vendredi 28 février - par Florian Mazé

Écotopia d’Ernest Callenbach : l’annonciateur du « Low-tech Punk »

Chronique d’un roman américain paru en 1975, qui fut un best-seller (mérité, ce qui est rare) et qui, aujourd’hui, reste la bible des écolos (les vrais, et les autres).

Tout d’abord, ô influenceurs francophones, arrêtez de prononcer Callenbach avec un son guttural à la fin, comme vous prononceriez Jean-Sébastien Bach ! Ernest Callenbach est un auteur américain, et Callenbach se prononce comme avec un k à la fin (si vous ne croyez pas, suivez les chaînes anglophones). Passons… j’en ai entendus qui disaient : Ernest Carambar !

 

Écotopia : quelques mots de l’intrigue

Le roman relate le voyage d’un journaliste américain, William Weston, dans un nouvel État, issu d’une sécession de la Californie, de l’Oregon et de l’État de Washington (ne confondez pas avec la ville-capitale située à l’opposé, dans le nord-est du pays). Ce nouvel État, imaginaire, appelé Écotopia, correspond ainsi à l’extrême ouest du Far-West américain.

Le roman m’a semblé flou sur les dates, Wikipédia assure qu’il se situe en 1999, l’historienne Aurélie Luneau penche pour 2000, mais quelques allusions au « siècle dernier » m’inclinent à croire qu’il se déroule un peu après 2000, au tout début du XXIe siècle. Aucune importance : il s’agit, pour les lecteurs de 1975, d’un futur proche, et pour le personnage principal, Will Weston, d’un voyage – enfin autorisé – après plus de vingt ans d’isolationnisme et de ruptures diplomatiques.

Will Weston découvre au contact du peuple écotopien et de ses élites une société rustique, résiliente, pratiquant l’écologie radicale, mais sans renier toute technologie, obsédée par le recyclage, matriarcale et très virile en même temps, déroutante et séduisante.

Le héros finira par rester sur place, amoureux d’une belle Écotopienne plantureuse.

 

Écotopia : roman adulé par la gauche écolo, et pourtant…

Ce roman fut publié ou republié en France sous la belle traduction de Brice Matthieussent… lors du premier mandat de Donald Trump ! Dans sa préface, M. Matthieussent ne peut d’ailleurs s’empêcher de faire quelques allusions acerbes au 45e président des États-Unis, et Callenbach y apparaît presque comme un opposant par avance. Sur YouTube, on ne compte plus les chaînes de gauche faisant l’éloge du roman… On verra ci-après que Callenbach – pas plus que, par exemple, que Huxley, Orwell ou Bradbury – ne se reconnaîtrait dans les errances idéologiques de la gauche et du wokisme actuels.

 

Une société matriarcale, mais viriliste et sécuritaire

Dans le roman, Will Weston vient d’une société, les États-Unis, où les dingues et les criminels en liberté prolifèrent dans les rues : les allusions ne manquent pas dans le roman ! Callenbach anticipe les dysfonctionnements des sociétés occidentales actuelles, en projetant sur l’avenir les prodromes d’une catastrophe (qu’il perçoit, ainsi, déjà à son époque). De toute évidence, les États-Unis qu’il imagine sont incapables de gérer correctement la violence, et donnent même l’impression de favoriser celle-ci, comme ils promeuvent, par exemple, la malbouffe ou l’abrutissement médiatique (en gavant les téléspectateurs de publicités ineptes).

Rappelons alors que les gauches occidentales actuelles, y compris étasuniennes, passent le plus clair de leur temps à nier ou à minimiser l’insécurité. Rappelons aussi que le wokisme participe de beaucoup à l’abrutissement des masses… Rappelons aussi les aberrations de notre écologie punitive, qui ne touche que les braves gens, épargnant la racaille et les grands de ce monde. On a envie de crier : « Callenbach, au secours ! » – et contre tous ces farfelus qui s’en réclament.

En Écotopia, rien de tel. La société est matriarcale, les femmes détiennent un pouvoir immense ; la présidente, Mme Vera Allwen, gère le pays de manière éclairée, laissant carte blanche aux initiatives locales, dans un contexte de très forte décentralisation. Mais les hommes comme les femmes sont robustes, travailleurs, sportifs, musclés, adorateurs du camping et du grand air ; même les vieillards sont énergiques. Les jeunes hommes s’adonnent tous à des jeux violents, mais ritualisés, où ils apprennent à se battre, laissant quelques-uns d’entre eux gravement blessés, parfois morts. Le port d’arme par les citoyens ordinaires y est fort prisé (alors même qu’il y a très peu de police). Tout cela est fort spartiate. Même si l’auteur ne détaille pas, on sent bien que dans un tel contexte, les parasites et les délinquants n’ont pas la partie facile ; on devine que l’autodéfense, en Écotopia, n’est pas un vain mot. Franchement, quel rapport avec le gauchisme actuel, pro-racaille et anti-sécuritaire ? Réponse : rien.

 

Écotopia : do-it-yourself et small is beautiful

Ce qui est frappant dans Écotopia, c’est l’omniprésence des expressions encore employées par l’actuelle écologie, dont les deux que je viens de citer en sous-titre. Au-delà même du vocabulaire, c’est aussi la prévalence de thématiques toujours très actuelles : réduction drastique du parc automobile, promotion des transports en commun, production électrique sans énergie fossile ni nucléaire, végétalisation de l’espace public, fabrication de plastique végétal recyclable, compostage des déchets, qualité de l’air améliorée grâce à la disparition des différentes pollutions, disparition de la pollution sonore elle-même et, donc, silence apaisant des villes et des campagnes, valorisation du bricolage et de l’astuce manuelle (do-it-yourself), dynamisme florissant des petites et très petites entreprises (small is beautiful), omniprésence de l’agriculture sans pesticide, promotion d’un habitat de type rustique et survivaliste, mais aussi un peu collectiviste, avec une passion nationale pour les immeubles en bois hébergeant des familles élargies en véritables clans, fortes activités forestières, semaine de vingt heures, petits salaires mais très bien employés, solidarités spontanées en tout genre, services publics de petite taille, médecine comprise, mais très efficaces et compétents.

À ces bénéfices écologiques et économiques s’ajoutent des innovations sociétales pétulantes : libertés sexuelles effervescentes, serviabilité généralisée, bonne humeur agglutinante, exubérance méridionale, bonne alimentation roborative, patriotisme farouche et, en même temps, accueil bienveillant de l’étranger (il faut dire que le seul étranger, dans cette histoire, c’est Will Weston). Il ne faut pas s’étonner que notre journaliste finisse par quitter sa vie d’origine pour rester avec sa belle Écotopienne galbée !

Toute cette force, ce muscle, ce grand air, cette énergie, ce dynamisme, quel contraste avec nos écolos-wokos-geeks de salon, confiné dans leurs appartements parisiens minuscules, occupés à se teindre les cheveux en vert, et à poster des inepties sur les réseaux sociaux !

 

En clair, vous l’aurez compris, Écotopia, c’est plutôt la bible des écologistes conservateurs ou hors système, le grand ancêtre du style Low-tech Punk ! À lire impérativement (cela évitera l’instrumentalisation de Callenbach par la gauche morale et passive-agressive)

 

Florian Mazé



1 réactions


  • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 1er mars 10:54

    Belle fiche de lecture, et même davantage.

    Cette histoire me rappelle Brigadoon, la techno en plus (ou en moins).

     

    Vous écrivez : ’’production électrique sans énergie fossile ni nucléaire ’’

     

    À mon avis, il n’y a pas d’énergie qui n’ait quelques inconvénients. La meilleure de ce point de vue, c’est l’énergie qu’on ne consomme pas. (dis-je, derrière mon écran-clavier, façade visible pour moi, de toute cette haute technologie dévoreuse d’énergie).


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