« Spider-Man 3 » : un film sable (é)mouvant ?
Je viens de voir le dernier Spider-Man (3) au cinéma. C’est, me semble-t-il, un objet filmique intéressant parce qu’il ressemble, dans sa constitution même, à Sandman, l’Homme de sable, qui fournit d’ailleurs à ce pop corn movie sa plus formidable séquence : sa phase d’irradiation puis de naissance dans une centrifugeuse après s’être évadé de prison, son corps est alors constitué d’une matière sableuse qu’il peut déformer à loisir. Et, en quelque sorte, ce film signé Sam Raimi - qui n’est tout de même pas un tâcheron hollywoodien standard style Michael Bay, on lui doit quand même le gore cartoonesque d’Evil Dead et un drame intimiste, voisin de Fargo, à savoir Un Plan simple, qui est un film du tonnerre sur la thématique des losers au pays bigger than life de l’American way of life - est un film-sable, difficile à assimiler tant il nous glisse entre les doigts, comme l’eau savonneuse glissant sur la peau. Oui, ce Spider-Man est à l’image de l’Homme-sable, il est assez fragile, avec ses pieds d’argile, mais sa force grandiose vient de sa capacité de régénération non stop ! Ses défaillances de rythme (déjà présentes dans les deux premiers opus de Spider-Man - un adolescent travaillé ad libitum entre sa vie d’homme en accord avec la « boy-scout attitude » et son rôle de superhéros sauveur de New York) sont encore plus manifestes ici. Il y a des moments où l’on s’ennuie royalement, par exemple les scènes où Peter Parker/Venom joue les kékés dans les rues, c’est drôle mais celle, par contre, dans leur prolongement, où dans la boîte de jazz, il joue du piano et plus si affinités, à savoir quelques pas de danse pour provoquer sa Mary Jane (la jolie Kirsten Dunst), chanteuse jazzy qui cachetonne, c’est vraiment mal filmé, mal senti, mal... clippé, à croire que Sam Raimi n’a jamais vu ni assimilé un seul clip de Prince ou de Michael Jackson le moonwalker ( Smooth Criminal, Blood on the dance floor, You rock my world... ) pour au moins le(s) copier un tant soit peu fidèlement, afin de rendre sa scène funky et sexy.
Mais, à part ça, ce qui nous intéresse le plus ici, et c’est là qu’on sent tout de même le talent indéniable de Sam Raimi, c’est qu’il y a une jolie réflexion sur la matière et « l’informe mode d’emploi »* ; on a évoqué L’Homme-sable dont les pérégrinations en nuage de sable dans les rues new-yorkaises évoquent en creux le traumatisme post-11-Septembre de la mégalopole du World Trade Center, on pourrait évoquer aussi le symbiote malléable et rampant qui s’attaque, entre autres, à l’homme-araignée et fournit à ce film de jolies séquences de métamorphoses proches de l’esprit surréaliste. J’ai alors pensé à un autre film de superhéros qui est, selon moi, sous-estimé - Les 4 Fantastiques (2005) de Tim Story (dont la suite nous arrive cet été) - où les différentes phases matiéristes des superhéros (l’homme élastique, la femme invisible, la torche humaine et le géant de pierre, « cousin » de notre Sandman d’ailleurs) apportaient de « nouvelles approches perceptives du réel », façon les compressions et les expansions du sculpteur "nouveau réaliste" César, et cette réflexion sur la matière/l’anti-matière dans ces deux films (horizontalité, bas matérialisme, battement, entropie...) est d’autant plus intéressante qu’elle prend naissance dans un pays où les gens passent pour être aliénés par les choses matérielles - souvenons-nous à titre d’exemple du message de Tyler Durden, le vendeur de savon charismatique à la philosophie tordue et anarchiste du Fight Club cultissime de David Fincher : "Fais attention que les choses que tu possèdes ne finissent pas par te posséder."
Bref, tout ce Spider-Man 3 est tiraillé de l’intérieur par des forces et des formes contraires qui le rendent, au final, bien sympathique, du fait de son hétérogénéité même : d’un côté, il remplit son contrat de gros blockbuster US d’actions too much (la fidélité à l’incroyable aventure du superhéros imaginé, voilà près de quarante ans, par Stan Lee, la séquence finale de catch à quatre sur un ring vertical, le patriotisme affiché, très putassier, il faut le dire...) et de l’autre, il se fait, sans en avoir l’air, teen movie (la séquence de twist dans une cuisine autour d’une omelette), mélo lacrymal écrit sur du vent (les images d’Epinal de la rupture entre Peter et M-J à Central Park) ou encore comédie grand public (les scènes hilarantes où Peter, le kéké superstar, teste son pouvoir de séduction en plein New York). Voilà, c’est un film jouant sur les grands écarts - pas sûr d’ailleurs que tout soit maîtrisé, avouons-le, par moments c’est quasi la foirade ! - et qui trouve, dans ses private jokes ainsi que dans ses creux, une respiration bienvenue, celle de l’informe libertaire, loin d’une certaine monoforme, battant de l’aile, sans aucune rupture de tons. Alors, bonne toile avec notre Tisseur de toiles préféré !
* L’Informe mode d’emploi, exposition au Centre Georges Pompidou, Beaubourg, du 22 mai au 26 août 1996, coachée par Yves-Alain Bois et Rosalind Krauss.