lundi 6 septembre 2010 - par Armelle Barguillet Hauteloire

Oncle Boonmee de Apichatpong Weerasethakul

"Oncle Boonmee" de Apichatpong Weerasethakul qui a reçu la Palme d’Or au dernier Festival de Cannes a suscité une controverse ; le public et les critiques ayant été partagés entre l’adhésion et le rejet pur et simple d’un film à l’évidence long et hermétique, se partageant en deux clans : les séduits et les agacés. Je vous avais déjà parlé de ce metteur en scène atypique que j’ai découvert à Deauville, lors du Festival du Cinéma Asiatique 2007, et tout le bien que je pensais du film qui était alors en compétition Syndromes and a century .( Voir ma critique en cliquant sur l’icône au bas de la page ) Pourquoi cet opus exaspère-t-il à ce point les spectateurs ? Parce qu’il est extrêmement long et lent, plus, sans doute, qu’un occidental est en mesure de supporter sans décrocher ; ce qui m’est arrivé, je l’avoue à deux reprises, à cause d’un narratif souvent décousu, parsemé néanmoins d’images sublimes, d’inventions stupéfiantes, ce qui laisse présager ce que ce réalisateur sera capable de faire à l’avenir, car il n’a jamais que quarante ans. Oncle Boonmee est une méditation qu’il faut laisser infuser afin qu’elle délivre sa magie, soit celle d’une inspiration qui mêle les époques, les humains et les animaux et ne cesse de se laisser quérir par ses fantasmes et ses énigmes. Le souci d’Apichatpong n’est-il pas de coudre à petits points une oeuvre de longue haleine, mystérieuse et troublante, qui entretient des liens étroits entre vivants et morts, naturel et surnaturel, sans se départir de sa poésie, tant cette lenteur se pare à tous moments de majesté et d’obscurs secrets ? Mieux que la disparition d’oncle Boonmee, atteint d’insuffisance rénale et qui est venu mourir dans sa maison, c’est de la disparition d’un monde qu’il s’agit. Avant de finir son existence terrestre, oncle Boonmee va recevoir la visite de deux fantômes, celui de sa femme et celui de son fils qui surgit sous la forme d’un singe aux yeux phosphorescents, l’une des scènes les plus fortes du film. Puis, il lui faudra se confronter à ses vies antérieures, au long d’un périple de deux heures, qui lui fera traverser la jungle avant de rejoindre la grotte sacrée, censée représenter l’utérus maternel ; ainsi la boucle sera-t-elle bouclée, de même que sera achevée son errance au coeur de sa propre mythologie. Film où les métamorphoses et les métaphores sont courantes, tant le cinéaste se veut en osmose avec les forces originelles et ténébreuses de l’univers. Pour Weerasethakul, rien que de très normal dans cette vision des choses, l’homme vivant dans un univers en constante mutation qui l’oblige à se transformer continûment afin de rester en liaison et harmonie avec les forces vives qui nous gouvernent, nous traversent et nous transforment. C’est ainsi, qu’à sa manière Uncle Bonmee transforme, ou plutôt transpose ses fantasmes et ses souvenirs, qui ne sont autres que ceux du réalisateur, adepte de la réincarnation.

Avec cet opus, Apichatpong Weerasethakul rend hommage aux films fantastiques thaïs qui bercèrent son enfance, productions peuplées de créatures chimériques. Cette façon d’envisager le 7e Art comme vecteur entre le monde des esprits et celui des vivants est devenu son principal centre d’intérêt et de créativité et n’a jamais été aussi prégnant que dans Uncle Bonmee. Malgré ses longueurs, sa lenteur méditative et parfois hermétique, ce film a su conquérir le jury de Cannes, présidé par un Tim Burton épris de poésie et d’imagination, se plaisant dans des rêveries semblables, à l’opposé de celles d’ Inception.

" La personnification des dieux m’est très naturelle. J’essaie toujours de me placer en anthropologiste pour comprendre l’irrationnel - dit-il - ce qui renvoie à son éducation religieuse dans une famille boudhiste. Ce déchiffrage du monde ne nous est certes pas habituel à nous autres Français, nourris par la pensée d’un Descartes et pris dans l’engrenage d’une accélération irréversible. Même si je n’ai pas été totalement ensorcelée par cette oeuvre difficile, je salue avec admiration un cinéaste qui, allant à rebours des autres, assume et assure de film en film, une inspiration d’une inventivité et d’une audace garantes, l’une et l’autre, d’un talent authentique et plein d’avenir. Et je le remercie de nous ouvrir une nouvelle voie de réflexion, ce qui de nos jours n’est pas courant.

Pour consulter ma critique sur Syndromes and a century, cliquer ICI



1 réactions


  • Surya Surya 6 septembre 2010 13:14

    J’ai aimé ce film, que j’ai trouvé plein de tact et de délicatesse, de poésie et de sentiments, comme souvent dans le cinéma asiatique. Certes, il est très long, mais il ressort de cette longueur une impression de calme et de sérénité. La tranquillité avec laquelle l’oncle attend la mort et l’accepte, bien que la redoutant sans vraiment oser l’avouer, est très émouvante.
    Bien que ne comprenant pas la langue Thaï, j’ai écouté attentivement les dialogues (sans oublier de regarder les sous titres bien sur) et j’ai trouvé très belle la façon dont les personnages disaient leur textes, comme il réciteraient un poème classique, ce qui met en valeur la beauté de cette langue. Les images sont sublimes, on en est tellement imprégné qu’on ressent même la moiteur de la jungle en les regardant. On se laisse bercer par ces images, et peu importe si en tant qu’occidentaux, on ne comprend pas forcément le symbolisme qui se cache derrière.
    La seconde partie du film, tout à fait à la fin, après la mort de l’oncle, est nettement moins poétique, plus ancrée dans le réel. Elle tranche de façon brusque avec l’ambiance, et bien que cette partie soit la plus courte du film, puisqu’elle se situe à la fin, c’est celle qui m’a semblé la plus longue. Autant le long plan au début du film sur le buffle qui s’échappe ne m’a pas gênée, autant cet interminable plan sur la tante et la jeune fille scotchées devant la télé m’a ennuyée ? Je trouve que ça gâche un peu la magie, et même si c’est ce que le réalisateur voulait exprimer il aurait sans doute pu se passer de l’intégrer dans son oeuvre. Elle n’en aurait été que plus belle.
    Dans l’ensemble, et si on fait abstraction de ce dernier quart de film, je pense qu’il faut voir Oncle Boonmee, ce cinéma est totalement différent du nôtre, et même si le film nous semble lent parce qu’on n’a pas l’habitude, cela ne fait pas de mal de vivre à nouveau au rythme du temps de temps en temps.


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