Opus Coeur, au Théâtre Hébertot

En cette rentrée théâtrale, le duo Pierre Vaneck / Astrid Veillon garantit d’emblée sur la scène du Théâtre Hébertot une complémentarité de jeu d’où la tension émotionnelle surgit dans la confrontation de deux destins contrariés.
Ainsi précédant juste de quelques longueurs sur la ligne de départ les trois Isabelle, Adjani, Huppert et Carré, dont le charisme sur les planches n’est plus à prouver, Astrid Veillon se trouve de fait en position de challenger... si toutefois d’aucuns pouvaient déjà penser aux Molières en ces prémices de la saison 2006-2007.
Il faut dire que cette comédienne trentenaire révélée au public du spectacle vivant par le "bon vouloir" du Prince Alain Delon sinon du pygmalion, pour Les Montagnes russes au Marigny en 2005, n’a eu de cesse de réclamer l’interprétation de Kathleen auprès de Stephan Meldegg, metteur en scène de cet Opus coeur mais a priori convaincu que le physique trop favorable de l’actrice ne convenait pas à la perspective du rôle.
Il faut dire que du coeur à l’ouvrage, Astrid Veillon n’en est pas parcimonieuse même après déjà une quinzaine de représentations jusqu’à afficher, en début de pièce, une fébrilité peut-être par trop intensive. En obtenant son passeport pour une confrontation en tête-à-tête avec l’un des comédiens les plus talentueux de sa génération et, de toute évidence, à 75 ans plus à l’aise que jamais sur les planches, elle s’est engagée pour le meilleur et pour le pire dans une relation conflictuelle en huis clos qu’elle se doit d’assumer jusqu’à la lie.
A l’issue du combat, il fallait voir, l’autre soir, la rayonnante Isabelle Aubret se lever des premiers rangs pour applaudir debout Astrid ne sachant plus contenir son émoi après deux heures de lutte intérieure avec les démons du ressentiment.
En effet lui, Jacob Brackisch, professeur à la retraite de musicologie et de littérature anglaise, l’a engagée, elle, Kathleen Hogan, pour effectuer des tâches ménagères et d’aide à personne handicapée pour lesquelles elle n’a guère de compétences. C’est dans leur insatisfaction respective au sujet de la reconnaissance sociale que ces deux-là vont tenter de communiquer leur frustration personnelle en tentant de "faire payer" au partenaire la souffrance qui les ronge. L’enjeu va s’avérer fondamentalement culturel mais ses modalités se substitueraient volontiers aux simples règles du savoir-vivre et surtout aux élans sincères de l’empathie.
Succédant au triomphe de Moins 2 qui accompagna le duo Trintignant/Dumas lors de la saison précédente au Théâtre Hébertot, le thème de la fin de vie risque de s’y perpétuer avec coeur en un somptueux décor de Stéphanie Jarre où la moindre des performances ne sera pas tant de souhaiter différer l’échéance fatale que de réussir à gagner la paix avec soi-même, et si possible, la grâce avec autrui.
Opus Coeur - *** Theothea.com - de Israël Horowitz - adaptation : Attica Guedj & Stéphan Meldegg - avec Pierre Vaneck & Astrid Veillon - mise en scène : Stephan Meldegg - Théâtre Hébertot