vendredi 16 juin 2017 - par Frédéric Degroote

Quatre projets pour fêter Claudio Monteverdi

A l’occasion du 450e anniversaire de la naissance de Claudio Monteverdi (1567-1643), outre la pléthore de concerts, les nouveautés et les rééditions discographiques mettent à l’honneur le compositeur. Petit aperçu des sorties marquantes de cette première moitié d’année.


Du côté des rééditions, deux vastes entreprises salutaires à souhait méritent d’être signalées. Tout d’abord, le label Ricercar (Outhere Music) remet à disposition du public un de ses fleurons de la fin des années 90, à savoir l’entreprise « L’héritage de Monteverdi » où en sept CD’s Jean Tubéry et La Fenice se proposaient d’enregistrer une anthologie de la musique italienne du début du XVIIe siècle. Ce qui frappe vingt ans plus tard, c’est le nombre de pièces instrumentales et vocales qui, encore aujourd’hui, n’ont pas fait l’objet d’autres enregistrements en dépit d’une qualité pourtant indiscutable (cf. les pièces d’Alessandro Grandi, Ignazio Donati ou Camillo Lambardi). Et si l’on ne revient pas vers ce coffret pour ses pièces les plus connues (notamment les madrigaux de Monteverdi, tout au plus honorables) ou pour certains de ses solistes — chanterait-on encore tout cela maintenant avec aussi peu d’italianité que Maria Cristina Kiehr ? —, il n’en reste pas moins que Jean Tubéry sait y faire avec les forces en présence et que bon nombre de moments sont autant de petits miracles musicaux, témoignant ainsi de ce qui fut à l’époque un des plus beaux projets du genre.


The Heritage of Monteverdi
Coffret "Les Pléiades" 7 CD's

La Fenice
Jean Tubéry


2017 Ricercar/Outhere Music RIC 374


Ce disque peut être acheté ICI

 

Vient ensuite le label Accent qui réédite les enregistrements originellement publiés chez K617 de Gabriel Garrido consacrés à Monteverdi : douze CD’s qui regroupent les trois opéras, le Vespro ainsi que le Combattimento, eux aussi datant de la fin des années 90. A l’opposé d’un Tubéry, Garrido opte pour des voix latines, un continuo opulent et une texture instrumentale hédoniste, créant du sensuel dans le sonore. Avec un Victor Torres incandescent, l’Orfeo de Garrido, reste encore à ce jour la référence, à défaut de voir sur le marché d’autres visions aussi fortes sinon clivantes (on pense à celle de La Venexiana, elle aussi rééditée par Glossa cette année). L’esthétique de Garrido constitue un jalon important dans l’interprétation monteverdienne. Cependant, à toute vision ses revers : Ulisse ne convient peut-être pas à une surenchère instrumentale et le Vespro souffre d’un manque de vision et de rodage. Cela n’enlève rien cependant à la qualité intrinsèque de ces productions, à mettre dans toutes les mains des mélomanes.


Monteverdi


L'Orfeo - Il ritorno d'Ulisse in patria - L'incoronazione di Poppea - Vespro della Beata Vergine
Coffret 12 CD's

Gabriel Garrido
Ensemble Elyma


2017 Accent ACC 24328


Ce disque peut être acheté ICI

 



Côté cru 2017, Ricercar se distingue encore une fois avec le nouveau disque de Clematis consacré à Claudio Monteverdi et Salomone Rossi (1570-1630), violoniste à Mantoue. La musique instrumentale est ici mise à l’honneur et Salomone Rossi se montre proche de l’écriture à cinq parties des pièces de Monteverdi. Et bien que les sinfonie et autres gagliarde sont remarquablement exécutées par Clematis, ce sont les quelques œuvres vocales qui retiennent encore plus l’attention. Le ténor Zachary Wilder fait merveille dans Tempro la cetra du septième livre de madrigaux de Monteverdi ainsi que dans le madrigal à une voix de Rossi Tirsi mio, caro Tirsi, montrant une fois n’est pas coutume l’étendue de ses qualités. Les balli e sinfonie d’Orfeo, où l’ensemble instrumental et le ténor se rejoignent une dernière fois, clôturent un programme en tout point réjouissant.


Claudio Monteverdi - Salomone Rossi
Balli & Sonate

Clematis
Avec la participation de Zachary Wilder, ténor


2017 Ricercar/Outhere Music RIC 377


Ce disque peut être acheté ICI
 

 

 


Il reste enfin à présenter le projet le plus stimulant de cette première moitié d’année. La discographie du Vespro ne manque pas de belles versions (Savall, Alessandrini, Alarcon notamment) et le pari de La Compagnia Del Madrigale (accompagnée de Cantica Symphonia et La Pifarescha) pouvait être risqué, surtout après un précédent disque Monteverdi honorable mais pas inoubliable. Car on est davantage convaincu par La Compagnia quand elle s’attaque aux madrigalistes tels que Marenzio ou Gesualdo. 

Alors, une version de trop ? Absolument pas. Il y demeure un souffle, indéniable, presque un contrepied à l’esthétique « opératique » que l’on accole souvent à ces vêpres. Le parti-pris de Giuseppe Maletto de redonner du legato, de regarder plutôt du côté de la polyphonie que de l’opéra participe à une vision nouvelle de l’œuvre, teintée d’une spiritualité exacerbée, presque oubliée. En conséquence, le tactus est lent, les chiavette [clefs aigües qui demandent à transposer d’une tierce ou d’une quarte la pièce], quand elles sont demandées et surtout comme ici exécutées, ramènent les tessitures à des proportions naturelles et les solistes sont dépositaires d’un chant coloré mais pas anachroniques. Comme une bonne nouvelle ne vient pas seule, Maletto a enregistré les deux Magnificat alors que l’on ne propose souvent que le premier à sept voix ; l’occasion de corriger certaines erreurs tenaces comme par exemple le non-emploi de la dissonance sur « et exaltavit » entre les deux cantus dans le Deposuit du deuxième Magnificat (fa# contre sol), et rétablie ici comme il se doit.

On peut reprocher à cet enregistrement de ne pas aller totalement au bout de ses objectifs car l’ensemble ne se donne pas les moyens de rester au même niveau du début à la fin mais il baigne une atmosphère littéralement céleste dans la majeure partie des deux heures (!) de musique, du Duo Seraphim à l’hymne Ave Maris Stella en passant par le Laudate Pueri. Mentionnons aussi les instrumentistes qui dans un tel écrin subliment les lignes mélodiques par des diminutions de toute beauté. D’aucuns trouveront tout ceci certainement radical — trop radical — mais cette version a le mérite de faire réfléchir et de proposer une vision aboutie dans une interprétation perfectible.


Claudio Monteverdi
Vespro della Beata Vergine

La Compagnia del Madrigale
Cantica Symphonia
La Pifarescha
Giuseppe Maletto, direction


2017 Glossa GCD 922807


Ce disque peut être acheté ICI




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