« Quand j’étais chanteur » : une France à deux vitesses.
Un gros balourd, auréolé d’une gloire passée, bien connu dans son microcosme provincial, un presque vieux qui n’a pas vu le temps passer et se retrouve seul sans enfant, avec une ancienne femme agrippée à sa vie... Une jeune femme à la beauté et à la jeunesse internationales, à qui la vie peut encore tout offrir, une presque jeune fille qui a donné trop tôt la vie sans pouvoir assumer vraiment cet enfant-là... Et des gens qui gravitent autour d’eux dans cet univers un peu sage où se chante la nostalgie d’un temps révolu : celui de la jeunesse, des espoirs déçus, des larmes, des grands coups au coeur... émotions passées qu’on aime raviver pour donner du relief à la vie ordinaire.
C’est une France bien réelle et peu mise en scène qui apparaît ici : non pas celle des jeunes, des branchés, des vieux riches, des bobos, des bourges, des médias, des intellos, des entrepreneurs, non. C’est celle des petites gens, des anonymes, des vieux trop vieux pour qu’on les sorte des maisons de retraite, des célibataires qui n’ont plus l’âge de faire des enfants mais qui croient qu’avec des rides et des jambes moins fluettes l’amour est encore possible, des vieux couples qui ne savent plus danser qu’agrippés l’un à l’autre, des gens qui se demandent s’ils veulent vivre dans le neuf, dans le vieux, en appartement ou en pleine campagne, en ermite ou en pleine ville...
Cette jolie fille passe dans cette ville et cette vie comme une étoile filante : elle brille, elle s’attarde mais doit filer sur sa lancée. Lui, c’est un roc. Il est bloqué là, à Clermont-Ferrand, calme en apparence. Il a ses vieux rêves mais aussi ses habitudes : on vient lui rendre visite, il anime la région. Mais le volcan se ravive car la braise est sous-jacente, brûlante, éternelle. Alors, face à cette étoile filante, il apparaît sans fard et admet les cheveux teints, les habits de lumière d’un autre temps et d’un goût suranné. Il lit dans ses yeux qu’il est ringard, il assume, il comprend, il sait. Mais il a une tendresse à donner qui est unique ; elle aussi le sait.
J’ai aimé ce film parce qu’il faut raconter aussi la peur de vieillir, les petites vies, les bonheurs qui restent, les candeurs de gamins dans les coeurs de vieux, la routine, l’engluement du quotidien, les petites misères, l’émotion d’aujourd’hui et celles d’hier, la tristesse, la mort qui rôde si ça commence à déraper, la jeunesse qui rêve d’autres horizons, la France à deux vitesses, voire trois. Ici, showbiz, médias, multinationales, parisiens, passez votre chemin... On parlera de vous ailleurs...
Gérard Depardieu, ancien Don Juan, ancien Cyrano, ancien "Tout", joue à merveille ce gars démodé qui veut user de ses vieilles armes pour séduire les minettes alors qu’il ne le sait pas vraiment, son seul atout, c’est sa candeur éternelle. Cécile de France a une fraîcheur impertinente, une beauté lisse qui capte tout : la lumière, les ombres, les fards, les regards d’autrui. Son économie de mots rend sa pensée aiguisée, percutante. Un beau duo, donc, qui laisse (paraît-il) certains spectateurs mal à l’aise. Moi, aussitôt assise devant l’écran, j’ai plongé dans le film. J’en ai aimé l’authenticité.