« Puzzle » de Woody Allen au théâtre du Palais-Royal

Sacré défi que d’assembler en flash-back les pièces d’un puzzle grandeur nature, avec autant de membres d’un pseudo choeur antique que de points de vue sur la vie, l’amour et le devoir qui incombent aux uns et aux autres selon la chronologie de la fortune ou ses revers.
De New York à La Californie, c’est un monde en bascule que dissèque Woody Allen en auscultant le poids inhibiteur du versant Atlantique face à l’imaginaire créatif du pôle Pacifique.
Avec quelques aphorismes biens pesés en guise de viatique pour des éthiques personnelles en conflit d’intérêts, l’auteur se tourmente à peindre l’envol contrarié d’une progéniture ne trouvant pas son compte de passions dans les pas tracés à l’avance par ses géniteurs :
Ainsi "Vivre, c’est souffrir", "On ne choisit pas qui on aime", "La vie est une suite de chemins qu’on n’a pas pris", "Chacun étant le propre architecte du piège dont il se rend prisonnier, chacun est bien le seul à savoir comment en sortir", autant de sentences définitives que les uns opposent aux autres afin de justifier l’attitude qu’il faudrait accréditer pour parvenir à fédérer des ambitions contradictoires au lieu de faire imploser le schème familial mis à mal.
Sur la scène du Palais-Royal, tel un diapason incarné Sébastien Azzopardi donne le ton à un enchevêtrement psycho-socio-affectif sur lequel vont rebondir chacun de ses partenaires.
L’argent étant ici plus que jamais le nerf de la guerre, les liens familiaux se distendent et se compriment à tour de rôles, alors qu’Alma, la frangine (Anne Loiret), accumule en toute lucidité les expériences sans lendemain, que le père (Michel Aumont) se fait arnaquer par son comptable au point de faire faillite, que la mère est remplie de bonnes intentions se révélant néfastes, que l’oncle (Gérard Lartigau) nouveau riche rechigne à assumer ses racines, que Diane (Julie de Bona) sa maîtresse valse sur un volcan où la pulsion amoureuse se contredit avec l’idéologie capitaliste, il reste Eddie, le fils (Sébastien Azzopardi), pour faire front, mais qui n’entend pas rester pieds et poings liés à une destinée tracée qu’il abhorre par avance.
Sur toile de fond d’une légende holywoodienne que la mystification du 7e Art colporte jusqu’à nos jours, les noms illustres du cinéma des années 50 s’affichent en écran psychanalytique des pulsions de vie et de mort que chaque élément de la famile oedipienne s’emploie à distiller plus ou moins à son insu.
La renommée internationale cautionne au centuple l’hyper réussite sociale devenue projet individuel d’autant plus en point de mire que rendue inaccessible au commun des mortels.
Le show-biz labélisé comme idéal universel rattrape ainsi par la manche chacun des protagonistes qui tenterait de se situer en deçà ou au-delà des normes établies pour la subsistance du sentiment généalogique.
Dans un décor où la machinerie s’apparenterait à la grande roue du destin, les cintres semblent effectuer une danse de Saint-Guy pendant que le plateau de scène tourne sur lui-même à l’infini tel un disque de vinyle enrayé.
La mise en scène tient le public en haleine, alors qu’Alma s’implique en observatrice depuis un "nulle part" d’où elle intervient en narratrice patentée du naufrage tribal annoncé.
Grave, mais teinté d’un humour sans cesse sous-jacent, le diagnostic schizophrénique de Woody Allen trouve une résonance juste dans cette adaptation francophone face à un public plus fasciné que rieur, enclin à l’épanouissement paritaire de l’inné et de l’acquis.
Visuel : extrait affiche
PUZZLE - *** Theothea.com - de Woody Allen - mise en scène : Sébastien Azzopardi - avec Michel Aumont, Geneviève Fontanel, Sébastien Azzopardi...- Théâtre du Palais-Royal -