dimanche 16 janvier 2022 - par Sylvain Rakotoarison

Richard Bohringer Cœur de Lion

« Je m’étais endormi. La cloche de cette putain d’église m’a réveillé. Les chiens dorment sur les fauteuils, la tête dans leurs couilles. Au chaud. » (Richard Bohringer, 1988, éd. Denoël).

L’acteur Richard Bohringer fête son 80e anniversaire ce dimanche 16 janvier 2022. Fils d’un officier allemand prisonnier sur le front russe, qu’il n’a pas vu souvent, et d’une Française qui a connu son père pendant la guerre et qui est allée vivre en Allemagne, le futur acteur a été élevé par sa grand-mère maternelle dans la région parisienne. Est-ce à cause de ce contexte de l’enfance, difficile (mais heureux), qu’il a été tout de suite une "sacrée gueule" ?

En tout cas, même jeune, il est une personnalité assez impressionnante, un peu "gueule cassée", comme si la vie l’avait érodé dès la sortie de l’enfance. Cela lui a permis de prendre des rôles assez particuliers, au théâtre puis au cinéma au début des années 1970. Même au début de sa carrière et malgré sa jeunesse, Richard Bohringer n’a jamais été le jeune premier lisse. La vie l’a buriné et c’est ses blessures intérieures qui lui ont permis d’incarner des personnages avec une époustouflante humanité.

Ce côté "gueule cassée" a été racontée par lui-même dans une sorte d’autobiographie (fictive) qui a été très remarquée à sa sortie (pour son histoire mais aussi pour ses qualités littéraires), "C’est beau une ville la nuit", publiée en 1988 chez Denoël, qui évoque une période marquée par la dépression, l’alcool, les voyages, les femmes, etc. avec des mots crus que certains comparent avec Céline pour le style voire Camus pour l’atmosphère. Il en a d’ailleurs réalisé au cinéma l’adaptation (sortie le 8 novembre 2006) en jouant son propre rôle ainsi qu’en confiant le rôle de sa fille à …sa fille Romane Bohringer. De ce livre, il a sorti aussi un album de chansons en 2002 (car au-delà d’être acteur, le roi Richard est aussi écrivain, chanteur, réalisateur, metteur en scène).

Il a joué dans quelques films dans les années 1970 (premier rôle dans "L’Italien des Roses" de Charles Matton, sorti le 16 mai 1973, un rôle déjà près du vide, prêt au suicide), mais sa carrière cinématographique a véritablement "explosé" dans les années 1980 avec beaucoup de films majeurs, il était alors dans la force de l’âge, la quadragénaire. Il a tourné beaucoup avec de grands réalisateurs, ceux cités plus loin et en particulier Jean-Pierre Mocky, Jean-Loup Hubert, Michel Delville, etc.

On peut en effet citer plusieurs films qui ont fait sa notoriété. Ainsi, Richard Bohringer a joué dans sublime "Diva" (sorti le 11 mars 1981), le film très justement récompensé de Jean-Jacques Beineix (qui vient de tirer sa révérence il y a deux jours), avec Dominique Pinon et Gérard Darmon, aussi Gérard Chaillou ; dans "Les Babas-cool" de François Leterrier (sorti le 16 décembre 1981) avec Anémone, Philippe Léotard, Marie-Anne Chazel, Christian Clavier, Catherine Frot, Martin Lamotte, etc. ; dans "L’Addition" de Denis Amar (sorti le 4 avril 1984) avec Richard Berry et Victoria Abril, pour lequel Richard Bohringer a reçu le César du meilleur second rôle en 1985 ; dans "Péril en la demeure" de Michel Deville (sorti le 13 février 1985), avec Michel Piccoli, Nicolas Garcia, Anémone, Christophe Malavoy, dans un rôle inquiétant, celui du tueur à gages un peu désorienté ; dans "Subway" de Luc Besson (sorti le 10 avril 1985) avec Christophe Lambert, Isabelle Adjani, Jean-Hugues Anglade, Michel Galabru, Jean-Pierre Bacri, Jean Bouise, etc. ; dans "Le Grand Chemin" de Jean-Loup Hubert (sorti le 25 mars 1987) avec Anémone, sa femme dans le film, avec Daniel Rialet et Jean-François Dérec pour des petits rôles (les deux principaux acteurs, Anémone et Richard Bohringer, ont eu pour l’occasion chacun le César du meilleur acteur en 1988) ; etc. Souvent, Richard Bohringer interprète des rôles tristes ou effrayants, ce qui lui convient effectivement.

Richard Bohringer a continué à beaucoup tourner dans les années 1990, et notamment dans "Une époque formidable" de Gérard Jugnot (sorti le 19 juin 1991), Gérard Jugnot, Richard Bohringer, Ticky Holgado et Chick Ortega incarnent une sorte de club des bras cassés, aux côtés de Victoria Abril et Roland Blanche ; dans "La Vérité si je mens !" de Thomas Gilou (sorti le 2 mai 1997), où il incarne un patron d’entreprise textile traditionnel, versus Richard Anconina, chômeur et futur patron moderne et malin (avec une distribution très flatteuse pour le film).

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Les relations de Richard Bohringer avec sa fille aînée, Romane, sont très fortes, Romane ayant épousé le même métier, actrice mais aussi réalisatrice. Ainsi, dans "L’Accompagnatrice" de Claude Miller (sorti le 11 novembre 1992), Richard y joue le premier rôle avec Romane et Elena Safonova (et une présence furtive de Claude Rich qui a coécrit le scénario avec le réalisateur et Luc Béraud).



Autre film intéressant, "L’Amour flou" (sorti le 22 août 2018) réalisé par Romane Bohringer et Philippe Rebbot, tous les deux vivant dans le même appartement à Montreuil, mais séparés, avec leurs deux enfants. Ce film de "séparation cohabitante" est basé sur leur expérience réelle, où les réalisateurs jouent leur propre personnage, ainsi que Richard le père de Romane et Lou Bohringer sa jeune sœur (Astrid, la mère de Lou, joue la mère de Romane). On y trouve aussi dans la casting l’actuelle députée FI Clémentine Autain qui joue brièvement son propre rôle (les deux femmes se connaissent bien ; Romane Bohringer a pris la parole au meeting de Clémentine Autain, tête de liste, le 13 juin 2021 pour les élections régionales). Ce film a été nommé pour le César du premier film, et a eu une suite à la télévision avec une série en 2021.

Richard Bohringer a aussi beaucoup tourné pour la télévision, des fictions, et en plus des deux Césars au cinéma, il a été récompensé par un Sept d’or du meilleur comédien en 1997 pour "Un homme en colère" (1997-2002), une série où sont présents en particulier Philippe Magnan, Annie Grégorio et Julien Cafaro.

Richard Bohringer a aussi participé et même animé des émissions de radio et de télévision. Auteur d’une dizaine d’ouvrages dont des pièces de théâtre, une qu’il a mise en scène, il écrit beaucoup pour crier son amour de la vie, au-delà de sa désespérance récurrente et de sa confrontation avec la maladie.

Ainsi dans "C’est beau une ville la nuit" : « Elle porte au coin des yeux le gai du triste, comme étonnée que les oiseaux s’envolent. ». Dans "L’Ultime Conviction du désir" (éd. Flammarion, 2005) : « Mais toi, aime-la, cette vie. Casse-lui la gueule. Bouleverse-toi d’elle. Elle te donnera des ailes. Et tu voleras comme le cormoran argenté. ». Dans "Les Nouveaux Contes de la cité perdue" (éd. Flammarion, 2011) : « L’écriture lui permettait de réinventer un monde meilleur. Réinventer le fracas de l’âme. ». Dans "Quinze Rounds" (éd. Flammarion, 2016) : « Vivre la route. Ne jamais quitter la route. Toujours plus loin, toujours en exil. Ne plus vivre l’idée du temps, n’avoir aucune horloge, que des couchers de soleil à l’horizon qui ne cesse de reculer plus on avance. ». Dans "Traîne pas trop sous la pluie" (éd. Flammarion, 2009) : « La terre tremble et engloutit par centaines des milliers d’humains. Alors il faut faire pousser des fleurs sur sa merde. ». Dans "Bouts lambeaux" (éd. Arthaud, 2008) : « Alors j’ai fracassé la vie. Je voulais le jus. Le jus divin. Celui qui donne des ailes aux mots. C’est trop beau les mots. C’est trop fou. ». Dans "Le Bord intime des rivières" (éd. Denoël, 1994) : « Si le cœur est bien là. Faut se garder. C’est du bon kif d’humain. Dès que c’est coupé, faut en replanter. C’est mon idée. Faut se garder. Faut savoir qu’on est des milliers. Comme des champs de blé. Des milliers à s’aimer. Des milliards à pas le savoir. ».

L’acteur a tellement aimé le Sénégal où il est allé souvent, consacrant un livre à ses voyages, qu’il a même acquis la nationalité sénégalaise en 2002. Enfin, parmi ses engagements, il a souvent soutenu les footballeurs nancéiens de l’ASNL, l’Association sportive Nancy-Lorraine et aux dernières élections présidentielles, il a soutenu François Bayrou en 2007 et Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017. Bon anniversaire, Richard !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 janvier 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Richard Bohringer.
Serge Gainsbourg.
Jane Birkin.
Philippe Noiret.
Jean Amadou.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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11 réactions


  • Clark Kent Schrek 16 janvier 2022 18:11

    « L’acteur a tellement aimé le Sénégal où il est allé souvent, consacrant un livre à ses voyages, qu’il a même acquis la nationalité sénégalaise en 2002. »

    Ça prouve que tous les comédiens n’ont pas les mêmes goûts : Depardieu, lui, c’est la Belgique et la Russie qu’il aime.

    Moi, j’ai tellement aimé ma femme que, quand j’ai gagné un voyage en Thaïlande, j’ai pas arrêté de penser à elle pendant tout le voyage.

    J’ai bien aimé les frites belges aussi, quand j’ai visité l’atomium.


  • sylvie 16 janvier 2022 18:16

    C’était pas le Mali plutôt ?


  • Pauline pas Bismutée 16 janvier 2022 19:00

    Mention de Clementine Autain, fille de Dominique Laffin, elle même actrice, décédée en 1985..(je l’avais rencontrée il y bien longtemps ....)


  • Gégène Gégène 16 janvier 2022 19:10

    ceci dit, j’ai trouvé « L’Amour flou » remarquablement nul smiley

    on est très loin du Grand chemin . . .


  • chat maigre chat maigre 16 janvier 2022 21:21

    j’ai eu peur quand j’ai vu que rakoto avait fait une article sur Bohringer, mon sang s’est glacé.

    à 80 ans tout peux arriver mais ça m’aurait mis un coup et enlevé le sourire un moment.

    je l’ai tellement adoré dans une époque formidable, le toubib

    -admettons que le président de la république arrive ici dans cinq minutes pour coucher, qu’est ce qui se passe ?

    -bien évidemment si c’est le président de la république, nous lui trouvons une suite.

    -j’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : il vient pas !

    -on prend sa chambre


  • ETTORE ETTORE 17 janvier 2022 11:44

    Ben alors ? Rakotonanobis....

    Rien à se mettre sous la dent, du côté Elyséhaine, que vous remettiez à la nécro-mancie ?

    Vous ne voulez pas vous essayer à la poésie des fois ?

    Allez, faites nous donc part, de quelques vers, sur votre pontifécal emmerdé, afin que nous puissions voir, comment ces diX vers, le bouffent !


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