lundi 30 mars 2009 - par Luise Briefe

Un Werther désenbastillé

Si d’une part cette tribune qui m’est offerte permet de dénoncer lorsqu’il le faut l’incompétence ou le gâchis, elle doit aussi permettre d’annoncer les événements culturels d’exception qui ont lieu quelquefois. 

Cette semaine viennent de s’achever les représentations de “Werther”, oeuvre lyrique de Jules Massenet, éternel inconnu. La direction, la mise-scène du spectacle, le plateau technique, et au premier chef les interprètes, tous ces corps de métier ont été de grands serviteurs de cette musique, profonde et colorée, au cours d’une soirée inoubliable de l’Opéra National de Paris-Bastille.

Jean-François Verdier

On ne voit pas tous les soirs, en effet, un orchestre permanent déposer l’instrument à la fin du spectacle, applaudir son chef et la distribution, sous les ovations du public. Le sentiment de bonheur qui se dégageait du plateau prenait étrangement mais efficacement le contre-pied des clichés qui collent au Werther, et ne nuisait en rien à la clarté de la fable jouée sur scène. Les gens aujourd’hui ont besoin d’un peu de bonheur, et il convient de ne pas ajouter le pathos au mélodrame. 

Et du bonheur, il y en avait dans la fosse. Dès les premiers accords l’orchestre se présentait sous son meilleur jour. Un orchestre heureux de jouer, ça s’entend ! Ce fut le cas dans cette production décidement hors du commun, sous la baguette souple de leur chef Jean-François Verdier, super-soliste clarinettiste, qui faisait là une “prise de baguette” au pied levé, derrière Kent Nagano, avec une grâce, une finesse, un sens des couleurs ahurissant. Tout cela conféraient à cette orchestration prodigue, à cette musique française sublime si souvent alourdie, une subtilité rarement entendue. Là, les inconditionnels pouvaient applaudir, et ceux qui n’aimaient pas, découvrir. Je redécouvre ce Werther en poussant la plus belle porte, dans toute sa dynamique, ses contrastes, ses couleurs, des qualités retrouvées, renouvelées, et je découvre Massenet. Evénement, donc.

 

Hors du commun, d’abord parce qu’il est rare qu’un baryton remplace au pied levé un ténor et que le public y trouve un égal bonheur. Ensuite parce que la version pour baryton est rarement donnée, mais qu’en plus Ludovic Tézier*, Werther émouvant, a chanté deux rôles successivement au cours de cette production, Albert et Werther. Dans leur travail d’approche, les chanteurs (ou les acteurs) devraient s’inspirer de cette situation et profiter de la relativité des points de vue des personnages, des enjeux qui les rapprochent ou les opposent. Connaître deux parcours à fond d’une même oeuvre ne peut être qu’un richesse...

Le grand baryton français livrait cette semaine un Werther d’une magnifique tenue vocale, et même de retenue physique, mais sans raideur, sans effets superflus, avec juste ce qu’il faut de questionnement métaphysique pour rendre hommage aux tourments de l’anti-héros Goethéen. Il s’autorise avec raison des nuances d’une douceur inhabituelle pour une voix aussi lyrique. En compagnie de Franck Ferrari (reprenant le rôle d’Albert au lendemain de son "grand-frère" Tézier ; tout le monde suit bien là ?) élégant de présence scénique, le plateau est magnifié par une Charlotte au français parfait, la mezzo américaine Susan Graham. Tézier aura chanté avec elle l’amour impossible du Werther agonisant, sur un fil, au-delà de la couleur due à sa tessiture, laissant le personnage livrer son chant plus que le baryton ne prendre la parole. 

C’est beaucoup de risques pour un chanteur qui doit officier allongé et passer piano au-dessus de l’orchestre, mais ce chanteur là, et c’est aussi à cela qu’on distingue un grand artiste d’un artiste de talent, a balisé le parcours du personnage au préalable et n’en est plus à “faire de la voix”... pour le plus grand bonheur du théâtre. 

Soirées exceptionnelles aussi parce que la mise-en-scène, décriée dans Le Monde comme benoite par des critiques en mal d’innovations modernes où l’on voit des Werther psychotiques massacrer à la tronçonneuse un décor en costume sado-maso, la mise-en-scène de M. Jürgen Rose est au moins honnête (ce qui est une qualité précieuse), rythmée, et suit de façon claire l’évolution de la partition et du livret, organisant autour des deux protagonistes un écrin à leur voix et leur interprétation. Ce n’est pas si courant par les temps qui courent. Le travail d’éclairage aussi, qu’on cite rarement, sert de façon heureuse les personnages et le resserrement nécessaire de l’action autour des amants malheureux. Les mouvements d’ensemble toujours difficiles à l’opéra sont ici comme un beau maquillage qui ne se fait pas remarquer. Et elle n’exclut pas l’humour quelquefois comme le passage quasi vaudevillesque du Bailli (Alain Vernhes) qui va d’une porte à l’autre pour prévenir Charlotte de l’arrivée de son fiancé, quand il n’y a rien d’autre à faire. Le metteur-en-scène n’essaie pas de faire preuve à tout prix de cette originalité qui tue les représentations et qui finit par vider les salles. Pour moi, cela est aussi exceptionnel de modestie et d’intelligence.
Notre plus belle voix de baryton lyrique actuelle assied encore un peu plus sa stature de héraut du chant français, comme le fit autrefois un Bacquier, aux côtés des désormais célèbres Dessay et Alagna. Il y a fort à parier qu’ils vont susciter des vocations. Espérons que leur talent ouvre la voie au renouveau de la programmation des œuvres de langue française dans nos théâtres et à l’étranger.

C’est beau, simple, intelligent. Que demande le peuple ? Que des établissements qui portent le nom de “nationaux” comme l’Opéra de Paris remplissent parfaitement leur fonction vis-à-vis du public en servant un compositeur de notre patrimoine de la plus belle manière, réunissant un plateau et un orchestre de grands serviteurs. Ce soir, c’était mission accomplie.

 

Ecouter le long *entretien sonore  du 10 mars 2009 de Ludovic Tézier avec Mehdi Mahdavi sur le site musical Qobuz



5 réactions


  • ecophonie ecophonie 30 mars 2009 14:54

    Désembastillé.


  • Antoine 31 mars 2009 00:57

     Parfaitement exact, superbe spectacle comme bien souvent et heureusement à Bastille (ou Garnier) et en prime pour une fois, même si prima la musica, une mise en scène plutôt réussie. Quant au couplet de l’opéra réservé aux riches, je vous signale qu’on peut obtenir des places entre cinq et dix euros soit un rapport qualité/prix introuvable ailleurs !


    • Luise Briefe Luise Briefe 31 mars 2009 11:08

       où est le couplet de l’opéra reservé aux riches ? je n’ai rien écrit de tel...


    • Antoine 1er avril 2009 01:16

       Ma réflexion à propos de "l’opéra pour les riches" répondait à Parkway qui évoquait les fauchés dans l’impossibilité d’aller goûter un tel spectacle. Je lui (parkway) indique aussi qu’il peut se procurer le plus bel enregistrement (même s’il est en mono) d’un opéra (Tosca par de Sabata) vendu pour quelques euros dans des grandes surfaces entre les chaussettes et les slips ! A bon entendeur...


    • Antoine 2 avril 2009 22:11

      Sûrement, sauf qu’en l’occurence pour cette Tosca exceptionnelle il n’y aura pas d’autres solutions que ce superbe cd puisque tous sont morts ou en dehors du circuit (Callas, de Sabata, etc...)...


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