfières ou fleurs, les Christ sans barbe (ce qui est très rare dans le représentation du Christ)…

Il y a ainsi beaucoup de compositions qui nécessitent énormément d’imagination, des rêves ou des cauchemars, avec une obsession de la mort, de squelettes…

"Christ" de 1877 est l’une des lithographies de Jésus sans barbe.

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"Diable enlevant une tête" de 1876 peut laisser entendre l’idée que pourrait avoir Odilon Redon de l’enfer.

Le dessin "Femme nue au milieu des sphères" de 1875 fait tout de suite penser à une bande dessinée fantastique (plutôt américaine).

La mort est au rendez-vous dans ce lugubre tableau "Un masque sonne le glas funèbre" réalisé en 1882 tandis que "L’œil-ballon" de 1878 donne une ouverture vers les cieux avec un petit arrière-goût d’œil de Caïn. Proche de l’œil, "L’œuf" de 1885, avec ses yeux perdus dans le coquetier, attend son heure.

Le "Centaure visant les nues" de 1883 s’appuie sur un jeu de mot (les nues sont dans le ciel) pour faire apparaître les personnages imaginaires des légendes et mythologies qui enivrent Odilon Redon.

L’artiste a illustré quelques ouvrages d’Edgar Poe qu’il adorait.

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Dans son ouvrage "Les origines" (1883), l’auteur décrit ce noir dessein :
« Et l’homme parut, interrogeant le sol d’où il sort et qui l’attire, il se fraya la voie vers les sombres clartés. ».

Il a également illustré Gustave Flaubert.

Dans ses lithographies, il y a aussi "Araignée souriante" de 1881 qui esquisse une image plaisante d’une bestiole peu populaire dans les foyers, "Le Corbeau" (1882) aussi grand que l’ouverture de la fenêtre où il est niché, une très étrange "Tête laurée derrière une grille" (1882) dont les yeux ressemblent à ceux dessinés dans les mangas, et puis, il y a cette extraordinaire évocation des aïeuls avec "L’esprit des bois (spectre d’arbre)" (1880) où l’on voit une sorte de squelette avec une tête de Poutine, le tout enraciné dans la litanie des ascendances.

Autre lithographie remarquable : "Têtard" (1883) qui ressemble plus à un gentil spermatozoïde à queue de cheval enroulée autour de la tête.

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Dans l’expo, on peut aussi admirer une matrice faite d’une plaque de cuivre représentant "Sciapode" (1892), une sorte d’animal préhistorique en forme de poisson à tête d’homme, appartenant au Rijksmuseum à Amsterdam. Il est aussi présenté la lithographie correspondante, symétrique.

Et puis, soudain, les couleurs éclatent enfin. Jaillissent, je dirais, pour quitter définitivement la grisaille des rêves et marteler des enchevêtrements originaux de couleurs la joie de la nature.

Dans une lettre à Maurice Fabre, Odilon Redon expliquait clairement son évolution en 1902 : « J’ai voulu faire un fusain comme autrefois : impossible, c’était une rupture avec le charbon. Au fond, nous ne nous survivons que grâce à des matières nouvelles. J’ai épousé la couleur depuis, il m’est difficile de m’en passer. ».

Là, en effet, il était difficile de se passer de ses couleurs.

En 1898, une "Jeune fille au bonnet bleu" (appartenant au Musée d’Orsay) accompagne la beauté d’un profil aux couleurs particulières dans leur mélange.

Assez connu, "Le Bouddha" (vers 1905), du Musée d’Orsay, introduit son lot de dégradé du ciel en bleu vert qui peut se retrouver aussi dans son "Hommage à Gauguin" (1903-1904) montrant le buste d’une jeune femme en bleu vert tenant des fleurs rouges, probablement des coquelicots.

Moins connu car appartenant à une collection particulière (Courtesy Waring Hopkins and Gallery Hopkins Artist), ce "Buisson rouge" (1903-1905) apportant sur un plateau son cortège de blanc et de rouge.

"La Coquille" (1912), visible au Musée d’Orsay, surtout dans sa version pastel (il est exposé aussi la version huile), transforme un coquillage dans une tournure presque indécente.

"Isis" (1905-1910) ainsi que "La Naissance de Vénus" (vers 1912), appartenant au Petit Palais, sont deux magnifiques tableaux de sublimes divinités luxuriantes de couleurs.

La grâce et la sérénité présentes dans "Le Silence" peint en 1910-1911 complètent le doute quasi-religieux dans le regard introspectif.

Parmi les natures mortes, Odilon Redon a joué sur plusieurs styles : du figuratif comme cette huile "Anémone et coquelicots" (1914-1915), à la fin de sa vie, ou du quasi-tachisme avec "Capucines ou Nasturtiums" (1905 ou 1912).

Odilon Redon est également un portraitiste à la physionomie très aiguisée. Au-delà de ses propres autoportraits, il a peint entre autres un sévère "Portrait de madame de Domecy" (1900) ou encore le voluptueux visage du pastel "Marie Botkine" (1906-1907) provenant d’un legs du fils de l’auteur au Louvre et qui se trouve désormais au Musée d’Orsay.

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"Le Char d’Apollon" (vers 1910) montre quatre chevaux essoufflés en lutte contre le serpent de mer des ténèbres (visible au Musée d’Orsay) tandis que "Le Cyclope" (vers 1914) renoue avec les œils, mettant en scène un cyclope très attendri à la vue d’une belle créature (appartenant au Kröller-Müller Museum à Otterlo).

Bon, évidemment, il y en a tellement à citer que je pourrais en faire un fastidieux catalogue. On peut trouver sur Internet quelques reproductions de ces lithographies, pastels ou huiles avec parfois une faible probabilité de succès pour les collections particulières qui sont à mon avis le vrai intérêt de cette exposition (beaucoup de tableaux peuvent être vus dans d’autres circonstances, notamment au Louvre, Musée d’Orsay et Petit Palais, mais aussi à l’étranger).

C’est curieux que certaines toiles sont à date incertaine alors que le Grand Palais livre au visiteur certains cahiers de comptes où Odilon Redon répertoriait précisément ses œuvres ainsi que leurs recettes.

Je termine en ajoutant qu’une salle est réservée à la partie décorative des œuvres d’Odilon Redon avec la reconstitution du château de Domecy (dans l’Yonne) et ses belles compositions florales même si j’apprécie moins cette partie de l’expo qui présente également des tapisseries de fauteuils et une maquette de tapis.

En résumé, cette expo donne un aperçu éclatant d’un artiste qui a su manier plusieurs styles pour exprimer sa vision fantastique du monde, ses rêves, ses joies, ses peurs et ses angoisses.

L’exposition "Odilon Redon (1840-1916), prince du rêve" est accessible jusqu’au lundi 20 juin 2011 au Grand Palais à Paris.

Horaires : 10h00 à 20h00 tous les jours et le vendredi jusqu’à 22h00.
Prix : 11 euros.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Quelques tableaux d’Odilon Redon (à voir ou à revoir).
Bibliographie sur Odilon Redon à télécharger.



Reproduction de tableaux d'Odilon Redon :
1. La Naissance de Vénus (1912).
2. Esprit de la forêt (1880).
3. Marie Botkine (1906-1907).
4. Un masque sonne le glas funèbre (1882).
5. Jeune fille au bonnet bleu (1898).
6. Le Cyclope (1914).




9 réactions


  • orage mécanique orage mécanique 17 juin 2011 10:28

    Et puis, soudain, les couleurs éclatent enfin. Jaillissent, je dirais, pour quitter définitivement la grisaille des rêves et marteler des enchevêtrements originaux de couleurs la joie de la nature.

    et si je peux permettre d’ajouter,
    jamais je n’avais ressentis cette « plus value » de l’exposition en me retrouvant face aux oeuvres,
    aucune reproduction couleur des œuvres de Redon n’est à la hauteur de la flamboyance de ce qui peut être admirée au grand palais.

    c’est une des meilleurs expo que j’ai faite et je n’ai pourtant pas été du tout touché par la première partie.


  • cathy30 cathy30 17 juin 2011 10:38

    salut
    oui j’enrage d’être si loin de Paris pour aller au grand Palais. Mais j’ai pu admirer ces oeuvres au musée d’orsay il y a quelques années. Quel ravissement dans la couleurs, il faut voir en vrai, cela ne donne rien d’équivalent sur un autre support comme toutes les oeuvres d’ailleurs. Quel génie de la couleur.


  • Isis-Bastet Isis-Bastet 17 juin 2011 13:17

    Une très belle exposition, un vrai régal. Le titre est bien trouvé : Odilon Redon, prince du rêve.


  • Loatse Loatse 17 juin 2011 15:39

    Merci l’auteur pour ce voyage dans le monde du rêve...

    Etonnant ce « squelette-arbre » branchu ! les racines émergent du sol. Privé de sa sève, l’arbre ne peut que dépérir mais la moue du personnage est dubitative... les branches sont nues mais tendues vers le ciel comme cherchant l’espérance d’une renaissance, d’un au délà, d’une continuité.... Il n’y a pas de dimenssion tragique dans ce tableau..

    magnifiques et intrigrantes ces oeuvres... :)


  • Loatse Loatse 17 juin 2011 15:42

    l’émotion me fait mettre deux S à dimension.. rhooooo


  • easy easy 17 juin 2011 17:30


    Merci pour cette fenêtre.

    Je ne connaissais pas.

    Ne faisant pas suffisamment attention au prénom, je me mets à regarder les images en croyant avoir affaire à une Odile.

    D’image en image, je me dis
    « bizarre qu’une femme soit aussi éclectique »
    « M’enfin, c’est incroyable de la part d’une femme »
    « Quoi ? une femme a peint ça ? »
    Que des réflexions dans le genre
    Va savoir pourquoi

    Après, je relis le papier, les commentaires, et là je vois qu’il s’agit d’un homme

    « Ahhhhh »



    Je me demande alors pourquoi une femme ne peindrait-elle pas ça, pas de cette manière (la question valant tout de même plus pour la variation d’un tableau à l’autre que pour une oeuvre isolée) ?


    On devrait essayer ce test. On demanderait à 50 hommes+ 50 femmes de regarder 
    20 catalogues d’artistes qui leur sont inconnus et comprenant 10 hommes et 10 femmes, chaque catalogue contenant 10 oeuvres.
     
    Et on demanderait à ces 100 testeurs d’essayer de deviner le sexe de chacun des 20 artistes
    On ferait l’expérience pour les livres, les films, des peintures, les musiques, les sculptures, les ballets...

    Il me semble qu’on peut se tromper de sexe au vu d’une seule pièce d’un artiste, mais qu’on ne se méprend généralement pas au vu de son catalogue

    Peut-être qu’une femme ferait du Cocteau, du Klimt, du Chagall, mais certainement pas du César Baldaccini, du Serra, du Rembrandt, du Dali, du Trémois.
     

    (J’aurais eu beaucoup de mal à certifier le sexe de Niki de Saint Phalle à travers son seul catalogue)

    Bon, et quand on aura découvert que les oeuvres portent la marque du sexe de leur auteur et qu’elle est visible, comment ferons-nous pour expliquer où elle se trouve, et comment on la voit ?

    (Ca me fait penser que la fontaine Tinguely - Saint Phalle de Beaubourg n’a pas résisté au temps et intempéries. Elle devrait être remisée car là, c’est la honte) 


    • Loatse Loatse 17 juin 2011 17:59

      Eclectisme ou cheminement, Easy ?

      On peut constater chez la plupart des peintres (sauf peut etre à une époque ou les standards sont imposés et toute excursion en dehors des sentiers battus rejeté impitoyablement - je pense à vincent van gogh qui ne fut reconnu par ses pairs qu’une fois décédé - une évolution parfois radicale dans leur style ainsi qu’une plus grande liberté dans leur palette...

      la plupart des artistes tatonnent avant de trouver enfin leur marque et d’exprimer au mieux leur personnalité et leur originalité..

      Un exemple parfait avec Picasso, de la période bleue très figurative (le vieillard et l’enfant) au cubisme, technique qu’il maitrise à merveille...

      Je peux vous assurer easy (en tant que peintre) que l’art n’a pas de sexe... c’est l’âme qui s’exprime directement sur la toile, l’émotion..(mes premiers essais furent aussi très sombres et très figuratifs, puis au fil du temps on prend confiance en soi et on essaie d’autres techniques, d’autres approches. on ose la couleur jusqu’à ce que celle ci devienne indispensable)




    • easy easy 17 juin 2011 18:51

      Oui, le cheminement est un phénomène quasiment constant chez les artistes. Picasso a fait de sacrés virages, Munch aussi. M’enfin César Manrique, je reconnais sa patte à tous les étages, Victor Hugo aussi. 

      Et au-delà de la variation ou des périodes, j’ai été saisi par ce qui m’est arrivé ici en découvrant Odilon Redon, en croyant avoir lu Odile et en trouvant que ce spectacle ne collait pas avec son attribution à une femme, même lesbienne (car il y a deux pièces très vulvaires)


      A part quelques Mucha ou Aslan, il me semble qu’un artiste n’est pas dans « j’exprime mon sexe »
      Il irait même souvent dans une expression asexuée (une jeune auteure s’était fait remarquée en écrivant un livre en « Je » tout en dissimulant son sexe. 

      Que l’artiste ait l’impression de parler hors sexe, n’empêche pas que son sexe transparaisse malgré tout sans ses oeuvres. (Le cas des couples créant parfois des anomalies à cette caractérisation sexuelle s’ils sont trop fusionnels).

      On ferait donc le test que je suggère, je pense qu’on constaterait un fort taux de réussite dans la devinette (malgré les aberrations que pourraient créer les homosexualités) 



      Tiens, il se pourrait que les garçons aillent régulièrement dans la représentation de quelque chose tenant à la grégarisation, au groupe, à la société. Alors qu’une femme irait peut-être davantage à considérer l’individu hors groupe dans ses pensées artistiques(alors qu’elles le pratiquent très bien au quotidien)

      Ou alors, autre piste, les garçons iraient à exprimer quelque sublime (parfois dans le fond, parfois dans la forme, parfois dans les deux à la fois) pendant que les filles n’auraient pas cette préoccupation sauf sur le thème de la passion amoureuse. (Bizarrement, alors qu’elles enfantent et que c’est assez énorme en soi, les femmes jouent rarement de ce thème sur le plan artistique)

      Hommes et femmes se rejoindraient éventuellement sur le thème de la folie.

      Mah, avant de spéculer sur ce qui ferait leur différence, il faudrait d’abord faire ce test pour prouver qu’elle existe ou non.


    • easy easy 17 juin 2011 19:18

      «  »«  »puis au fil du temps on prend confiance en soi et on essaie d’autres techniques, d’autres approches. on ose la couleur jusqu’à ce que celle ci devienne indispensable«  »"

      Moi, je serais bien du genre à craindre le passage à la couleur et j’ai mis des années avant d’oser. Maintenant que je suis sûr de n’avoir pas foiré, j’y vais plus directement mais j’ai bel et bien eu peur de colorer. (faut dire qu’à 17 ans, j’ai voulu faire une bonne surprise à ma mère qui a découvert en rentrant du boulot que j’avais repeint la cuisine en ... vert foncé. On s’était tellement moqué de moi que ça m’a calmé un moment sur les couleurs.)

      M’enfin je vois que bien des gens se lancent directement dans la couleur sans la même appréhension. Séraphine, Khalo, Saint Phalle, Audrey Flack, semblent n’avoir aucun complexe vis à vis de la couleur


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