lundi 11 juin 2012 - par NewsofMarseille

Vauban : un surdoué au service de la France – partie 1

Penchons-nous sur un personnage tout à fait hors du commun : Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, SLPV pour les intimes. Aujourd’hui, nous étudierons la vie de cet homme qui a tant compté pour la France avant de nous intéresser, la semaine prochaine, à son oeuvre pour Marseille et la Provence.

Vauban est avant tout connu en ses qualités d’architecte et de stratège militaire. Durant des décennies au service du Roi de France Louis XIV, ce Monsieur va créer ou rénover plus de 300 places fortes aux quatre coins du royaume. N’importe qui se serait satisfait et même glorifié d’un tel bilan, et pourtant Vauban n’a cessé, en parallèle, de développer ses nombreuses autres compétences. Imaginez donc une sorte de Bernard Tapie pour le côté touche-à-tout, un Nicolas Sarkozy pour l’hyperactivité, mais surtout un Abbé Pierre au grand cœur d’humaniste, le tout avec la modestie d’un Zidane. Le genre de gars à vous filer des complexes tellement il sait tout faire, et en général mieux que vous : architecture, géographie, urbanisme, économie, philosophie, mathématiques, génie hydraulique, lettres, équitation, art de la guerre, etc.,

Sébastien Le Prestre naît en 1633 dans le Morvan (Bourgogne). Il est issu d’une famille de petite noblesse désargentée, des origines plutôt modestes qui ne le prédestinent pas à une grande carrière. D’autant plus, qu’il choisit dès l’âge de 17 ans de rejoindre la Fronde, cette révolte ouverte de certains nobles contre le jeune roi de France, le futur Louis XIV. En 1651, il réalise son premier siège victorieux et suscite l’admiration de ses officiers en traversant l’Aisne à la nage sous les balles ennemies. Mais deux ans plus tard, il est fait prisonnier et se retrouve en interrogatoire devant un certain Mazarin… Ce dernier est impressionné par ce jeune aux qualités évidentes et parvient à le faire passer dans le camp du roi.

Voici donc notre petit provincial en position de se distinguer au service de Louis XIV. En ces années de guerres incessantes contre ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, la couronne envoie notre homme sur des dizaines de sièges dont il sortira victorieux. Il acquiert une expérience hors du commun dans la « poliorcétique », c’est-à-dire conduite d’un siège et la prise d’une ville (vous tenez votre prochain mot à ressortir l’air de rien pour frimer en soirée). Cela qui lui vaut de gravir les échelons : « ingénieur militaire responsable des fortifications » en 1655, puis « commissaire général des fortifications » en 1678, après avoir dirigé une compagnie de soldats. Peu économe de sa personne, il est plusieurs fois blessé au combat et porte des cicatrices.

Le roi lui-même devient très proche de Vauban et va s’appuyer sur son expérience et son talent pour réaliser les ambitions qu’il a pour le royaume. Comprenons bien le contexte : après des siècles de royauté fortement concurrencée par le pouvoir des seigneurs, la monarchie se renforce considérablement. Elle étend ses possessions directes en ramenant à elle des provinces par voie de mariage et d’héritage. C’est typiquement le cas de la Provence à la fin du XVème siècle . Les frontières sont donc en extension et il n’est pas suffisant de gagner une province, encore faut-il l’intégrer pleinement dans son nouveau royaume et surtout la défendre contre l’envahisseur.

Le marquis de Vauban convainc Louis XIV qu’il faut concentrer toutes ses forces non pas à l’intérieur mais aux frontières de la France. Pour lui, il est essentiel de s’appuyer sur les contraintes naturelles pour définir ce qu’est l’espace que doit occuper le royaume. Il calque donc sa stratégie de fortification sur les frontières naturelles que sont les Alpes, les Pyrénées, l’Océan Atlantique, la Mer Méditerranée et le Rhin à l’Est. C’est alors une véritable « ceinture de fer » que va s’attacher à construire notre génie militaire sous les ordres de son roi. Mais il reste un problème : à l’Est, la frontière est pleine d’enclaves et de villes ennemies en territoire français ou de villes françaises avancées en territoire ennemi. Très pragmatique, Vauban plaide pour l’abandon des villes trop avancées chez l’ennemi et pour le rachat ou la reconquête des villes ennemies mal situées en France. Il veut créer un « pré carré » pour le roi, dont la frontière claire et nette sera plus aisée à fortifier et consolider.

C’est ainsi que notre homme va parcourir la France dans tous les sens allant d’un chantier à l’autre. Dans les vingt premières années de son mariage, il ne passe que six petits mois chez lui, ce qui ne peut qu’attirer notre compassion pour sa pauvre épouse à une époque où, faute de piles, le canard vibrant n’existait pas. Bourreau de travail, Vauban épuise ses collaborateurs et secrétaires. Sur la route en permanence, il met au point une chaise tirée portée par des mulets pour éviter le contact direct de roues avec le sol et arriver à écrire tout en voyageant, car lorsqu’il a fini de travailler, il est temps de relater son travail à ses supérieurs dans de volumineux rapports.

Les fortifications qui vont ceinturer notre territoire sont novatrices pour l’époque, en France du moins. Car Vauban ne se cache guère d’avoir emprunté ses idées aux Italiens et aux Turcs. Nous verrons leurs caractéristiques plus en détails la semaine prochaine, contentons-nous de souligner que les idées de l’architecte et du stratège militaire reflètent un souci principal : économiser les vies humaines. Au cours de sa carrière, Sébastien Le Prestre a vu quantités d’horreurs, et bien souvent d’horreurs inutiles. Car à l’époque, déjà, le Français aime les grandes charges héroïques qui causent pourtant des pertes terrifiantes puisqu’en face l’ennemi est plus malin, comme par exemple les Anglais qui durant la Guerre de Cent Ans avaient fait des ravages avec leurs archers moins nobles que les preux chevaliers mais redoutablement plus efficaces ! En 1676, il écrit : « Cette vanité (…) est un péché originel dont les Français ne se corrigeront jamais si Dieu qui est tout puissant n’en réforme toute l’espèce ». L’avenir lui donnera hélas raison, ne serait-ce qu’en 1917, à Verdun. Vauban ajoute : « Il faut tenir pour maxime de ne jamais exposer son monde mal à propos et sans grande raison ».

L’humanisme de Vauban se décline sous bien d’autres formes, en particulier dans ses travaux de philosophie et d’économie. Constatant les ravages de la disette qui sévit régulièrement en ce XVIIème siècle, il écrit des cochonneries, plus précisément un mémoire intitulé « Cochonnerie, ou le calcul estimatif pour connaître jusqu’où peut aller la production d’une truie pendant dix années de temps », traité arithmétique dans lequel il expose l’idée que si chaque paysan élève un seul cochon, et compte tenu de la fécondité de la truie, en seulement douze générations de cochons, il y aurait de quoi nourrir toute l’Europe !

Dans le domaine fiscal, Vauban est un précurseur des Lumières et de certaines idées révolutionnaires en proposant un impôt payé par tous, nobles compris, entre 5% et 10% du revenu par tête. De telles propositions, le font mal voir de certains à la Cour, et vers la fin de sa vie c’est clandestinement et à compte d’auteur qu’il doit publier un ouvrage qui lui tient à cœur, « La Dîme Royale ». Cet épisode illustre le tiraillement d’un homme partagé entre une grande fidélité au roi et le souci de ce qu’il considère comme l’intérêt général. Autre preuve d’humanisme, sa critique de la révocation de l’Edit de Nantes. Mais le pragmatisme n’est jamais loin puisqu’au delà du défaut de tolérance religieuse c’est aussi la fuite des talents à l’étranger et au profit de l’ennemi que Vauban déplore.

Après une carrière formidablement prolifique, celui qui aura toujours fait preuve d’une soif de connaissances sans limites et d’un humanisme qui tranche avec ses contemporains se retire chez lui pour soigner sa toux chronique dont il décèdera quelques années plus tard. Contrairement à une légende répandue la publication de « La Dîme Royale », ne le fit pas tomber en disgrâce auprès du roi et mourir de chagrin comme l’écrit Saint-Simon. Le roi, qui ne lui survit d’ailleurs que quelques années, déplore à sa mort la perte d’un « bon Français ».

Pour l’anecdote, le généreux Vauban aurait fait, par voie de testament, bénéficier ses maîtresses qui disaient avoir eu un enfant de lui d’une rente annuelle. Pas toujours fidèle, mais toujours réglo !

 

Pierre SCHWEITZER

Merci à Cyril Savin pour son aide précieuse dans la documentation de cet article.

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8 réactions


  • ZEN ZEN 11 juin 2012 13:24

    Bonjour

    Intéressant
    Je ne connaissais pas ses sources d’inspiration, turques notamment
    Un homme qui a passé sa vie à cheval, les yeux ouverts sur le monde et la cruauté de son époque
    Ici, dans le Nord, sa trace est partout
    Les boulevards Vauban sont présents dans beaucoup de villes


  • easy easy 11 juin 2012 14:52


    Ah un connaisseur de Vauban !

    Concernant le côté militaire et même géopolitique, comme il s’agit de chose relevant d’un contexte particulier que nous ne pouvons facilement imaginer, je passe.
    Mais c’est sur les autres aspects -plus facilement traduisibles en notre époque" que j’aurais aimé un max de documentation.

    Essayez de nous montrer ce qu’il faisait en moyenne de déplacements mensuels ou annuels (j’ai lu une fois le kilométrage total qu’on lui accorde et c’est énorme). 

    Concernant la chaise à mules ou mulets, vous n’avez pas précisé que le problème de Vauban était particulier. Il existait des routes pour les voyages à plat. Et on y circulait en voitures à 4 roues avec force chevaux. Mais Vauban avait à se rendre constamment dans des nids d’aigle en tous cas sur des hauteurs non fréquentées qui n’étaient alors accessibles que par des sentiers. On ne pouvait les parcourir qu’à pied ou monté sur quelque animal. 
    Mais comme Vauban ne voulait pas perdre une minute et tenait à travailler en se déplaçant, il a réinventé la chaise à porteurs en version mules. Il y avait une mule devant, une autre derrière qui portaient ainsi les brancards de sa chaise (fermée). Il y avait probablement un conducteur qui marchait devant la mule de tête pour la diriger. 
    A comprendre alors que les voyages avec cette chaise ne valaient que de la ville la plus proche à la fortification. Les grandes distances s’effectuant probablement en voiture à 4 roues.

    Si par hasard vous avez des chiffres de kilomètres parcourus par d’autres du genre Alexandre ou Napoléon, ce serait intéressant de comparer.



    Est-il arrivé qu’un collaborateur soit assis en face de lui dans cette chaise (biplace alors) ?

    Avait-il fait construire une chaise à mule dans chaque fortification ou faisait-il transporter une chaise unique de ville en ville ?. 
     
    Qu’en était-il des problèmes et de sa gestion du froid pendant ces déplacements ?

    Est-ce que Louis XIV a mis parfois les pieds dans une de ces fortifications. Le roi a-t-il vu une fois la mer ? A-t-il une fois navigué ailleurs qu’à Versailles ?

    Lire la suite ▼

  • devphil30 devphil30 11 juin 2012 15:01

    Merci pour cet article passionnant 

    Dans l’attente de la suite 

    Philippe

  • Pierre-Marie Baty 11 juin 2012 15:08

    Bonjour,

    Vauban était véritablement un personnage énergique et talentueux. Connaissez-vous son coup de gueule contre M. de Louvois, où il dénonce l’incurie des entrepreneurs chargés des travaux militaires, incurie étant selon lui directement liée au fait qu’on cherche à les payer toujours le moins cher possible ?

    Regardez : http://www.consomacteurs.com/association/eco-sujets/lettre-de-vauban/

    On croirait y lire les dérives du libéralisme smiley

     


  • COVADONGA722 COVADONGA722 12 juin 2012 08:06

    article trés instructif nonobstant une autre vision de l’héritage Vauban
    Bagnard, au bagne de Vauban
    Dans l’île de Ré
    Je mange du pain noir et des murs blancs
    Dans l’île de Ré
    A la ville m’attend ma mignonne
    Mais dans vingt ans
    Pour elle je ne serai plus personne
    Merde à Vauban
    Bagnard, je suis, chaîne et boulet
    Tout ça pour rien,
    Ils m’ont serré dans l’île de Ré
    C’est pour mon bien
    On y voit passer les nuages
    Qui vont crevant
    Moi je vois se faner la fleur de l’âge
    Merde à Vauban

    Bagnard, ici les demoiselles
    Dans l’île de Ré
    S’approchent pour voir rogner nos ailes
    Dans l’île de Ré
    Ah ! Que jamais ne vienne celle
    Que j’aimais tant
    Pour elle j’ai manqué la belle
    Merde à Vauban
    Bagnard, la belle elle est là-haut
    Dans le ciel gris
    Elle s’en va derrière les barreaux
    Jusqu’à Paris
    Moi je suis au mitard avec elle
    Tout en rêvant
    A mon amour qu’est la plus belle
    Merde à Vauban

    Bagnard, le temps qui tant s’allonge
    Dans l’île de Ré
    Avec ses poux le temps te ronge
    Dans l’île de Ré
    Où sont ses yeux où est sa bouche
    Avec le vent
    On dirait parfois que je les touche
    Merde à Vauban
    C’est un petit corbillard tout noir
    Étroit et vieux
    Qui me sortira d’ici un soir
    Et ce sera mieux
    Je reverrai la route blanche
    Les pieds devant
    Mais je chanterai d’en dessous mes planches
    Merde à Vauban

    P.Seghers

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  • ZEN ZEN 12 juin 2012 09:08

    Admirables paroles et mise en musique, asinus
    Mais le pauvre Vauban n’y est pour rien...


  • cedricx cedricx 12 juin 2012 12:54

    Très instructif ! Merci. 


  • brieli67 12 juin 2012 13:08

    Vauban à l’oeuvre à Haguenau, la résidence préférée de l’empeureur Barberousse, geôle de Richard Coeur de Lion le temps de rassembler sa rançon.

    La ville et surtout son passé « impérial » puis autrichien a été démoli. Vauban n’a reconstruit qu’une place forte et petite ville de garnisons.

                        

    http://archeographe.net/Les-annees-Vauban-a-Haguenau

    PS Vauban architecte ? 

    GRAND BOMBARDEUR à la tête de canons. Avec la gloire du canon, l’art de se défendre. La conscience pas trop tranquille le grand homme. 

    KLEBER notre grand général alsacien, a appris son métier d’artilleur et architecte à la Cour d’Autriche un temps.


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