Vauban : un surdoué au service de la France – partie 1
Penchons-nous sur un personnage tout à fait hors du commun : Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, SLPV pour les intimes. Aujourd’hui, nous étudierons la vie de cet homme qui a tant compté pour la France avant de nous intéresser, la semaine prochaine, à son oeuvre pour Marseille et la Provence.

Vauban est avant tout connu en ses qualités d’architecte et de stratège militaire. Durant des décennies au service du Roi de France Louis XIV, ce Monsieur va créer ou rénover plus de 300 places fortes aux quatre coins du royaume. N’importe qui se serait satisfait et même glorifié d’un tel bilan, et pourtant Vauban n’a cessé, en parallèle, de développer ses nombreuses autres compétences. Imaginez donc une sorte de Bernard Tapie pour le côté touche-à-tout, un Nicolas Sarkozy pour l’hyperactivité, mais surtout un Abbé Pierre au grand cœur d’humaniste, le tout avec la modestie d’un Zidane. Le genre de gars à vous filer des complexes tellement il sait tout faire, et en général mieux que vous : architecture, géographie, urbanisme, économie, philosophie, mathématiques, génie hydraulique, lettres, équitation, art de la guerre, etc.,
Sébastien Le Prestre naît en 1633 dans le Morvan (Bourgogne). Il est issu d’une famille de petite noblesse désargentée, des origines plutôt modestes qui ne le prédestinent pas à une grande carrière. D’autant plus, qu’il choisit dès l’âge de 17 ans de rejoindre la Fronde, cette révolte ouverte de certains nobles contre le jeune roi de France, le futur Louis XIV. En 1651, il réalise son premier siège victorieux et suscite l’admiration de ses officiers en traversant l’Aisne à la nage sous les balles ennemies. Mais deux ans plus tard, il est fait prisonnier et se retrouve en interrogatoire devant un certain Mazarin… Ce dernier est impressionné par ce jeune aux qualités évidentes et parvient à le faire passer dans le camp du roi.
Voici donc notre petit provincial en position de se distinguer au service de Louis XIV. En ces années de guerres incessantes contre ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, la couronne envoie notre homme sur des dizaines de sièges dont il sortira victorieux. Il acquiert une expérience hors du commun dans la « poliorcétique », c’est-à-dire conduite d’un siège et la prise d’une ville (vous tenez votre prochain mot à ressortir l’air de rien pour frimer en soirée). Cela qui lui vaut de gravir les échelons : « ingénieur militaire responsable des fortifications » en 1655, puis « commissaire général des fortifications » en 1678, après avoir dirigé une compagnie de soldats. Peu économe de sa personne, il est plusieurs fois blessé au combat et porte des cicatrices.
Le roi lui-même devient très proche de Vauban et va s’appuyer sur son expérience et son talent pour réaliser les ambitions qu’il a pour le royaume. Comprenons bien le contexte : après des siècles de royauté fortement concurrencée par le pouvoir des seigneurs, la monarchie se renforce considérablement. Elle étend ses possessions directes en ramenant à elle des provinces par voie de mariage et d’héritage. C’est typiquement le cas de la Provence à la fin du XVème siècle . Les frontières sont donc en extension et il n’est pas suffisant de gagner une province, encore faut-il l’intégrer pleinement dans son nouveau royaume et surtout la défendre contre l’envahisseur.
Le marquis de Vauban convainc Louis XIV qu’il faut concentrer toutes ses forces non pas à l’intérieur mais aux frontières de la France. Pour lui, il est essentiel de s’appuyer sur les contraintes naturelles pour définir ce qu’est l’espace que doit occuper le royaume. Il calque donc sa stratégie de fortification sur les frontières naturelles que sont les Alpes, les Pyrénées, l’Océan Atlantique, la Mer Méditerranée et le Rhin à l’Est. C’est alors une véritable « ceinture de fer » que va s’attacher à construire notre génie militaire sous les ordres de son roi. Mais il reste un problème : à l’Est, la frontière est pleine d’enclaves et de villes ennemies en territoire français ou de villes françaises avancées en territoire ennemi. Très pragmatique, Vauban plaide pour l’abandon des villes trop avancées chez l’ennemi et pour le rachat ou la reconquête des villes ennemies mal situées en France. Il veut créer un « pré carré » pour le roi, dont la frontière claire et nette sera plus aisée à fortifier et consolider.
C’est ainsi que notre homme va parcourir la France dans tous les sens allant d’un chantier à l’autre. Dans les vingt premières années de son mariage, il ne passe que six petits mois chez lui, ce qui ne peut qu’attirer notre compassion pour sa pauvre épouse à une époque où, faute de piles, le canard vibrant n’existait pas. Bourreau de travail, Vauban épuise ses collaborateurs et secrétaires. Sur la route en permanence, il met au point une chaise tirée portée par des mulets pour éviter le contact direct de roues avec le sol et arriver à écrire tout en voyageant, car lorsqu’il a fini de travailler, il est temps de relater son travail à ses supérieurs dans de volumineux rapports.
Les fortifications qui vont ceinturer notre territoire sont novatrices pour l’époque, en France du moins. Car Vauban ne se cache guère d’avoir emprunté ses idées aux Italiens et aux Turcs. Nous verrons leurs caractéristiques plus en détails la semaine prochaine, contentons-nous de souligner que les idées de l’architecte et du stratège militaire reflètent un souci principal : économiser les vies humaines. Au cours de sa carrière, Sébastien Le Prestre a vu quantités d’horreurs, et bien souvent d’horreurs inutiles. Car à l’époque, déjà, le Français aime les grandes charges héroïques qui causent pourtant des pertes terrifiantes puisqu’en face l’ennemi est plus malin, comme par exemple les Anglais qui durant la Guerre de Cent Ans avaient fait des ravages avec leurs archers moins nobles que les preux chevaliers mais redoutablement plus efficaces ! En 1676, il écrit : « Cette vanité (…) est un péché originel dont les Français ne se corrigeront jamais si Dieu qui est tout puissant n’en réforme toute l’espèce ». L’avenir lui donnera hélas raison, ne serait-ce qu’en 1917, à Verdun. Vauban ajoute : « Il faut tenir pour maxime de ne jamais exposer son monde mal à propos et sans grande raison ».
L’humanisme de Vauban se décline sous bien d’autres formes, en particulier dans ses travaux de philosophie et d’économie. Constatant les ravages de la disette qui sévit régulièrement en ce XVIIème siècle, il écrit des cochonneries, plus précisément un mémoire intitulé « Cochonnerie, ou le calcul estimatif pour connaître jusqu’où peut aller la production d’une truie pendant dix années de temps », traité arithmétique dans lequel il expose l’idée que si chaque paysan élève un seul cochon, et compte tenu de la fécondité de la truie, en seulement douze générations de cochons, il y aurait de quoi nourrir toute l’Europe !
Dans le domaine fiscal, Vauban est un précurseur des Lumières et de certaines idées révolutionnaires en proposant un impôt payé par tous, nobles compris, entre 5% et 10% du revenu par tête. De telles propositions, le font mal voir de certains à la Cour, et vers la fin de sa vie c’est clandestinement et à compte d’auteur qu’il doit publier un ouvrage qui lui tient à cœur, « La Dîme Royale ». Cet épisode illustre le tiraillement d’un homme partagé entre une grande fidélité au roi et le souci de ce qu’il considère comme l’intérêt général. Autre preuve d’humanisme, sa critique de la révocation de l’Edit de Nantes. Mais le pragmatisme n’est jamais loin puisqu’au delà du défaut de tolérance religieuse c’est aussi la fuite des talents à l’étranger et au profit de l’ennemi que Vauban déplore.
Après une carrière formidablement prolifique, celui qui aura toujours fait preuve d’une soif de connaissances sans limites et d’un humanisme qui tranche avec ses contemporains se retire chez lui pour soigner sa toux chronique dont il décèdera quelques années plus tard. Contrairement à une légende répandue la publication de « La Dîme Royale », ne le fit pas tomber en disgrâce auprès du roi et mourir de chagrin comme l’écrit Saint-Simon. Le roi, qui ne lui survit d’ailleurs que quelques années, déplore à sa mort la perte d’un « bon Français ».
Pour l’anecdote, le généreux Vauban aurait fait, par voie de testament, bénéficier ses maîtresses qui disaient avoir eu un enfant de lui d’une rente annuelle. Pas toujours fidèle, mais toujours réglo !
Pierre SCHWEITZER
Merci à Cyril Savin pour son aide précieuse dans la documentation de cet article.
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