jeudi 17 mars 2011 - par Vincent Delaury

Retour sur « La Princesse de Montpensier » en DVD

Profitons de la sortie récente en DVD (8 mars 2011) de La Princesse de Montpensier (2010) pour revenir sur le film de Bertrand Tavernier sorti en novembre dernier. Ces derniers temps, Madame de La Fayette (1634-1693) inspire le cinéma, on peut citer par exemple, adaptés de son roman le plus célèbre La Princesse de Clèves (1678), les films suivants : La Lettre (1999) de Oliveira, La Fidélité (2000) de Zulawski et, plus récemment, La Belle personne* (2008) d’Honoré. Ces films-là choisissaient de transposer ce roman historique narrant le parcours d’une jeune femme partagée entre la passion et la raison dans un contexte contemporain. Tavernier, lui, s’est intéressé à une nouvelle un peu moins connue de l’écrivaine, La Princesse de Montpensier (1662), se passant un siècle plus tôt, en 1567, dans une France déchirée par les guerres de religions, entre catholiques et huguenots ; de plus, le cinéaste de 69 ans choisit de garder le contexte historique - le 16e siècle - pour nous raconter l’histoire de Marie de Mézières, une riche héritière éprise du duc de Guise, dit « le Balafré ». Mais c’est sans compter sur ses parents qui, par intérêt, préfèrent lui faire épouser le prince de Montpensier. Mariée de force à celui-ci, la princesse de Montpensier, d’une beauté émouvante, attire les hommes à elle : son grand amour le duc de Guise lui tourne toujours autour, ainsi que le duc d’Anjou et un certain Chabannes, son noble protecteur, sans oublier son mari lui-même. Toute cette petite ronde, en même temps qu’elle circule dans les soubresauts de l’Histoire, nous parle d’un temps où l’amour, afin d’obéir aux lois de la société et notamment des milieux précieux, devait se cabrer devant la raison.

A la sortie du film, je me souviens qu’on parlait beaucoup des accents féministes d’un film comme Potiche, comme si c’était une exception à la règle dans le cinéma contemporain, alors que le Tavernier, en allant d’ailleurs idéologiquement plus loin que le texte de La Fayette qui cherchait avant tout à moraliser les jeunes femmes en les mettant en garde contre les dangers de la passion, prenait ouvertement une position féministe : la princesse de Montpensier n’est pas libre de se consacrer à son grand amour parce que les hommes et une société paternaliste l’ont voulu ainsi. Cela ressort très nettement dans le film via les propos de ses parents qui lui demandent de se soumettre : « C’est une affaire entendue, (…) vous épouserez le Prince de Montpensier ! (…) Vous céderez ! Ou bien vous finirez vos jours au cloître.  » (Mézières) ; « Epousez Montpensier. C’est une brute comme une autre, qui n’a encore aucune réputation, ni bonne, ni mauvaise. Ah ma fille ! L’amour est la chose la plus incommode du monde. Et je remercie le ciel tous les jours qu’il nous ait épargné cet embarras à votre père et à moi. Soumettez-vous.  » (Mère). 

Tout d’abord, et ce n’est pas rien dans l’appréciation d’un film historique, saluons la beauté des acteurs, des costumes, des étoffes, des chevaux, des décors et des paysages naturels. Précisons par ailleurs que La Princesse de Montpensier, malgré son retour bredouille du Festival de Cannes 2010 et un assez grand nombre de mauvaises critiques, s’est taillé un beau petit succès en salles : début décembre 2010, il totalisait plus de 700 000 spectateurs - pas mal pour un film qui n’a pas été ménagé par la critique (Chronicart, Inrocks, Libé, etc.). Exemple : « La Princesse de Montpensier ressemble à une représentation théâtrale qu’interpréterait une mauvaise troupe de saltimbanques sur les tréteaux d’une place publique au 17e siècle. » (Nicolas Azalbert, Cahiers du cinéma). Pour ma part, je trouve cette critique plutôt injuste, voire gratuite : on a la désagréable impression que se joue ici, sur le dos de Tavernier, la guéguerre institutionnelle habituelle et ronronnante entre des esprits de chapelle cinéphiliques qui divergent – j’entends par là que comme Tavernier est un cinéaste plutôt estampillé Positif (il a toujours été fidèle à cette revue historiquement concurrente des Cahiers), je ne peux m’empêcher de soupçonner ces derniers d’être dans l’incapacité chronique de saluer dans leurs pages un film signé Bertrand Tavernier ; dommage.

En outre, on peut reprocher bien des choses à Tavernier, dont un didactisme qui peut parfois virer à un encyclopédisme quelque peu asphyxiant, mais on ne peut nier le fait qu’il soit un bon directeur d’acteurs et qu’il sache s’entourer en général de bons comédiens (cf. l’énergique Philippe Torreton en Capitaine Conan, 1996, ou le charismatique Tommy Lee Jones dans le remarquable Dans la brume électrique, 2009). Dans La Princesse de Montpensier, Mélanie Thierry, à laquelle je ne croyais pas beaucoup au départ (je craignais moult minauderies caricaturales), campe une princesse de Montpensier attachante, à la fois forte et fragile, pétillante d’espièglerie et désarmante de par son innocente fraîcheur. On y croit à ses charmes certains sur la gent masculine. Les fougueux Gaspard Ulliel et Raphaël Personnaz tiennent bien leurs personnages de ducs, respectivement de Guise et d’Anjou, quelque peu rock’n’roll. Et surtout, Lambert Wilson, interprétant le comte de Chabannes, est excellent. Spirituel, poète, guerrier, loyal, amoureux : il a certes un rôle en or mais c’est peu dire qu’il répond haut la main à son cahier des charges d’homme travaillé par les errements de son temps. Chabannes, Tavernier et ses scénaristes (J. Cosmos, F.O. Rousseau) ont choisi, par rapport à la nouvelle de La Fayette, d’étoffer son rôle afin de le rendre plus complexe et plus maître de son destin. Je crois qu’ils ont eu raison. Portant en lui les différentes facettes du récit (amour contrarié ; ancien combattant ayant pris la guerre en horreur à la suite d’une bévue – il a tué une femme enceinte), Chabannes devient le pivot de l’histoire : c’est à lui qu’on a sans cesse envie de se référer lorsque l’intrigue avance pour connaître son point de vue de sage. Et, pour être franc, il n’est pas loin de « voler le show » à la princesse de Montpensier ; c’est dire la qualité de sa prestation. Par contre, l’un des acteurs de ce film historique tire moins bien son épingle du jeu (on a l’impression qu’il récite, surtout au début du film), c’est Grégoire Leprince-Ringuet, alias le prince de Montpensier. Son phrasé (trop actuel ?) ne facilite pas l’entrée dans le 17e siècle du film. Cette impression d’anachronisme vient-elle du fait qu’il avait déjà joué précédemment dans une adaptation au goût du jour d’un livre de La Fayette (il interprétait le lycéen Otto dans La Belle personne d’après La Princesse de Clèves) et qu’il a donc eu du mal à se débarrasser de son personnage précédent ? Peut-être. Mais, à dire vrai, et pour ne pas trop l’enfoncer, il faut dire que dans ces deux films il n’a pas le plus beau rôle : il joue à chaque fois le mari jaloux dont la femme n’est pas amoureuse. Du coup, assez falot, ballotté par les intrigues qui se tissent bien malgré lui, il apparaît forcément en demi-teinte puisque ses personnages sont de toute façon en sous-régime.

Ainsi, La Princesse de Montpensier est loin d’être exempt de défauts : Grégoire Leprince-Ringuet manque de conviction dans son jeu ; le film met du temps à démarrer et s’embourbe dans une scène d’introduction manquant singulièrement de rythme, cf. lorsque Chabannes se bat au début dans une grange à coups d’épée ; et le film aurait pu se montrer par moments bien plus poétique – par exemple, dans la scène nocturne sur la terrasse où Chabannes disserte sur la mécanique céleste devant une Montpensier attentive, on s’étonne que, pour suggérer d’une manière impressionniste le cheminement des astres, la caméra de Tavernier reste plantée là sans profiter d’une mise en orbite de celle-ci qui lui permettrait d’allier ces deux silhouettes humaines au sublime de la nature afin de nous les montrer en quête d’osmose avec le cosmos. Mais, je vous l’accorde, on n’est pas ici chez le chaman Malick, on reste chez le terrien Tavernier.

Pour autant, malgré ces quelques bémols, La Princesse de Montpensier (du 4 sur 5 pour moi) parvient assez souvent à nous plonger dans cette France du 17e siècle, grâce notamment à une belle composition de Philippe Sarde avec des instruments d’époque (cornet à bouquin, flûte à bec, viole de gambe…) et à une mise en scène ample captant des corps qui s’épient, se défient et s’attirent sur les champs de batailles guerrière ou psychologique. Les combats dans les terres boueuses n’ont rien de toc, Tavernier se passe des effets numériques qui lissent l’image et lui ôtent toute authenticité - tant mieux. En parallèle de la fougue des personnages, une énergie traverse le film, via une chorégraphie des corps amoureux se tournant autour, afin de nous faire ressentir les passions humaines d’hier et d’aujourd’hui. Ces jeunes hommes-là, prédateurs en puissance, rêvent d’exploits, de titres et de biens à profusion (chevaux, châteaux, femmes…) mais en oublient l’essentiel : mettre l’être avant l’avoir et se construire une… belle personne par l’apprentissage des arts, de la poésie et de la philosophie. On retrouve alors là l’une des constantes du cinéma de Tavernier : rappeler, que ce soit dans un film historique (Que la fête commence, La vie et rien d’autre…) ou dans un film contemporain (Un dimanche à la campagne, L’Appât…), l’importance de la transmission des savoirs et des valeurs pour vivre une existence pleine de sens ; et sans aucun doute c’est la figure de Chabannes, précepteur courageux, qui incarne cette grandeur d’âme. Certes, La Princesse de Montpensier n’atteint jamais la maestria visuelle d’un film historique comme Barry Lyndon (1975), il ne parvient pas non plus à être aussi fiévreux que l’opératique et ténébreux La Reine Margot (1994) de Chéreau - qui se déroulait à la même époque, en 1572, en pleine guerre de religions entre catholiques et protestants -, mais il n’en reste pas moins un film attachant, émouvant et humaniste. A voir donc, ou à revoir.   

* Pour relire une critique de ce film : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-belle-personne-un-bien-beau-44535 


La Princesse de Montpensier, de Bertrand Tavernier (bande annonce HD) par AgoraVoxFrance 



1 réactions


  • voxagora voxagora 17 mars 2011 10:12

    Vous ne pouvez vous 

    « .. empêcher de soupçonner (Laitcaillé) d’être dans l’incapacité chronique de saluer
    dans leurs pages un film signé Tavernier du fait qu’il est plutôt estampillé »Positif« .. »

    Mais vous aussi, on dirait , car vous en prenez des précautions (on peut reprocher bien des choses
    à Tavernier mais .. La princesse est loin d’être exempt de défauts mais je vous l’accorde ..).

    J’ai le dvd de « La vie et rien d’autre », et chaque fois que je le regarde j’encense sans réserve
    Tavernier et Cosmos.

    Par contre chaque fois que Laitcaillé saluent de plates imbécilités (pas grave), ou dézinguent
    des chefs d’oeuvres (scandaleux), la même expression me vient à l’esprit :
    "Laitcaillé ont encore frappé !
     

Réagir