lundi 5 janvier 2009 - par Djamal Benmerad

Propos sur les poètes et la poésie algériens d’expression française

Mahieddine Nabet, poète d’origine algérienne, aujourd’hui apatride, écrivait dans le milieu des années 1990 que « La poésie est simple parole d’Homme/ qui ne craint pas de reprendre/ avec talent telle parole d’un autre Homme qui s’appuie sur un autre Homme/ qu’elle fait complice/ chemin faisant/ de l’enfer à la folie » (1). Faisons nôtre ce credo pour introduire notre propos sur la poésie algérienne et répétons-le partout pour que partout cela se sache. Le poète algérien est le scribe de son peuple et de son époque.

La poésie algérienne est gorgée de soleil, mais elle charrie aussi les galets léchés par la Méditerranée. Elle fascine - ou séduit -, croyons-nous, par sa violence. Nous allons citer, pêle-mêle, quelques auteurs qui ont marqué la mémoire collective.

Belkheir, barde de la révolte et compagnon d’El Mokrani, chef de l’insurrection anti-coloniale de 1871, a fini déporté en Nouvelle Calédonie et y est mort. Si Mohand U M’Hand, le Villon algérien, devint paria, exclu de sa communauté. Kateb Yacine fut emprisonné par les autorités coloniales lors des manifestations 8 mai 1945 alors qu’il distribuait des poèmes manuscrits et enflammés. Il avait à peine 16 ans. Nombre de poètes algériens contemporains sont nés dans la violence de la guerre d’indépendance La guerre finie, ils connurent, à différentes étapes de leur vie, quelques années, pour certains quelques mois, de répit… Mais le répit est une parenthèse, et comme une parenthèse doit être refermée, ils ont replongé dans la violence, pour certains, vivent les affres de l’exil, pour d’autres, dommage « collatéral » de l’intolérance islamiste et de l’inquisition des différents régimes qui se sont succédés jusqu’à présent à la tête de l’Etat. C’est ainsi : qui ne périt d’une balle meurt d’exil. C’est pour cela, et selon les lois de la relativités, que nous trouvons futiles, voire ridicules, les parpaings rédigés sous le label « poésie » par certains poètes occidentaux qui s’extasient sur la beauté de la nature, le chant d’un rossignol, un coucher de soleil et autres « évènements » de même ordre à l’aide de « poèmes » à l’eau de rose. Cette poésie nous semble atteinte de ménopause avant d’avoir atteint la puberté. Donnons donc une procuration rétroactive à Messaour Boulanouar - poète emprisonné par l’armée coloniale – pour clamer le pourquoi de cette poésie : « J’écris pour l’homme en peine l’homme aveugle/ l’homme fermé par la tristesse/ l’homme fermé à la splendeur du jour/ J’écris pour éveiller l’azur/ au fond des yeux malades/ au fond des vieux étangs de honte ». Ceci est le prélude au seul poème qu’ait écrit Messaour Boulanouar en prison, un poème…de 150 pages, intitulé « La meilleure force » (2) . Ahmed Benkamla vient à sa rescousse dans « Contre Corps » (3) : « Nous/ citoyens du poème/ voulons édifier notre cité/ sur le socle/ du bruit et de la colère ». Mais parce que la muse est aussi témoignage, Bachir Hadj Ali nous enseigne, en pédagogue de la poésie, qu’ « Echotier du monde/ obscurité poétique/ l’œuvre est tenue/ d’être l’art/ entre les sons et les sens/ la forme et l’étoffe/ de la poésie » (4). Signalons au passage que le recueil comprenant ce poème a été balisé par des séances de torture au centre de la Sécurité militaire algérienne.

La poésie n’est pas seulement une machine à anticiper, c’est aussi une machine à tatouer. Ecoutons l’amour effréné de la patrie, alors occupée, chez Malek Haddad qui crie dans un livre paru sous l’occupation coloniale : « Chez nous le mot Patrie a un goût de colère/ Ma main a caressé le cœur des oliviers/ Le manche de la hache est épopée/ Et j’ai vu mon grand-père du nom d’El Mokrani/ Poser son chapelet pour voir passer des aigles/ Chez nous le mot Patrie a un goût de légende » (5).

Oui, il s’agit de ce mot qui fait ringard en ces temps de « mondialisation », patrie, qui anime le souffle de Mohamed Haddadi qui écrit dans un recueil encore inédit : « Patrie où coule la soif/ l’amour a fait naufrage/ au large de tes eaux/ Ta nuit brise l’aurore/ et sur tes bords germe le cri/ fermente le remord d’avoir vécu/ contre un poteau de haine dressé comme un étau/ Il suffit de faire un pas/ pour fouler un tombeau/ tel un carré de lys flétri par le troupeau ».

Dans les années 1940, El Mouhouv Amrouche écrivait, à qui voulait le lire, à propos de cette même patrie, usurpée, que « Nous voulons la patrie de nos pères/ la langue de nos mères/ la mélodie de nos songes et de nos chants/ sur notre berceau et notre tombe/ Nous ne voulons plus/ errer en exil/ dans le présent/ sans mémoire et sans avenir » (6).

A un siècle de distance, Salima Aït Mohamed lui fait écho : « Les rossignols s’exilent/ vers des cieux embrasés/ pour chanter l’heure damnée/ et le souvenir déchiré/ des vers d’émeraude/ des œillets de chagrin/ C’est aujourd’hui Alger/ la blessure du monde » (7).

Aux côtés de la « patrie » surgit une autre thématique, une autre blessure, celle de l’exil. Hassan Chebli a connu les affres des prisons coloniales. L’indépendance retrouvée, l’Algérie n’avait pas besoin, semble-t-il, de s’encombrer de poètes. Avant de s’exiler, il a eu « le loisir » de publier, dans « Espoir et paroles » : « Ô mes frères qui n’êtes plus là/ à m’attendre/ au sortir de ma prison/ tout un peuple est là pour comprendre/ de quel horizon/ Novembre portait la genèse » (8).

On ne peut parler de poésie sans s’incliner devant Anna Greki, de son vrai nom Anna Colette Grégoire, cette jeune femme qui a choisi le chemin de la Résistance aux côtés de ses frères de cœur algériens. Militante du Parti communiste algérien, elle est arrêtée en 1957, internée à la prison Barberousse d’Alger, transférée en novembre 1958 au camp de Beni Messous puis expulsée d’Algérie avant d’y revenir à l’indépendance. Son engagement révolutionnaire transparaît dans cette tendre violence qui traverse son recueil publié à sa sortie de prison : « Je ne sais plus qu’aimer la rage au cœur/ C’est ma manière/ d’avoir du cœur à revendre/ Dressés comme un roseau dans ma langue/ les cris de mes amis/ coupent la quiétude meurtrie/ Pour tous/ dans ma langue/ et dans tous les replis/ de la nuit luisante/ je ne sais plus qu’aimer/ au cœur qu’avec cette plaie/ Dans ma mémoire rassemblée comme un filet/ grenade désamorcée/ je pense aux amis assassinés/ sans qu’ont les ait aimés/ eux qu’on a jugés/ avant de les entendre/ je pense aux amis/ qui furent assassinés » (9).

Avant d’être assassiné en 1993, Laâdi Flici a exprimé, de manière très dépouillée, cette identification son peuple : « N’oublie pas/ que je suis/ un des tiens/ et aujourd’hui loin de toi/ je revois mon visage sale/ mes vêtements déchirés/ mes pieds nus/ mes amis qu’on appelait yaouled/ les cireurs et les voyous/ ma jeunesse à l’école/ où je n’allais/ qu’au début de l’année » (10).

L’Algérie indépendante tortura Bachir Hadj Ali pour son engagement progressiste, sans égard pour sa participation à la Résistance anticoloniale. Il nous laisse ce témoignage pudique de la douleur :

« Une ligne descendante/ caresse un feu patient/ le silence sous la torture/ est une jubilation/ Mais par où s’évader ? » (11). Plus près de nous, Tahar Djaout écrivait en 1993 dans ce poème prémonitoire que « Le printemps est le temps des décompte/ et des cadavres qui questionnent/ La mort s’assied/ avec son broc et son visage familier/ Elle aussi aime le feu/ et la tristesse des vents chanteurs » (12) …Et il sera assassiné au printemps de la même année. Quelques mois plus tard, ce fut le tour de Youcef Sebti, lui qui écrivait que « L’enfer demeure/ et les insurgés/ ont pour destinée la folie » (13). Lui, l’insurgé, n’a pas eu le temps de connaître la folie : il fut égorgé la fin de l’année 1993.

Notes :

1- La grande humanité, Mahieddine Nabet - Editions parallèle, 1981

2- La meilleure force, Messaour Belanouar - Editions du Scorpion, 1963

3- Je t’imagine Antigone, Ahmed Benkamla - Editions Enal, 1983

4- Soleils sonores, Bachir Hadj Ali - Auto-édition

5- Le Malheur en Danger, Malek Haddad – Edition La Nef de Paris, 1956

6- Espoir et paroles, Anthologie poétique de Denis Barrat – Seghers, 1963

7- Ecrits d’Algérie, Collectif - Editions Autres temps, 1996

8- Espoir et paroles, Anthologie poétique de Denis Barrat - Seghers, 1963

9- Algérie, Capitale Alger, Anna Greki, préface de Mostefa Lacheraf - Editions P. J. Oswald, 1963

10- La démesure et le royaume, Laâdi Flici – Editions Sned, 1981

11- Soleils sonores, Bachir Hadj Ali - Auto-édition

12- Pérennes, Tahar Djaout - Editions Le Temps des cerises

13- L’enfer et la folie, Youcef Sebti – Edition Bouchène



1 réactions


  • gaiaol 6 janvier 2009 00:23

    un état n’est pas un sujet littéraire, disait mahmoud darwich, le poète palestinien.
    sauf s’il n’existe plus, s’il est colonisé ou quand le poète subit l’exil...
    lorsque les rêves se réalisent, le poète n’a plus de raison d’être car le nationalisme n’a pas à être magnifié.les rêves algériens ne se sont jamais épanouis et c’est pourquoi les textes que vous nous proposez sont magnifiques.

    quelques lignes/pensées pour les palestiniens aujourd’hui

    "des millions de mutismes
    froids de ne vouloir
    sauver le juste de l’injuste
    le vivant de l’innommable
    absolvent les bourreaux"

    haddad ?

    et celui d’assia djebbar sur l’algérie "heureuse"

    Neiges dans le Djurdjura
    Pièges d’alouette à Tikjda
    Des olivettes aux Ouadhias

    On me fouette à Azazga
    Un chevreau court sur la Hodna
    Des chevaux fuient de Mechria
    Un chameau rêve à Ghardaia

    Et mes sanglots à Djémila
    Le grillon chante à Mansourah
    Un faucon vole sur Mascara
    Tisons ardents à Bou-Hanifia

    etc etc



Réagir