Sollers ou la note du téléphone
Critique des « mémoires » de Philippe Sollers.
Philippe Sollers est un bon écrivain qui, comme Faulkner (qu’il cite en exergue de Femmes) « possède sa propre machine à écrire et sait s’en servir ». Et qu’il revendique une écriture manuscrite « bleue, serrée, fine » ne change rien à l’affaire.
Quelle affaire ?
Une affaire de tromperie sur la marchandise.
Je croyais avoir affaire à un homme libre, je viens de terminer les
« mémoires » d’un serviteur du spectacle.
Loin de servir sa gloire et sa postérité, celles-ci apparaissent comme la recette enfin dévoilée des « succès » de l’auteur.
Beaucoup de citations, et c’est tant mieux, il l’a dit et revendiqué :
« pédagogie, pédagogie ». Mais pourquoi rappeler quatre (ou cinq) fois (!) qu’il est à l’origine de la publication de « Sade sur papier bible ». Soit il est gâteux, soit il ne s’est pas relu. Ceci dit sans rien enlever au mérite qui lui revient... Ce n’est hélas pas la seule (pédagogie quand tu nous tiens à la gorge...) répétition. Et leur choix n’a pas la "pertinente variété" qu’il envie à Debord... (variété exclut répétition, CQFD).
Dans un de ses romans « à clé » (le lys d’or ?) il fait dire au narrateur, en réponse à la question d’une admiratrice qui lui demande si ses « aventures » sont bien réelles, que l’écriture, c’est « comme si c’était vrai ». Magnifique apologie du roman. Comme cette première phrase de « Folies Françaises » : « C’était le printemps et je m’ennuyais ».
La littérature comme salut, donc, comme seule issue heureuse à un monde où l’horreur le dispute à la bêtise et à la laideur. Avec la musique et la peinture.
Tout cela serait charmant, en plus d’être partiellement vrai, si l’auteur avait digéré le statut historique d’ "insignifiant" que lui a attribué Debord. Mais non, la rancœur est là. Il appelle Debord en permanence, lui reproche on ne sait quel « aristocratique égarement dans la plèbe », n’a manifestement pas tout lu, ou mal. Et s’il en parle peu, on sent bien qu’il essaye de se situer sur l’autel des lettres et de la pensée : il voudrait une place à côté de celle de Debord...
Sollers, « très bon en latin », aurait pu relever (pédagogie, pédagogie) qu’in girum imus nocte... était du latin de cuisine, et que le film du même nom est sans doute l’œuvre la plus moderne et la plus subversive qui ai jamais été écrite au XXe siècle. Composé « de poussières d’images » qu’il méprise à juste titre, il renvoie a contrario, et en musique, à Benny Golson et François Couperin, à Donatello et à Florence, à Thucydide et à Li Po... Quant à cette plèbe « vulgaire et obscurantiste » que Debord a toujours côtoyée (mais pas uniquement), il semble qu’elle ait été surtout composée d’aristocrates voyous et lettrés (il aurait sans nul doute compté Lacenaire parmi ses amis, et Caravage, cela va sans dire...). Qui peut dire ce qu’aurait écrit Villon à la cour, ou Rimbaud s’il n’avait été, lui, un véritable « dottore in peccato », et puis, n’a-t-il pas fini par préférer la plèbe d’entre les plèbes dans la seconde moitié de sa vie ?
Et connaît-il, Sollers, cet entretien sublime entre Pasolini et Ezra Pound, l’année précédent la mort de celui-ci ?
Qu’est-ce que l’aristocratie ?
Sollers aimerait bien nous l’expliquer, cela sous-tend tout le livre ; mais il en a une vision surranée, immuable, en parfaite contradiction avec ce qu’il dit avoir appris de Zhouangzi : "le plus ancien est comme le plus moderne". Rien n’est immuable que l’idée, pas la chose.
Arrivé au moment des « mémoires », la note se présente.
Sollers tient le la (en forçant le trait, on pourrait dire qu’il est un très bon dial tone), sans doute, mais le si manque, il le sait, l’assourdit, le noie sous un ré assourdissant.
Mais enfin, il est heureux.
M. Sollers, pourquoi n’être pas resté au Paradis ?