mercredi 3 novembre 2010 - par Vincent Delaury

The Social Network : THE film sur Facebook ?

On se promène dans la rue et on passe devant l’affiche du film The Social Network* avec l’accroche suivante : « On ne peut pas avoir 500 millions d’amis sans se faire quelques ennemis.  » Facebook, le 1er réseau social mondial comptant depuis fin août dernier 500 millions d’utilisateurs, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, ça interpelle. En tant que signe, voire symptôme, de notre époque relevant d’une société du spectacle à tous crins appliquant à la lettre ce qu’avait annoncé Warhol dans les 60’s : « A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale. » Je lisais dernièrement la newsletter de l’artiste Ben écrivant fin octobre 2010 : « ce serait bien si le même jour partout dans le monde tout le monde racontait sa vie sur internet. » C’est désormais le cas, ou presque ! Car, 500 millions de connectés, ça fait du monde. Comme le précisait Dan Fletcher dans son article Facebook, le bon, la brute et le méchant du Time (New York), repris par Courrier international n°1034 (août 2010) : « Si l’on devait accorder un territoire au réseau social, il représenterait le troisième plus grand pays du monde par la population, d’une superficie supérieure de deux tiers à celle des Etats-Unis. »

Six ans après sa création par Mark Zuckerberg, Facebook, via sa signalétique (assez moche) et son langage codé, est rentré dans nos vies quotidiennes : qui n’a pas entendu des « Es-tu sur Facebook ? », « Je te poke » et autres « Facebook-moi » ? Bienvenue dans l’ère Big Brother, d’une vie intime devenant… extime et s’offrant au regard de l’autre pour lui dire - « Je viens de manger un pain au chocolat, trop bon. » ou « Quelle journée de merde !  » Certes, Facebook, c’est beaucoup ça – déballage de sa vie privée, retour d’amis de l’âge dit ingrat, photos de soirée arrosée, drague, chats chronophages, mise en scène de son existence et j’en passe -, mais ce n’est pas que ça. A l’image d’Internet, du téléphone portable, de la télé ou de la langue d’Esope, il est capable du meilleur comme du pire. C’est une hydre, partant dans tous les sens. Certes, Facebook peut être l’aire de je(u) idéale pour moult narcissiques, voire devenir le support alimentant des dérives inquiétantes mais, parfois, il peut engendrer du positif, telle une tête chercheuse apportant du nouveau. C’est ce que soulignait le journaliste Mohammed El-Sayed dans Al-Ahram Weekly (Le Caire), repris également dans Courrier international. Exemple : en Egypte, alors que beaucoup de citoyens étaient devenus politiquement amorphes, des groupes Faceebook se sont créés pour devenir des outils politiques en vue de la campagne électorale. Toutefois, si certains observateurs sont optimistes, d’autres doutent fort que l’engagement virtuel ait quelque répercussion dans le réel. Selon le chercheur Yasser El-Wardani, mentionné dans l’article : « Le gouvernement s’est peut-être abstenu de bloquer l’accès à Facebook après le mouvement de désobéissance d’avril 2008 parce qu’il a pensé que cela pouvait servir d’exutoire à la colère des citoyens. Les gens peuvent protester dans le monde virtuel tout en menant une vie rangée dans le monde réel. Pour les autorités, ce n’est pas un problème. » Personnellement, à l’ère des blogs, des forums et des plates-formes citoyennes, je ne vois pas trop ce qu’apporterait Facebook de plus - même si j’avoue y avoir un compte, comme un demi-milliard de Terriens. J’en vois surtout les désavantages : étalage de sa vie privée qui, à la longue, peut nuire à celui qui s’y emploie ; enrichissement de cette entreprise sur le dos des données personnelles des utilisateurs qui, eux, gagnent en contrepartie, et seulement, quelques « amis » de plus. Mais avouons-le, désormais, la matrice Facebook a au moins un mérite. Celui d’avoir engendré un très bon film, The Social Network, de bout en bout passionnant (du 5 sur 5 pour moi). C’est peu, me diront certains, mais c’est déjà ça !

Ce regard double qu’on peut porter sur Facebook, c’est le parti que prend David Fincher à l’égard du site et de son créateur. Il s’en est expliqué dans la presse (Inrocks n°776) : « Pour moi, les technologies restent agnostiques, on peut les utiliser pour le bien ou le mal. Le fait que Facebook reflète le narcissisme d’une société éclaire cette société, rien d’autre. J’ai vu des gens qui y écrivent des trucs bouleversants et d’autres qui s’en servent pour dire : Je viens de boire trois vodka-pomme, je vais à la gym demain. Là, tu te dis : " Fuck !  ». Le film est ainsi, à double face. D’un côté il épouse la trajectoire de la création fulgurante de Facebook avec une certaine fascination. Goût pour un flux de paroles, une musique électro répétitive, des soirées arrosées non-stop et des plans en enfilade qui suivent le personnage principal faisant office de petit génie. Et, indéniablement, Mark Zuckerberg, nerd prenant son plus grand plaisir en vivant au plus près de son écran d’ordinateur, trouve la parade pour s’enrichir en mettant en œuvre une idée toute simple : créer un outil de communication qui permet à ses utilisateurs de pratiquer une nouvelle carte du Tendre. Et, de l’autre côté, on contemple un personnage lisse, froid, pas le moins du monde romantique. Sa création est née d’une frustration. Puisqu’il s’est fait larguer par sa petite amie et qu’il n’arrive pas à pénétrer certaines soirées hype de Harvard, le geek Zuckerberg crée une machine de guerre technologique : un « plan drague 2.0. » qui va lui permettre de devenir le centre d’intérêt de la vie sociale universitaire. Mais, au final, tel un bug qui n’en finirait pas de planter un ordinateur, Zuckerberg, émotionnellement parlant, n’évolue pas d’un iota. Le dernier plan finit sur lui, flanqué derrière un ordinateur en train de regarder la vitrine Facebook de son ex-petite amie. Retour à la case départ, voire à la case prison car, avec sa trouvaille révolutionnaire, ce jeune homme au QI impressionnant s’est créé une cage de verre qui ne fait que multiplier, semble-t-il, sa solitude initiale. A part sa création, pour laquelle il s’investit il est vrai à 200%, tel un artiste complètement absorbé par ses recherches, Zuckerberg ne s’anime pas pour grand-chose. Visiblement, il ne court pas les filles, ni après l’argent, il semble plutôt satisfait en restant à distance du réel. Et Fincher, loin d’être un auteur passionné par le réel - « La réalité quotidienne ne m’intéresse pas beaucoup » - est brillant pour montrer combien le créateur de Facebook nage entre deux eaux, entre le réel et le virtuel. Ce n’est pas pour rien que ce cinéaste, à tendance autiste, crée des mondes parallèles qui viennent concurrencer le réel ; rappelons-nous de l’entrée dans la tête du psychopathe de Se7en ou de Zodiac, du Fight Club du film éponyme, de la partie diabolique de The Game ou encore de la chambre forte de son remarquable Panic Room. Et ce n’est pas pour rien non plus que la plupart des films de Fincher sont distribués en France sous leur titre original, comme si les distributeurs pressentaient que, dès son titre, un film labellisé Fincher est un monde à part, relevant d’une topographie spécifique. En multipliant les surcadrages (écrans dans l’écran, transparences, vitres, reflets), The Social Network redouble avec virtuosité la vitrification des sentiments de Zuckerberg. Il est à distance du spectacle de la vie. Par exemple, c’est à travers une vitre qu’il voit ses amis, dont le noceur Sean Parker (J. Timberlake), s’amuser en sabrant le champagne venant éjaculer contre la baie vitrée d’une demeure. Facebook, c’est oui pour Zuckerberg mais, le réel et ses plaisirs, simples ou dionysiaques, c’est non. Ce n’est vraiment pas sa tasse de thé. Il préfère infiniment plus siroter des bières en menant une vie parallèle derrière son écran d’ordinateur.

L’avènement de la création numérique, et ce qu’elle engendre comme bouleversements dans nos existences (autour de la sécurité, des droits d’auteur et du respect de la vie privée), est esquissé dans le film. Mais The Social Network est moins un film sur le réseau social Facebook – et à la limite tant mieux car s’il avait multiplié les données techniques, il aurait perdu du monde en route -, qu’un biopic sur son créateur au cardiogramme plat, Mark Zuckerberg. On est dans une tête très bien faite, mais dont le savoir-faire et le faire-savoir ne vont pas de pair avec le savoir-être. Et contre toute attente, alors que ce « héros » est loin d’être sympathique et séduisant, on suit avec passion un film qui avance tel un train que rien ne pourrait arrêter ; son formalisme à l’extrême épousant avec brio la geste froide d’un enfant de Warhol orfèvre en art des surfaces. Pour le meilleur et pour le pire. 

* En salle depuis le 13 octobre 2010. 

 



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