lundi 7 janvier 2013 - par Laconique

Stephen King et son univers

Avec la parution de deux nouveaux romans - dont une suite à Shining - et une visite annoncée en France, 2013 sera l'année Stephen King. L'occasion de revenir sur l'univers du maître de la littérature horrifique.

Je ne suis pas de ceux qui disent : « Ce n’est rien, c’est un roman de Stephen King. » Stephen King est le tout premier auteur que j’aie lu, longtemps, bien longtemps avant tous les autres. C’est par lui que j’ai appris ce que c’est qu’un livre, qu’une histoire, ce que c’est que la littérature, et je pense que je ne suis pas le seul dans ce cas. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, et alors que tant d’autres artistes ont renié leur idéal et disparu dans l’oubli où les a engloutis leur médiocrité, je suis heureux de constater que Stephen King, lui, n’a pas dévié de sa ligne, et qu’il continue à produire chaque année un ou deux ouvrages qui le maintiennent à son rang de maître incontesté de l’épouvante.

Si je devais définir ce qui fait la magie de l’univers de King, j’emploierais l’expression suivante : « terriblement familier ». Stephen King est auteur de littérature fantastique, et pourtant, à l’exception de la saga de La Tour sombre, il n’a jamais créé d’univers parallèle. Non, ce qu’il affectionne, ce sont les zones banales du quotidien, si familières qu’on n’y prête même plus attention : les centres commerciaux, les stations-service, les motels, les pavillons de banlieue, etc. Ses romans ont toujours pour cadre des patelins perdus du Maine : Bangor, Castle Rock, Derry. Et ses personnages sont des gens simples, proches de nous du fait de leurs problèmes, de leurs failles qu’ils n’arrivent pas à masquer : l’alcoolisme de Jack dans Shining, le manque maladif de confiance en soi d'Arnie dans Christine, le bégaiement de Bill dans Ça. Il règne dans ses romans une atmosphère qui rappelle celle des Évangiles : beaucoup d’êtres vulnérables, des femmes, des enfants, des estropiés, qui luttent contre les forces des ténèbres. Et souvent (pas toujours chez King) une étincelle de pureté et d’innocence suffit à vaincre les démons les plus maléfiques.

Ce qui est frappant, dans l’œuvre de Stephen King, c’est que le surnaturel ne fait pas irruption au sein d’un environnement neutre ou idyllique. La situation était déjà viciée, délétère, avant que les monstres ne se manifestent : la famille de Tad, dans Cujo, était déjà au bord de l’implosion avant l’entrée en scène du molosse meurtrier ; la famille Torrance luttait déjà contre ses propres fantômes avant de rencontrer ceux de l’Overlook. La grande habileté de Stephen King, c’est qu’il n’utilise pas le fantastique pour détruire une cellule familiale ou une communauté, mais pour en accuser les tensions internes et finalement fatales.

Je me suis éloigné de Stephen King. J’ai découvert que la littérature offrait d’autres champs plus verdoyants, plus fertiles en pensées profondes et épanouissantes. J’ai découvert qu’il y avait d’autres plaisirs en littérature que ceux que l’on peut tirer d’une bonne histoire, que souvent la seule qualité de l’expression suffit, et que sur ce plan bien des auteurs, bien des poètes valent mieux que lui. Et pourtant, je crois que tous les lecteurs assidus de Stephen King sont marqués par cette œuvre ; qu’ils ont le sentiment de faire partie d’un club spécial, un peu particulier ; qu’ils ne voient plus le monde de la même manière, et que tandis que tous les autres sont pris dans le tourbillon dérisoire de la vie moderne, eux se tiennent un peu à l’écart, un peu en marge, et observent ce qui coince, ce qui grince. Et ce que nous apprend Stephen King, c’est que ce n’est pas parce que ça coince, ou que ça grince, ou que ça fait un peu plus que grincer, qu’il faut détourner le regard. Au contraire.



12 réactions


  • TicTac TicTac 7 janvier 2013 14:52

    Chouette article.

    Oui, l’univers de King est proche.
    Ça doit d’ailleurs être pour ça qu’il louche.

    J’ai eu aimé, comme un lovecraft ou comme d’autres, qui présentaient l’horreur dans un quotidien qui pouvait être le nôtre.
    Mais bon, la corde semble usée et si ce n’est pas lui qui a perdu de sa superbe, ce doit être moi qui n’accroche plus...

  • Scual 7 janvier 2013 14:53

    Et bien personnellement si je devait définir Stephen King et son univers ça serait « Il se passe n’importe quoi d’horrible et on ne sait ni pourquoi ni comment. »

    Pour chaque œuvre fictive, il y a quelque chose qui s’appelle la suspension consentie de l’incrédulité. C’est ce qui fait qu’on accepte ou pas d’y croire, qu’on « rentre » dans l’histoire. C’est ce qui fait que ça nous parait plausible et que donc en acceptant ce qui se passe dans l’œuvre comme une réalité on peut être sujet à des émotions, comme la peur par exemple.

    Le problème avec Stephen King c’est qu’il est pour moi totalement impossible d’adhérer a des choses aussi débiles que des voitures hantées et autres, en tout cas s’il n’y a pas le moindre début d’une explication cohérente qui pourrait nous faire y adhérer... et il n’y en a jamais dans Stephen King.

    Selon moi le succès de Stephen King est un mystère total. En plus ce n’est même pas très bien écrit. Quand on sait le nombre de bons auteurs d’épouvante ou d’angoisse qu’on peut trouver, on ne peut être que consterné par le succès de Stephen King. Malheureusement je crois que seul l’évidente facilité d’accès peut expliquer un tel succès. Et effectivement quand on est jeune et qu’on n’a pas encore réussi à lire un livre en entier, peut-être que ça peut prendre. Cela dit je ne conseillerais quand même pas à un ado en manque de frissons de lire du Stephen King mais plutôt des nouvelles issues de l’univers Lovecraftien. Ça fait BEAUCOUP plus peur quand on est un jeune, et ça a le mérite de faire un peu plus travailler le cerveau.

    Bref je n’aime vraiment pas du tout Stephen King. Lire le Fléau a été un calvaire, J’ai trouvé Christine sans le moindre intérêt du début à la fin et j’ai abandonné la lecture d’un troisième au bout de 100 pages tellement c’était naze. Plus jamais je ne m’imposerais le calvaire de lire un de ses bouquins.

    Sincèrement je conseille vraiment à tout ceux qui aiment Stephen King de tenter autre chose, il y a bien peu de chance qu’ils n’y gagnent pas au change.


    • TicTac TicTac 7 janvier 2013 15:17

      Hon-hon, pas faux.

      Pour ce qui me concerne, effectivement, King a été une époque.
      Plus accessible qu’un Lovecraft pour un jeune (que j’étais à l’époque), mais du coup moins terrifiant.
      Avec le recul, les seuls que j’ai apprécié lire étaient Shining, carrie et Misery, peut-être, comme vous le dites, parce qu’ils avaient une portée réelle et non pas fantastico-épouvantesque.

      Ce que je crois, c’est que le style a vécu et que l’auteur peine à se renouveler.

  • MKT 7 janvier 2013 15:20

    J’ai essayé de lire deux livres de S. King dont un que je n’ai pas réussi à finir.

    Dans ces deux livres j’ai trouvé des références (assez lourdingue) au sexe, ce qui semble beaucoup tourmenter les américains des états unis.

    Cela dit l’adaptation de Shining par Kubrick est une réussite totale. J’ai lu que cette adaptation avait beaucoup modifié le roman initial. Ceci explique peut être cela.


  • Gabriel Gabriel 7 janvier 2013 15:28

    L’horreur, le fantastique, le surnaturel attirent et interrogent. Le fait d’écrire là dessus ne fait pas de l’écrivain un E.A Poe dont les écrits traversent pour l’instant les années sans trop d’encombre, nous sommes d’accord là dessus. J’ai lu, il y a quelques années du Stephen King, j’ai trouvé cela distrayant et je ne permettrai pas de critiquer le travail d’un auteur quel qu’il soit. Il faut savoir qu’à force d’ingurgiter des livres, le lecteur devient de plus en plus cultivé donc plus exigeant dans l’écriture et difficile dans ses choix. Cependant ne retirons pas à ces auteurs le mérite d’amener les gens à la lecture. Aborder en premier des auteurs tel que Bernanos, Cervantès, Houellebecq, Tim Powers ou du James Joyce, cela risquerait d’en décourager et dégoûter plus d’un de la littérature. 


  • almodis 7 janvier 2013 15:41

    si ce n’est pas « RIEN » ce n’est en tout cas , pas grand chose !
    ( tout au moins pour les derniers ) « NUIT NOIRE , ETOILES MORTES » me servira d’exemple .
    littérature , dites vous ?
    j’y vois une écriture diablement aisée , mais fabriquée de toutes pièces , une galerie de personnages en pleine psychose mais sans aucune réalité ni vraisemblance : la Tess , victime de viol , le gentil mari , Bob , je crois , tueur en série, fonctionnent EXACTEMENT sur le même schéma , double personnalité , mais avec si peu de subtilité que l’on croirait leur psychologie sortie d’un logiciel antédiluvien ( pas la peine de me reprendre sur ce terme )
    dire que des ados ( c’est une charmante ado qui me l’a recommandé ) que des ados y trouvent : « une leçon de vie » ...
    « lourdingue » dit MKT , en effet ! lourd et dingue ...


  • William7 7 janvier 2013 16:20

    Pour moi, la plus belle adaptation cinématographique d’un écrit de Stephen king est : la rédemption de Shawsank. Il n’y avait rien de fantastique dans ce récit, même si ce qui arrive à Andy Dufresne est, par bien des aspects, horrible.

    je pense que c’est d’ailleurs un des plus beaux films de cinéma qu’il m’ait été donné de voir.


  • bakerstreet bakerstreet 7 janvier 2013 17:53

    Je n’ai lu que « Shinning » après avoir vu le film, pour juger de ’l’adaptation, et du ressenti de Stephen King, par rapport à ce film qu’il avait jugé trahissant son oeuvre ;
    Ce en quoi la seule conclusion que j’ai faite était qu’un auteur n’était pas le mieux placé pour juger de ce genre de choses : Impossible de confier son enfant à un autre, sans faire de reproche sur l’éducation......
    C’est en tentant de suivre à la lettre un film, la plus mauvaise recette : Vous êtes sûr et certain de vous planter. Littérature et cinéma ne coïncident pas dans leur approche.
    L’adaptation de Kubrick est très bonne, la plus apte à faire entrer dans la genèse de la folie, qui est finalement le sujet du livre.
     Kubrick, beau pervers narcissique, était sans doute le mieux placé pour traiter les névroses de Stephen King.
    Un auteur que j’avais donc découvert, et qui me fit penser à Bradbury, en plus direct, avec plus d’énergie, mais moins de poésie.
    En tout cas un grand maitre de la vulgarisation pour traiter de la psychose.
    la folie, beaucoup de gens en parlent, mais peu avec talent.
    Si l’on peut dire les choses ainsi.

    Sur la folie, et ces êtres étranges, redoutables et hallucinés, projetant leurs ombres sur nous.
    Lisez donc « Dans la forêt » d’Edna O’Brien
     « Le garçon boucher », de Patrick Mac Cabe.
     « Le tour d’écrou », de Henry James.

    De petits chefs d’oeuvres !


  • Yvance77 7 janvier 2013 18:42

    La grande force des Stephen King est que ses bouquins sont bien transposables au cinéma et avec un bel effet.

    Dead zone pour moi avait été une réussite totale... tout comme Carrie, Ca , Misery...


  • Jade Jade 7 janvier 2013 21:08

    Stephen King, c’est du très bon. A mon avis, bon nombre de ces livres traverserons le temps et resterons des classiques pour les générations à venir.

    Mon top 3 perso :
    1) Le fléau
    2) Running Man
    3) Dead Zone

    De très bons livres pour des adaptations cinématographiques finalement assez peu inspirées au final. « Running Man » mériterait d’ailleurs un remake, tant il trahi le livre de base.
    Le récent « dôme » est une bonne fiction, très plaisante et assez originale pour un sujet bateau. C’est d’ailleurs assez étrange de voir un stephen king ancré dans les années 2010, avec des références culturelles actuelles (youtube, obama, lost, la guerre en irak.... ).


  • Folacha Folacha 8 janvier 2013 08:07

    Vous connaissez « Différentes Saisons » ?Ça effleure le fantastique est c’est très bon ...


    Et ce qu’il a écrit sous le pseudo de Richard Bachman : jetez un coup d’ oeil à « Rage », vous verrez c’est très actuel, je dirais même prémonitoire ...

     « Chantier », ou il décrit toutes les étapes d’un autre « petage de plombs »...

  • Bernard Pinon Bernard Pinon 8 janvier 2013 10:03

    Un auteur que j’ai découvert et dévoré à une époque en version originale - c’est très facile à lire même pour un non anglophone. Mais pour quelques bijoux comme « Misery » (dans lequel il n’y a pas trace de fantastique), combien de romans où les ficelles sont tellement grosses qu’on voit venir la fin au bout de quelques pages...


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