Une fin du monde sans importance
La collection La peau sur la table donne le ton à l'ouvrage. Le mot est inspiré de Louis Ferdinand Céline : « Il faut mettre sa peau sur la table, sinon vous n'avez rien ! Il faut payer ! ».
Xavier Eman met-il la "peau sur la table" ? En partie. Point de posture, le ton est donné, ni optimisme ou déclinisme, mais une observation participant devant la « reine tragique de la dépression médicamenteuse ». Le titre du livre n'est pas LA fin du monde, mais Une fin du monde : notre époque.
Notre époque est à la fois "clownesque et tragique" insiste Xavier Eman. Les deux apories se retrouvent concentrés dans la figure du clown Mc Do qui arborent nos centre-villes. Dès l'intro d'Une fin du monde sans importance composé par Olivier Maulin, le ton est donné. L'ouvrage fustige les dérisoires tartarinades du « bobo à roulettes » amnésiques face aux vrais glissements de terrain de notre temps. Les « ruptures anthropologiques » qui prenaient jadis des siècles bousculent aujourd'hui nos sociétés en moins d'une génération. Ils crèvent les yeux de n'importe quel observateur qui ose encore voir ce que ses yeux voient. Ces ruptures se nomment : impuissance politique, incivilité quotidienne, ensauvagement... la civilisation recule cran après cran, et par marque de cran des politiques.
Et si vous ajoutez à cela les "éléments de langage" et le règne de l'écran, cela fait beaucoup. Certes, le constat n'est pas nouveau. Songeons, par exemple, aux études de Marc Augé, anthropologue de la ville, inventeur du concept de « non-lieux », quand un autre observateur comme Kenneth White fustigeait déjà cette « l'Europe, banlieue d'elle-même ». Nous étions quarante ans avant Eman, dans le ton du livre. « Camoufflé dans la ville », Xavier Eman en « nouvel observateur » se fait anthropologue urbain sans le dire, peut-être même sans le savoir lui-même.
Son livre est composé de plusieurs très courtes (deux à trois pages) chroniques sensées illustrer ces ruptures. Mais c'est à la fin du livre, dans la nouvelle nommée « Redemption » que s'exprime au mieux son style incisif. Certes, le style d'Eman n'est ni du Zola, ni du Céline, mais il imprime tout de même des mots sur les maux de ce que d'aucuns (y compris les immigrés) vivent tous les jours. Les pages de ce livre explorent les ruines de notre survie.
Le « paradis diversitaire » que subit la France de plein fouet y est bien scénarisé. De plus, nous avant tous rencontré des « Henri » (le héros de la nouvelle) sur les bans de l'université. « Approchant de la cinquantaine, ils ont ensuite renoncé à toute vélléité de transmission » ; nous avons tous aperçu ces élèves qui « rouillent » (pour reprendre une expression du jargon de la banlieue), premières « victimes du déracinement ».
Les aventures du prof Henri ne sont malheureusement que le sort quotidien pour les ensiegnants gardiens du « paradis diversitaire » mise en place par les idéologues repentis des années 80.
Une étape de plus et Xavier Eman passerait à l'analyse des causes. Osera-t-il le faire ? Il nous dira dans le volume III de Sa fin du monde par quel tour de passe-passe les diversitaires en chef, Julien Dray, Cohn-Bendit, Finkielkraut, Marek Halter... - et j'interromps ici la liste de Schindler - sont aujourd'hui devenus nos barresiens de service. Ils louent aujourd'hui le sang et les morts qu'ils conspuaient hier. Tiens donc ! Cette parodie lepéniste n'est pas toujours mal jouée. Il y a de la repentance dans l'air. Ah ! La nostalgie de la France d' « avant » ! Les erreurs de jeunesse, tout cela, des broutilles, lesquelles mises bout à bout ont tout diffuser les rayons idéologiques paralysants.
C'est qu'en quarante ans de « touche-pas-à-mon-pôtisme » et de « politique de la ville », les choses ont bien changé ! La France comptait bien des « banlieues », difficiles mais canalisables, aujourd'hui c'est la France (et l'Europe) qui sont en passe de devenir les banlieues d'elles-même. Dans ce scénario du déclin, les « chances pour la France » sont devenus les coupables désignés. Au lieu d'apaiser les tensions, les diversitaires professionnels d'hier mettent aujourd'hui de l'huile sur le feu communautaire et ce, en toute impunité. Ils sont même devenus les maîtres à penser de notre époque. Leurs repentirs et leur mauvaise foi entre dans notre culpabilité collective. Il faut dire qu'entre temps l'immigration rampante a connu un saut qualitatif irréversible. Le visage de nos villes a totalement changé. Le glacis de la globalisation est entré dans nos archectures, nos langues et notre culture.
Au lieu de se ruer par dépit avec un couteau sur un présentateur de junk télévision, Henri, notre héros, largué par sa compagne, aurait dû quitter la ville, le lycée. L'air amiantée de sa vie, bref se mettre au vert. Rejoindre un de ces triangles du vide (Creuse, Aveyron, Vosges, etc.) où la vie paraît plus respirable. Un point n'a pas été encore abordé par l'auteur : le phénomène néo-rural. Et l'émergence d'une nouvelle catégorie : les « gaucho-réacs » qui repeuplent les campagnes. Après le regroupement familial, il y aurait à observer le « regroupement européen des campagnes » où les quadras prennent aujourd'hui refuge.
Bref, l'épisode III des aventures d'Henri au pays du non-sens est assuré... Xavier, à vos papiers !