mercredi 3 février 2010 - par Michel Frontère

Quand Gainsbourg était accro au jazz

Serge Gainsbourg (1926-1991)

Serge Gainsbourg, il reste pour tous les compositeurs, tous les musiciens, la référence, et on sait qu’il continue d’influencer la nouvelle génération (Benjamin Biolay) y compris en Grande-Bretagne. Un film sorti récemment retrace son parcours qui l’a élevé au rang d’icône.

Flash-back. En 1963 il publia un album, trente-trois tours disait-on à l’époque, au titre prémonitoire : Gainsbourg confidentiel, puisqu’il sera un échec commercial, un bide, ce qui l’incitera à abandonner progressivement la rive gauche et le jazz. On devine sa déception ! Les puristes crieront à la trahison, lui, lucide, déclarera : « J’ai retourné ma veste le jour où je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison. »

Parmi les titres de ce disque devenu culte : “Chez les yé-yé” chez qui il ne va pas tarder à passer avec armes et bagages et par personne interposée (France Gall, Françoise Hardy), “Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte“, “La saison des pluies“, “Elaeudanla Téïtéïa” (lire Lætitia) ou ce superbe gospel “No no thank’s no“. Sur ce disque il est accompagné par deux pointures du jazz : Elek Bacsik (guitare) et Michel Gaudry (contrebasse), à l’époque relativement peu connus sauf dans ce milieu ; ils ont surtout fait les beaux jours du Mars Club près des Champs-Élysées.

Tous les trois se sont aussi produits en octobre 1963 au Théâtre des Capucins à Paris ; à voir la video qui circule sur le “Net” ça devait être sacrément enfumé, une autre époque ! On les imagine livrant ensemble dans une sorte de bœuf un échantillon de ce qu’ils pouvaient faire, par exemple, attaquant “All the things you are“, composition signée Jérôme Kern - Oscar Hammerstein (1939) qui a été chantée par Ella Fitzgerald. Ceux qui ont eu le bonheur de les voir jouer sont des happy few¹ : ils ont l’air de tellement bien s’entendre sur cette video et Serge rayonne intérieurement, très classe : boutons de manchettes, finesse presque aristocratique de ses mains. Dire que certains ont pu associer son nom à la vulgarité…

Du guitariste, d’origine hongroise, Elek Bacsik, décédé aux États-Unis au début des années quatre-vingt-dix, il faut écouter toutes affaires cessantes deux magnifiques disques : Nuages, clin d’œil à Django dont on commémore cette année le centenaire de la naissance, et Guitar conceptions enregistrés respectivement en 1962 et 1963 mais qui sont ressortis sous forme de compact disque (C.D.) en 2000 et 2002. De lui, Alain Bashung a pu dire :

« Quand je suis arrivé à Paris (au début des années soixante), les premiers artistes que j’ai rencontrés, c’étaient des peintres à Montmartre. Ils n’écoutaient que du Miles Davis, du John Coltrane et l’album Confidentiel. Il y avait ce guitariste exceptionnel, Bacsik  : quand je l’écoute, j’ai l’impression d’entendre J.J. Cale à cause de cette façon de faire un minimum de notes, mais juste au bon moment ! »²

Quant à Gainsbourg s’il eut une addiction à l’alcool vous n’ignorez plus qu’il fut également accro au jazz, juste avant la vague yé-yé ; elle balaiera tout. Entre-temps le beau Serge avait fait une embardée. Du jazz dans le ravin.³

Notes

¹ cette élite, par essence restreinte, de laquelle Stendhal voulait être lu
² témoignage publié dans le Gainsbourg de Gilles Verlant, éditions Albin Michel, 1985
³ titre d’un morceau de son premier album en 1958



17 réactions


  • stephanemot stephanemot 3 février 2010 13:50

    j’aimais bien sa periode « black trombone ».

    beaucoup moins sa phase de transition ye-ye. il passe vite a autre chose, d’ailleurs.

    il traverse le siecle avec une obsession de la modernite.

    pour moi, Gainsbourg c’est un peu comme Picasso : tres facile et prolixe, goute a toutes les musiques avec insolence, sans se poser vraiment (y compris avec les femmes d’ailleurs, qui les inspirent mais qu’ils ne respectent guere), tout en delivrant de temps en temps une oeuvre clef (demoiselles d’avignon, Guernica, melody nelson, l’homme a tete de chou)


  • steve steve 3 février 2010 14:12

    Il a eu raison ... quand on a un talent créatif pareil ( ya pas d’école pour ça ), il ne faut pas se cantonner à un genre donné, il faut y aller partout où on sent que ça peut le faire.


  • Michel Frontère Michel Frontère 3 février 2010 21:19

    Après l’échec commercial de Gainsbourg percussions sa déception a été immense, et là il s’est dit qu’il devait s’adapter à la mode, étant assez sûr de lui pour savoir qu’il ne s’y noyerait pas, alors comme un grand couturier il a fait du sur-mesure à la demande.

    @Stephanemot : assez d’accord avec vous.


  • steve steve 3 février 2010 21:28

    Encore fallait-il être grand couturier ... et il l’était.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 4 février 2010 10:03

    Super ce clip ,

    Fait penser à Errol Garner en moins décalé et notes plus affirmées .

    Bacsik excellent , l’ entame et la fin à la contrebasse super .

    Un très bon moment , merci auteur .


  • Lorenzo extremeño 4 février 2010 11:55

    @l’auteur

    Ah !mais quel excellent article ! ! !
    Une véritable joie de vous lire,non seulement pour ce coup de projecteur
    sur ces années Jazz du grand Gainsbourg,mais plus encore pour souligner
    si bien l’exceptionnel talent d’Elek Bacsic á écouter et réecouter sans
    jamais se lasser.
    Ces deux uniques Cd d’une carriére météorique,dont j’aurais aimé
    qu’elle fut longue d’autres pépites.
    Je ne peux que surenchérir en enjoignant tous les lecteurs de votre
    article á se les procurer.
    J’ajouterai seulement á cet article d’anthologie, que l’on retrouve Bacsic
    accompagnant Jeanne Moreau sur certaines de ses chansons.
    Toute info supplémentaire éventuelle sur le génial guitariste
    sera la bienvenue.
    Merci du lien mis en ligne
    une bio aussi sur about-django.com.

    Mes plus vifs remerciements.


  • Michel Frontère Michel Frontère 4 février 2010 15:37

    @ steve, rocla et Lorenzo extremeño : merci de vos appréciations, j’avoue que cela m’encourage pour la suite car, évidemment, on n’écrit pas pour soi mais pour être lu et apprécié, sinon quel intérêt ?

    Sur Bacsik je déplore le peu d’informations que l’on a, à moins qu’un livre consacré au jazz soit plus explicite que ce que l’on peut trouver sur le Net ...


  • Lorenzo extremeño 4 février 2010 15:52

    @ Michel Frontére

    je ne sais pour quelle raison votre article a disparu de l’édition du jour entre
    ce matin et maintenant...
    Que se passe t’il sur Avox ?

    Je le garde dans mes favoris pour en faire profiter quelques uns de mes amis.
    Je vous encourage á continuer de publier ce type d’articles enrichissants.

    En vous remerciant encore,

    Cordialement.


  • Reinette Reinette 7 février 2010 15:10


    super article Gainsbourg j’adore smiley

    en vrac  smiley eups !

    - l’homme à la tête de chou
    Chez Max coiffeur pour hommes
    Où un jour j’entrais comme
    Par hasard me faire raser la couenne
    Et rafraîchir les douilles
    Je tombe sur cette chienne
    Shampouineuse
    Qui aussitôt m’aveugle par sa beauté païenne
    Et ses mains savonneuses
    Elle se penche et voilà ses doudounes
    Comme deux rahat-loukoums
    A la rose qui rebondissent sur ma nuque boum boum
    Je pense à la fille du Calife
    De la mille et deuxième nuit
    Et sens la pointe d’un canif
    Me percer le cœur je luis dis
    « Petite je te sors ce soir ok »
    Elle a d’abord un petit rire comme un hoquet
    Puis sous le sirocco du séchoir
    Dans mes cheveux
    La petite garce laisse choir
    « Je veux ».

     smiley
    - love on the beat
    désolé ange
    tellement désolé
     c’est moi t’es suicidée
    mon amour
    je n’en valais pas la peine
    tu sais
    sans moi tu as décidé
    un beau jour
    décidé que tu t’en allais
     smiley
    - rock around the bunker
    Sont-ce qu’insensés assassins ?
    Est-ce ainsi qu’assassins s’associent ?
    Il eût fallu en plus qu’en Prusse
    Ces processus se sussent !

    http://www.youtube.com/watch?v=ylgOY5YF1HE


  • Lorenzo extremeño 7 février 2010 16:05

    @ Reinette

    -dépression au dessus du jardin

    -Gloomy Sunday (chanson maudite voir wiki)

    -la javanaise version live, sublime !


  • Michel Frontère Michel Frontère 7 février 2010 17:00

    @ Lorenzo extremeño : merci pour votre intervention qui a permis à cet article de rebondir aujourd’hui alors que je le croyais disparu dans les limbes de l’Internet ...


    • Lorenzo extremeño 7 février 2010 19:52

      @ Michel Frontére

      Je n’ai pas l’impression d’y avoir été pour grand chose au vu des nouveaux
      commentaires, et c’est bien dommage.

      Pendant ce temps lá la foule en mal de sensations fortes se précipite
      sur le biopic au cinéma.No thank’s no ...pas d’erzatz ,

      Désolant...

      Je guetterai vos articles smiley


  • Reinette Reinette 7 février 2010 17:20


    Salut Lorenzo ....sombre dimanche smiley

    Gloomy Sunday
     smiley
    gloomy sunday (the original)
    http://www.youtube.com/watch?v=_Qaa4GDBr0k&feature=related

    repris par Damia : sombre dimanche

    à voir également vidéo année 50 ci-dessous Damia « les Naufragés » smiley smiley
    http://chanson.udenap.org/fiches_bio/damia/damia.htm


    • Reinette Reinette 7 février 2010 17:31


      j’ai oublié de saluer l’auteur, Michel Salut smiley

      bravo pour votre article


    • Lorenzo extremeño 7 février 2010 20:12


      Bonsoir Reinette,

      la version de Billie Holiday...boulversante..
      et son « Srange fruit » ...
      il y a d’ailleurs un passage terrible sur ce morceau dans
      « Une poire pour la soif » Polar de James Ross, (Folio Policier Nº 113)
      cherchez rien d’autre de lui, il n’a commis que cet unique chef d’oeuvre,
      préface de Philippe Garnier, traduit par ses soins...
      pur diamant Noir..,

      En écoute background « Real Life » de Magazine 1977 sur Music Me...
      « Parade »... une autre pépite.


    • Lorenzo extremeño 8 février 2010 11:16

      @ Léon

      Trés aimable de votre part,je prendrai le temps de lire cela avec intérêt.


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