samedi 23 novembre 2019 - par rosemar

Un somptueux paysage dans une prison...

Un héros emprisonné qui trouve du charme à un paysage entrevu de la fenêtre de sa geôle, voilà le thème surprenant et inattendu d'un extrait du roman de Stendhal, La chartreuse de Parme... (partie II chapitre 18)
 
Fabrice Del Dongo, jeune aristocrate italien, victime d'une vengeance, est enfermé dans la citadelle de Parme. Le gouverneur de cette forteresse est le général Fabio Conti, que Fabrice avait croisé, avec sa fille Clélia, sept ans plus tôt.
 
Le héros décrit un paysage somptueux, celui qu'il admire des fenêtres grillées de sa prison : la focalisation interne permet de restituer la vision de Fabrice, une vision idyllique, pleine d'harmonie.
 
La description est, à la fois, réaliste et empreinte de poésie : de nombreuses indications permettent de situer la scène : des noms propres de lieux évoquent l'Italie : "la chaîne des Alpes, Trévise, le Mont Cenis, Turin, Parme, le Mont Viso..."
 
Grâce à certains détails précis, le lecteur peut, aussi, visualiser le décor : la volière que Fabrice Del Dongo aperçoit se trouve "à cinq ou six pieds en contrebas". On apprend, aussi, que "la fenêtre de la volière n’était pas à plus de vingt-cinq pieds de l’une des siennes."
 
Les sensations visuelles, auditives nous font vivre la scène que le héros a sous les yeux : on perçoit, en même temps que le personnage, les "jolis cages d'oiseaux", "les derniers rayons du crépuscule", "la lune qui se lève majestueusement", "un brillant crépuscule rouge orangé"...
 


On entend le chant des oiseaux.
 
Quelques indications temporelles ponctuent le texte : "huit heures et demie du soir, deux heures".
 
Mais, la peinture de ce paysage vaut, surtout, par son charme et sa poésie : l'adjectif "sublime" employé à deux reprises dans l'extrait, a une valeur d'hyperbole : on ressent l'admiration du héros devant ce tableau...
 
On assiste, d'abord, à un superbe coucher de soleil, thème romantique par excellence, avec "les derniers rayons du crépuscule".... Les couleurs du couchant sont évoquées, dans une harmonie de teintes chaleureuses, " un brillant crépuscule rouge orangé."
 
Les montagnes sont comme redessinées par l'éclat du couchant... De nombreux termes élogieux sont employés : "sublime, joli, majestueusement, parfaitement, admirant, charmer, douceurs."
 
La prison devient un lieu de bonheur, pour Fabrice : associée à la belle Clélia, elle semble ne présenter que des avantages.
 
On entrevoit, d'ailleurs, dès le début de l'extrait, l'enthousiasme du personnage, quand il "court" vers les fenêtres de sa geôle.

 
La scène se transforme en un véritable "spectacle" à admirer... Les couleurs, la lumière, la lune, les pensées du jeune homme qui vont vers Clélia Conti, tout contribue à une forme d'harmonie, à une joie de vivre.
 
Dans cette page, Stendhal nous fait voir, à travers les yeux de son personnage, un véritable tableau, encadré par les fenêtres de la prison, une véritable oeuvre d'art. Les sonorités qui accompagnent le lever de la lune, fricatives, sifflantes, chuintantes contribuent à la splendeur de l'évocation... Les voyelles nasalisées "on, an" semblent suggérer les reliefs du décor dans la phrase : "à l’autre extrémité de l’horizon, au couchant, un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin."
 
L'enthousiasme du jeune homme, sa joie transparaissent dans la peinture du paysage : formes, couleurs sont magnifiées... Cet extrait ressemble à un véritable tableau.
Le texte :
 
 
"Il courut aux fenêtres ; la vue qu’on avait de ces fenêtres grillées était sublime : un seul petit coin de l’horizon était caché, vers le nord-ouest, par le toit en galerie du joli palais du gouverneur, qui n’avait que deux étages ; le rez-de-chaussée était occupé par les bureaux de l’état-major ;et d’abord les yeux de Fabrice furent attirés vers une des fenêtres du second étage, où se trouvaient, dans de jolies cages, une grande quantité d’oiseaux de toutes sortes. Fabrice s’amusait à les entendre chanter, et à les voir saluer les derniers rayons du crépuscule du soir, tandis que les geôliers s’agitaient autour de lui. Cette fenêtre de la volière n’était pas à plus de vingt-cinq pieds de l’une des siennes, et se trouvait à cinq ou six pieds en contrebas, de façon qu’il plongeait sur les oiseaux. Il y avait lune ce jour-là, et au moment où Fabrice entrait dans sa prison, elle se levait majestueusement à l’horizon à droite, au-dessus de la chaîne des Alpes, vers Trévise. Il n’était que huit heures et demie du soir, et à l’autre extrémité de l’horizon, au couchant, un brillant crépuscule rouge orangé dessinait parfaitement les contours du mont Viso et des autres pics des Alpes qui remontent de Nice vers le Mont-Cenis et Turin ; sans songer autrement à son malheur, Fabrice fut ému et ravi par ce spectacle sublime. « C’est donc dans ce monde ravissant que vit Clélia Conti ! avec son âme pensive et sérieuse, elle doit jouir de cette vue plus qu’un autre ; on est ici comme dans des montagnes solitaires à cent lieues de Parme. » Ce ne fut qu’après avoir passé plus de deux heures à la fenêtre, admirant cet horizon qui parlait à son âme, et souvent aussi arrêtant sa vue sur le joli palais du gouverneur que Fabrice s’écria tout à coup : « Mais ceci est-il une prison ? est-ce là ce que j’ai tant redouté ? »Au lieu d’apercevoir à chaque pas des désagréments et des motifs d’aigreur, notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison."

 

Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/article-un-somptueux-paysage-dans-une-prison-124130683.html



8 réactions


  • Clark Kent Séraphin Lampion 23 novembre 2019 17:23

    Vous savez, on s’en lasse, même au quartier VIP de la Santé.

    Ca fait maintenant 15 jours que Patrick croupit dans sa luxueuse cellule en suçant des cornichons pour arrêter de fumer, eh ben il est très fatigué et perd la mémoire. Incapable de se souvenir de la couleur des billets de banque, il a aussi oublié le goût du champagne et du caviar. Il n’arrête pas de sucer des cornichons du matin au soir pour arrêter de fumer, et il s’est même étranglé en avalant de travers une de ces cucurbitacées. Isabelle est inquiète.


  • cevennevive cevennevive 24 novembre 2019 10:11

    Bonjour rosemar,

    Beau texte de Stendhal. Mais Fabrice était un romantique.

    Je me demande si Marie Durand, du haut de l’étroite fenêtre de la Tour de Constance, où elle est restée des années, a apprécié le spectacle marin d’Aigues-Mortes avec autant de romantisme.

    La vieille ville d’Aigues-Mortes
    macevenne.free.fr › Textes › Constance

    La complainte qui relate cet enfermement est bien romantique elle aussi...


    • Sozenz 24 novembre 2019 12:42

      @cevennevive
      Nous pourrions aussi proposer de tester le romantisme de nos politiques « éduqués ». 
      Leur donner un certain temps pour nous proposer des allégories sur la vue de leur prison .


    • eau-mission eau-pression 24 novembre 2019 13:04

      @Sozenz

      Bonjour Madame la compétitrice

      Je n’ai rien compris à la critique que vous faites de mon slogan, même en réfléchissant beaucoup. D’autres me l’ont déjà retoqué, parce que trop indirect. Je n’aurai donc aucun mal à accepter votre reproche, mais si vous pouviez être plus explicite dans sa formulation. Et encore moins à suivre une piste meilleure que vous me proposeriez.
      En particulier, le tout être vivant dans votre post me semble contradictoire avec ce que vous dites à @Clojac.

      Pour info : vous êtes mouton enragé ?

      Voici les deux posts

      @CLOJAC
      c est votre vision des choses . vous vous rabaissez
      toujours au niveau de l animal et non à la place que devrait adopter l
      humain grâce a sa conscience ;
      Sachez quand même qu un agneau à des cornes ...

      @eau-pression
      « Emmanuel, sans nous, tu n’es rien ! »
      phrase fausse pour tout être vivant ... reflechissez bien .
      c est un manque de respect pour soi même que de croire que nous ne sommes rien sans les autres .


    • eau-mission eau-pression 24 novembre 2019 18:55

      @arthes
      « Qui t’a fait roi ? », réplique Aldebert. C’est bien la même idée. Dire que je croyais que l’histoire de Gençay commençait avec Jean le Bon !

      La même idée, mais dans les relations humaines ont tellement évolué depuis. Un roi se serait-il permis de dire « tu n’es rien » à un manant ?

      Je suis assez surpris qu’autour de moi les gens minimisent cette saillie (on est dimanche !) de Manu (ceux qui ne sont rien). La mettre sur le compte de l’emportement, de la maladresse, du lapsus vulgarus me paraît mal en accord avec le personnage. Et avec notre époque minée par la com’.

      @pemile me dirait que je m’attache à des détails. Vive le harnais des sceptiques !

      Je ne défends pas mon slogan pour 2 autres raisons au moins. D’abord, Manu réplique à tout va que lui a été élu. Il a été brieffé à bloc dans ce sens. Ensuite, la remarque faite dans l’article en cuisine, mettre le focus sur Manu, c’est viser à côté. Pour exprimer l’idée, il faudrait mettre mon slogan dans la bouche des marionnettistes lui réclamant toujours plus de dividendes. J’en appelle aux dessinateurs ...

      c’est un manque de respect pour les autres que de croire que nous puissions être sans eux
      J’ai eu du mal à dénouer mes neurones après cette lecture. Vous voulez sans doute dire que ce que dit la dame montre q’elle ne respecte pas les autres. Je peux faire tintin pour ma réponse. On verra. A-t-elle seulement lu ma tirade où je prétends qu’un ciel étoilé rappelle à l’ermite l’amour d’une femme. Tenez Leny le pensait.

      Vous évoquez nos échanges avec F’nF, alors soyons honnête, j’ai pensé au début du courrier électronique que l’écrit allait en être réhabilité. Or, que constate-t’on universellement ? Des gens qui se permettent de ne pas répondre à des méls dans le contexte professionnel. Ce qui aurait été avant une faute professionnelle (je pense à des méls importants laissés sans réponse) est toléré. Alors, ici, il suffit de noter ce comportement et se moquer des piques des inconsistants du raisonnement. tenez, un autre exemple récent.

      PS1 : si ça vous chante, pour la question des liens hypertexte, dites-nous comment vous vous y prenez, histoire de voir où ça cloche, et en plus je vous dirai comment ajouter l’heure de départ d’une vidéo

      PS2 : réponse en suivant à votre autre post


    • eau-mission eau-pression 24 novembre 2019 19:22

      @arthes

      Je crois reconnaître l’histoire de Philémon et Baucis. Ovide a dû piquer ça dans la mythologie grecque. Je ne dois pas être le seul à avoir cette lubie quand je vois le prix de ce livre de Georg Junger en occasion.

      Il me souvient que le pseudo @Havas s’inspirait aussi beaucoup du paysage mental du Grec ancien, péripatétisant sur l’authentique Agora.

      Le lien avec l’aqueux ? Certes j’aurais bien enlacé d’une liane coquine la cheville d’une dame qui se baignait avec moi dans un cénote artificiel. C’était vous ? Celle-là était eau-vive, pas Ovide.


  • sls0 sls0 24 novembre 2019 16:34

    Personnellement je suis assez zen, pas grand chose m’émeut.

    Pour les personnes plus émotives il vaut mieux positiver, de l’autre coté ça risque de faire du dégât surtout dans un système carcéral.

    Chez moi ça incarcère pour un oui ou un non, c’est de la prison latine, peut être moins agréable que l’Européenne. Le hasard a fait que me suis fait des presques amis avec les responsables de la formation des gardiens de prison. En amérique latine ça marche pas mal sur le relationnel.

    On peut être zen et mettre un maximum de son coté.


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